Tewfik Hamel, Politologue et spécialiste en géostratégie, à l’Expression : “Le paysage politique manque de sang neuf”

Tewfik Hamel, Politologue et spécialiste en géostratégie, à l’Expression : “Le paysage politique manque de sang neuf”

Revenant sur les «programmes» des partis, leurs démarches et le discours, Tewfik Hamel estime que les candidats en compétition pour les législatives du 4 mai sont loin de répondre aux attentes et exigences de la population. Sans exception.

L’Expression: La campagne électorale a bouclé sa première semaine. Que retenez-vous de cette course à l’hémicycle?

Tewfik Hamel! La médiocrité. Les populations veulent la démocratie, mais aussi l’efficacité. Dans de nombreux cas, les populations sont sorties dans la rue pour demander que soit retirée aux communes la gestion de certains dossiers qui est catastrophique (comme les écoles «kofat» Ramadhan, etc.) en faveur de la daïra ou la wilaya.

Des élus sans culture d’Etat et sans instruction sont un frein à la démocratisation et la décentralisation. Décentraliser davantage dans ces conditions c’est comme fournir une fusée à son fils de dix ans.

On est en pleine campagne pour les législatives du 4 mai prochain. Cette élection est considérée comme étant importante et par les partis de l’opposition et par ceux au pouvoir, surtout qu’elle intervient dans une conjoncture post-réforme.

Qu’en est-il selon vous?

Les institutions sont plus démocratiques que les hommes. Les pratiques n’ont pas trop changé. Il n’y a pas de sang nouveau qui a été injecté dans le paysage politique. Les appareils des partis sont entre les mêmes mains. Le phénomène de dépolitisation ne cesse pas de croître. Des situations exceptionnelles nécessitent des solutions exceptionnelles. Les candidats ne parlent pas des vrais enjeux: crise financière, l’insécurité et Daesh à nos frontières, corruption et crise morale, etc.

On constate une grande désaffection pour la chose politique. Excepté les quelques grands partis qui arrivent à mobiliser leurs militants et sympathisants, la majorité de la population semble complètement déconnectée de cette ambiance électorale. Comment expliquez-vous cette situation d’indigence dans laquelle se débat la scène politique nationale?

Les raisons sont multiples et profondes, elles ne sont pas toutes liées au pouvoir comme on l’entend souvent. Il y a des lacunes, mais aussi des réalisations. La responsabilité individuelle de chacun de nous est engagée. Une élection n’est pas une fin, mais un moyen pour améliorer la situation des populations tout en ayant le sentiment qu’elles participent à la prise de décision. Mais les hommes et partis politiques n’ont pas été à la hauteur des attentes. Ceci pose un dilemme de savoir si «la démocratie est une valeur intrinsèque (comme une fin en soi) ou instrumentale (par exemple, comme un moyen d’améliorer le niveau de vie du matériel)?». En d’autres termes, il faut sortir de cette vision idéalisée de la démocratie. La démocratie fonctionne sur la base d’un rapport de force. La société civile est presque inexistante et les partis politiques d’opposition sont fragiles et fragmentés. Mais il y a des réalisations. Il faut avoir à l’esprit que l’Algérie réalise l’un des taux les plus élevés dans le monde en termes de développement humain. Et, historiquement, toutes les sociétés qui ont réalisé des sauts qualitatifs et quantitatifs vers la modernité avaient un niveau d’instruction et un taux de développement humain importants.

Bien des observateurs parlent d’un nécessaire renouveau politique en Algérie. Ce renouveau doit se faire à quel niveau, le discours, la pratique ou les deux à la fois?

La survie des partis actuels passe par un changement profond au niveau des pratiques, discours et organisation. Les partis ne sont pas représentatifs de la société algérienne. Les femmes sont moins représentées. La force active est de plus en plus jeune et instruite alors que les appareils des partis sont entre les mains de vieux bureaucrates et souvent sans diplômes.

A vrai dire, les partis qui n’arrivent pas à surmonter le défi de renouvellement et intégrer un sang nouveau finiront par se désintégrer. Les sessions au sein des partis (du pouvoir aussi bien d’opposition) ne sont que les premières manifestations des transformations profondes que la société algérienne a connues depuis l’indépendance d’autant qu’aujourd’hui, on vit dans un monde conscient et connecté politiquement.

L’un des obstacles les plus sérieux à l’adaptation est que les institutions humaines (en particulier les bureaucraties qui tournent au jour le jour) n’existent pas pour s’adapter à un monde changeant et incertain. Elles visent à imposer l’ordre à un monde intrinsèquement désordonné et ambigu. Elles existent pour servir de frein à des changements importants qui perturbent les comportements. En fait, la plupart des bureaucrates s’opposent au changement, car cela représente une menace directe pour leur position. Un volontarisme politique pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques comme voter une loi (comme ça été fait pour les femmes) imposant que les listes des partis contiennent un pourcentage minimal de candidats ayant un diplôme universitaire, par exemple.

Sur l’ensemble des partis et des listes, seuls deux, le FLN et le RND, ont pu présenter des listes dans toutes les circonscriptions électorales, secondés par le MSP qui, lui, est présent dans 47 wilayas. Comment expliquez-vous ceci? Cette configuration exprime-t-elle une carte politique crédible?

Les nouveaux partis sont limités dans leurs moyens et dans un climat où l’espace politique a perdu de sa légitimé, il n’est pas facile d’élargir leur assise. Au-delà de la dépolitisation régnante, l’immaturité des partis politiques aggrave le problème. On ne le dit pas assez, le vrai et unique capital d’un parti politique est sa capacité de mobilisation.

Et cela nécessite un travail de longue haleine (il a fallu des années de travail acharné pour le mouvement des «Indignados» en Espagne, syriza en Grèce, Mélenchon en France, etc. pour avoir la popularité qu’ils ont). Tous les partis souffrent de faiblesses difficilement surmontables sans un vrai travail de renouvellement. Ni programme ni bonne idée ni leadership charismatique fort ni une stratégie de communication cohérente systématique.

Même les grands partis qui ont présenté des listes dans toutes les wilayas ne font pas mieux. Certes, il s’agit d’élections législatives et théoriquement les enjeux sont souvent locaux, mais il y a toujours une dimension nationale. Celle-ci doit être présente et visible dans les programmes des grands partis. Quel est l’état final recherché? Le renforcement de l’Etat et de la nation comme un tout organique? Personnellement, un parti qui ne cherche pas à corriger le déséquilibre Nord-Sud n’est pas éclairé des vrais enjeux et donc n’est pas prêt à gouverner.

La priorisation (hiérarchisation des priorités) est au coeur de la politique. A long terme, il faut penser à faire de Tamanrasset une capitale économique et culturelle du Sahel, penser sérieusement à développer une ligne ferroviaire Nord-Sud. Le développement du chemin de fer aux Etats-Unis a joué un rôle capital dans le renforcement du nationalisme américain. Cela sans parler des opportunités économiques en termes de croissance, création d’emploi, tourisme, etc.

Que pensez-vous des différents programmes présentés par les candidats, notamment les grands partis?

Un programme?! Il en existe un? Au-delà des cacophonies, la seule chose proposée est de dépenser l’argent public et jouer sur (et manipuler) la fibre nationaliste. Un programme c’est un ensemble de projets chiffrés, indiquant pourquoi, comment et combien au moins en termes généraux. C’est proposer un cap, une direction. La politique est l’art du possible. Proposer un programme financièrement réalisable, politiquement possible et souhaitable.

Une phase de pédagogie et d’explication est indispensable. Cela nécessite un travail de planification rigoureux qui, à son tour, exige une analyse minutieuse de la situation. Ensuite penser à traduire cette analyse en lignes politiques qui doivent être traduites en termes de stratégies et d’harmonisation de fins et moyens. Les partis politiques algériens sont-ils dotés de commission de réflexion et de planification? Probablement non, ou sont des coquilles vides, sinon comment expliquer que la moitie des candidats n’a pas le bac.