Tourisme spirituel, Le marché de dupes !

Tourisme spirituel, Le marché de dupes !

hadj-algerie_855605_679x417.jpgDes centaines de milliers de pèlerins convergent à la Mecque pour accomplir le rituel de la Omra. Hommes et femmes, sans distinction de race, communieront ensemble sur les lieux saints de l’Islam abolissant le temps d’un voyage les différences de nationalités et de classes.

Mais, en l’absence d’une prise en charge «des pouvoirs publics ou d’une structure officielle», les pèlerins nationaux sont contraints de passer par un voyagiste, une agence de voyage privée ou ce qui est communément appelé ailleurs, «les professionnels du tourisme». Un créneau devenu en quelques années un véritable marché lucratif.

Otages, malgré soi

En effet, l’Etat, à travers son ministère des affaires religieuses, sélectionne annuellement certaines agences de voyages répondant, en principe, à un cahier des charges spécifique pour la campagne de la Omra et celle du Hadj. Mais la réalité sur le terrain est toute autre. Il semblerait que ce créneau est aux mains de ce qu’on l’on pourrait même qualifier de «réseau» en dehors duquel aucune action ne peut être entreprise. Les agences de voyages, du moins pour la région ouest du pays, se contentent de collecter les dossiers des futurs pèlerins. Tous leurs arguments de vente, tels que la proximité de la Kaaba de l’hôtel ou la qualité du lieu d’hébergement, ne sont en définitif que de la poudre aux yeux. Elles n’ont aucun pouvoir d’influer sur le cours des évènements ou de la programmation. Elles se contentent de remettre, moyennant bien entendu une commission, à un unique «intermédiaire» saoudien les dossiers de leurs clients. Lequel intermédiaire est obligé de prendre attache avec un organisme intermédiaire sur place dénommé «El Yamama», seul habilité à prendre attache avec le ministère saoudien du hadj et chargé d’organiser toute la logistique sur place.

Cet intermédiaire pousse le zèle jusqu’à confisquer les passeports des pèlerins durant toute la période de leur séjour en Arabie Saoudite. Il en fait des otages malgré eux. Ils ne leur sont restitués qu’une fois leur vol de retour officiellement confirmé par le chef d’escale d’Air Algérie sur place.

Ceci dit, la période de la Omra et du Hadj est une réelle aubaine pour les voyagistes qui, dès le dépôt du dossier du futur pèlerin, grignote des marges de bénéfices. Elles font les trois quarts de leur chiffre d’affaires durant cette période. Elles n’hésitent pas à user de mille et une astuces et subterfuges pour gonfler leurs revenus.

L’appât du gain plus fort que l’éthique

Certains voyagistes, outre les 135 000 dinars de frais du voyage et de la prise en charge, se chargent même de l’opération de change des devises et imposent, souvent à l’insu du pèlerin, des taux prohibitifs qui leur génèrent en moyenne 10 euros par passeport.

En tout état de cause, tout est fait pour générer des gains même les dates et heures de départs sont arrêtées de manière à ce que le voyagiste fasse de la plus-value. En effet, à l’aller comme au retour, les voyagistes programment les départs vers Djeddah ou Médine à 18h30mn de manière à ce que les hadjis passent la nuit en vol. C’est en fin de compte une nuitée d’hôtel à l’aller et une autre au retour de moins pour le voyagiste. Le pied à peine posé sur le sol saoudien, quatre heures du matin à Djeddah, que les accompagnateurs «organisent» le transfert par bus vers Médine occultant au passage le petit déjeuner. Souvent, ils ne prennent possession de leurs lieux d’hébergement qu’en fin de journée. Les voyages rituels aux lieux Saints de l’Islam constituent un véritable business car certains profitent de la faiblesse des pèlerins ignorants de leurs droits et pour lesquels ce voyage représente un véritable aboutissement spirituel.

Réduction des coûts à tout prix

Une fois sur place, c’est le véritable parcours du combattant qui commence. En effet, du coup, on se retrouve avec deux logiques diamétralement opposées qui s’affrontent. D’un côté, le voyagiste mue par la réduction au maximum du nombre de chambres à louer et de l’autre, les pèlerins pressés de s’installer enfin et d’aller commencer les manassikes (rites). Mis à part les couples mariés qu’il est contraint de mettre ensemble dans des chambres doubles, l’organisateur entasse le maximum de pèlerins dans un même espace. C’est ainsi que certains se retrouvent à trois, d’autres à quatre et même à cinq dans une chambre.

Que ce soit à Médine ou Mekka, les voyagistes usent des mêmes procédés pour faire le maximum de gains. Ni guide spirituel, ni prise en charge sanitaire encore moins d’encadrement durant toute la période de la Omra, les pèlerins, composés dans leur grande majorité de personnes âgées et analphabètes, se retrouvent seuls pris dans un tourbillon humain indescriptible. Sans vouloir jeter l’opprobre sur la profession des voyagistes et la corporation des agences de voyages qui, à ne pas en douter, renferme énormément de professionnels intègres, mais il est tout aussi admis que les pratiques citées ci-dessus sont monnaie courante et de très nombreux citoyens ont en fait l’amère expérience.

Traders en kamis

Le volet commercial du voyage reste pour de très nombreux professionnels un moyen non négligeable de faire de la plus-value. Certains font dans le commerce de l’or, d’autres dans celui des téléphones portables et pour les plus avisés, dans l’achat ou plus exactement dans le rachat de notre monnaie nationale. En effet, il est de notoriété que notre dinar national, spécialement le billet de mille dinars, s’échange en Arabie Saoudite à hauteur de 20 rials saoudiens. Certains compatriotes passent pour des spécialistes du rapatriement de notre monnaie. Selon des informations concordantes, il existe des réseaux très spécialisés et très rodés dans la mise en place de telles opérations. L’on saura à ce propos qu’au début de la campagne de la Omra, vers les mois de mars et d’avril, les réseaux se mettent en place ici même en Algérie par l’achat de sommes assez conséquentes en monnaie forte, particulièrement l’euro. Une fois en Arabie Saoudite, ils s’empressent d’acheter de grosses sommes en rials saoudiens souvent au cours le plus avantageux de 100 euros pour 400 à 420 rials. Ils mettent ainsi de côté (en dehors des circuits du commerce) durant toute la période de la Omra et du Hadj de forte sommes d’argent en rials. Une fois la campagne du Hadj et de la Omra clôturée, nos «traders» rachètent les dinars algériens avec les rials saoudiens souvent à des taux qui frisent l’entendement. C’est ainsi qu’ils réalisent des marges bénéficiaires très conséquentes et qu’ils rapatrient ensuite au pays.

Ceci étant dit, la religion musulmane n’interdit pas le commerce et le Hadj et la Omra ne connaissent pas la crise. Une véritable manne pour l’Arabie saoudite d’autant que le nombre de pèlerins devrait doubler d’ici 2018, avec la fin des travaux d’aménagement du Masdjid El Haram.

Saou Boudjemâa (L’Eco n°114 / du 16 au 30 juin 2015)