Tewfik Hamel, chercheur en histoire militaire, politologue: «Le remplacement de Lamamra ne met pas fin au déficit structurel de la diplomatie algérienne»

Tewfik Hamel, chercheur en histoire militaire, politologue: «Le remplacement de Lamamra ne met pas fin au déficit structurel de la diplomatie algérienne»

Le Temps d’Algérie : Comment avez-vous perçu les changements intervenus au MAE ? Qu’est-ce qui a dicté selon vous le choix de Messahel et le sacrifice de lamamra ?

Tewfik Hamel : Le système algérien est très opaque pour se faire une idée claire. M. Messahel et M. Lamamra sont deux personnalités qui maîtrisent leur domaine. Le point positif est de mettre fin à une diplomatie à deux têtes. Les rivalités bureaucratiques ne sont pas propres au système algérien. La théorie organisationnelle suggère que les organisations sont créées pour accomplir certaines missions. Les organisations favorisent des politiques qui augmenteront l’importance de leur organisation et lutteront pour des capacités qu’elles considèrent comme essentielles à leur essence. Les analyses mettent en cause les institutions plutôt que les individus. L’adaptation à des circonstances inattendues teste l’organisation en révélant des faiblesses qui sont en partie structurelles et partiellement fonctionnelles.

En clair, le remplacement de M. Lamamra ne met pas fin au déficit structurel de la diplomatie algérienne. La question la plus importante est de savoir quels critères et sur quelles bases ce remaniement a été effectué… Le gouvernement précédent n’a jamais présenté son bilan devant le parlement alors que l’évaluation stratégique représente un élément crucial de la capacité d’un État à adapter la stratégie à l’évolution des conditions de son environnement intérieur et extérieur. Pourtant, il s’agit d’une zone peu étudiée et les fonctionnaires supérieurs ont la responsabilité d’apporter des contributions substantielles.

Quelles seront d’après vous les priorités de la diplomatie version Messahel ?

Encore une fois, peu d’éléments ont été communiqués. Mais en se basant sur le parcours de M. Messahel, il semble que l’Afrique reste une «priorité» de la diplomatie algérienne. La priorisation signifie : que cherche l’Algérie à réaliser en Afrique ? Accès aux marchés ? Lutte antiterroriste ? Sahara Occidental ? D’autre part, les stratégies axées sur des régions ou des pays doivent être combinées et alignées correctement avec des stratégies fonctionnelles. L’accès aux marchés nécessite une réactivation de la diplomatie économique, ce qui n’a pas de sens si vous n’avez pas un tissu productif national pour exporter. Le nouveau premier ministre a mis l’accent sur l’impératif de mettre fin à la dépendance de l’économie nationale des hydrocarbures.

Cela signifie développer le tissu productif algérien, et par là même, attirer les capitaux et les investisseurs nationaux et étrangers. Cela implique des clarifications claires du modèle économique qu’adopte l’Algérie. Quelle place aux acteurs privés et quel sera le rôle de l’Etat ? Avoir de l’influence en Afrique passe forcément par l’économie. Comment agir si l’on ne permet pas aux acteurs privés de se développer ? Comment ces acteurs privés pourront-ils agir en Afrique si l’on continue à restreindre les sorties de capitaux ? Des choix clairs doivent être faits. Diversifier signifie développer d’autres secteurs comme l’agriculture et le tourisme. La diplomatie ne peut pas être dissociée des objectifs nationaux. Si la diversification économique est la priorité, alors quel rôle la diplomatie peut-elle jouer dans la promotion du tourisme en Algérie par exemple.

Comment parvenir à un redéploiement efficace de notre diplomatie dans une époque où le lobbying gagne de plus en plus d’espace et d’influence ?

Il ne faut pas sous-estimer les réalisations de la diplomatie algérienne. Elle était plus efficace par le passé, certes. Une évaluation stratégique s’impose pour corriger les lacunes. Peut-être est-il nécessaire de revoir les méthodes de recrutement et mettre en place de nouvelles voies de promotion des fonctionnaires plus rigoureux. Développer la diplomatie parallèle renforcera la diplomatie algérienne. La diplomatie parlementaire, la création d’une cyber-équipe proactive aux affaires étrangères chargée de promouvoir l’image bienveillante de l’Algérie, faire taire les rumeurs comme c’est le cas récemment avec le Maroc, opérations d’intoxication si nécessaire, participation à des expositions internationales… sont autant de domaines où l’Algérie doit faire beaucoup d’efforts. J’insiste cela dit sur la formation.

Il faut un personnel bien formé pour ce type d’opérations. Il y a de nombreuses idées qui méritent d’être étudiées et approfondies selon le contexte et l’objectif fixé. Par exemple, pourquoi ne pas envisager, avec la construction de la Grande mosquée d’Alger, la création d’une école et d’un centre régional de théologie moderne dont l’une des missions serait la formation des imams avec des programmes modernes adaptés aux défis actuels ? Une telle une initiative mérite d’être approfondie car l’Algérie pourrait en tirer des bénéfices si une stratégie systématique est mise en place. En Europe, au Sahel et même dans le pays arabes, les besoins en la matière sont énormes. Seule une institution véritablement nouvelle pourrait vraiment s’imposer dans ce paysage fragmenté.

C’est dans cette phase d’incertitude que l’Algérie qui a battu vigoureusement et sans relâche l’obscurantisme islamiste pourrait devenir le centre d’un Islam des lumières, elle qui était «la Mecque des révolutionnaires». Des obstacles existent, mais ils sont surmontables. Le prestige de la grande mosquée étant gigantesque, faire participer des institutions régionales comme l’Union européenne, l’Union africaine… ne fera que renforcer la place de l’Algérie et contribuera à hisser ce centre à un statut régional incontestable.