Présidentielle française : Alger, “the day after”

Présidentielle française : Alger, “the day after”
Deux obsessions traversent les réseaux sociaux ainsi que les médias algériens : les finalistes du second tour de la présidentielle française, Macron et Le Pen.

Pour les Algériens, la ligne de fracture entre les deux candidats du deuxième tour est claire : Macron a été le seul candidat à se rendre à Alger pour, en plus, qualifier le colonialisme de « crime contre l’humanité », alors que Marine Le Pen restera la fille de son père, Jean-Marie, un parachutiste qui a participé aux tortures lors de la guerre d’indépendance, une « raciste » anti-immigration, « anti-algérienne ».

Macron a la cote

Le quotidien El Watan, qui voit déjà une victoire du leader du mouvement En marche !, titre son éditorial ce lundi matin « Une chance pour les relations franco-algériennes ». « Les Algériens ne peuvent pas ne pas se réjouir de la position de favori de Macron pour le deuxième tour. Le jeune candidat de 39 ans a, en effet, réussi à capter l’intérêt des Algériens depuis qu’il a prononcé la fameuse phrase qui a sans doute constitué un tournant important dans la campagne électorale », écrit le journal francophone, évoquant justement la déclaration de Macron, en février à Alger, sur la colonisation. El Watan estime aussi qu’une victoire de Macron « rassurera également les musulmans de France, dont on compte des milliers d’Algériens. Ces derniers sont inquiets de la montée en puissance de l’extrême droite qui a montré, hier soir (dimanche), qu’elle peut toujours se révéler dangereuse malgré l’existence d’un front républicain qui lui barrera sans doute la route à l’Élysée ».

Mais, pour d’autres médias, comme le site d’information Algérie patriotique, le débat serait ailleurs : la montée du vote Front national : « Cette percée historique de la candidate du FN est à la fois un message cinglant exprimant le refus des politiques adoptées jusqu’ici, que ce soit en matière de mondialisation, d’Europe et d’immigration, et une menace contre le système politique traditionnel. »

Ou comme l’éditorialiste du quotidien La Tribune, Noureddine Khelassi, qui résume les batailles politiques à venir en France dans un post Facebook : «  L’affrontement se fera dorénavant entre trois pôles : celui de l’argent roi et le chacun pour soi représenté par le mouvement En marche !, la droite et les sociaux-libéraux du défunt Parti socialiste ; celui du rejet des autres et du repli sur une nation ethnique représenté par le Front national ; celui d’un projet émancipateur, social et écologique représenté par le mouvement La France insoumise. » Une optique battue en brèche par l’auteur et journaliste Abed Charef, toujours sur Facebook : « Ah, les intellos de gauche (algériens) ! Ils adorent Mélenchon, détestent Macron, citent abondamment Chomsky et finissent au RND par « nécessité stratégique » (second parti du pouvoir après le FLN). Pour eux, Macron, c’est le vide. Un produit de la finance. Rothschild, disent-ils, comme une insulte, ou une fatwa. C’est pourtant le seul candidat à avoir dit que le colonialisme est un crime contre l’humanité. »

« Je me suis fait pourrir par la majorité de mes invités »

Tareq, 55 ans, Franco-Algérien, patron d’une boîte de communication et installé à Alger depuis sept ans, a organisé une soirée électorale chez lui, dans un spacieux appartement avec vue sur la baie d’Alger. Algériens, Franco-Algériens, expats ou couples mixtes partageaient pizzas et bières locales devant l’écran géant où dès 19 heures (décalage horaire oblige) tombent les résultats. « En France, j’aurais voté à gauche, mais là, quand tu es confronté aux réalités du monde au-delà de nos frontières, tu comprends que la mondialisation, la rationalisation des dépenses, le statut de petite puissance française, ce n’est pas une fiction, alors moi ,j’ai voté Macron et me suis fait pourrir par la majorité de mes invités », témoigne-t-il.

Parmi ses invités, Marie, 40 ans, une Toulousaine qui a lancé, depuis douze ans, des cycles de formations pour les entreprises algériennes. Elle vit loin des quartiers « sécurisés » pour expatriés, choisissant d’habiter la banlieue est d’Alger, seule étrangère dans un vieux quartier (« où surtout, précise-t-elle, les barbus sont aux petits soins » avec elle selon l’antique tradition de l’accueil arabe). « Je ne suis pas allée voter parce que j’ai envie de marquer mon rejet de ce système. J’ai passé trop d’années à voter contre et je trouve qu’au final cela ne sert pas les citoyens, juste à légitimer des politiques qui soit s’engraissent sur notre dos, soit perpétuent un clientélisme et une oligarchie qui n’ont rien d’une démocratie. »

« Je vis en Algérie, autant dire que ces mots ont un sens pour moi. Pourtant, quand je vois que Fillon est allé jusqu’au bout sans que ni les militants ni la justice ne trouvent à redire, j’en conclus que la France n’a pas de leçons à donner aux autres. Je ne veux plus qu’on instrumentalise mon vote. J’ai voté Hollande par défaut et j’ai passé cinq ans à me dire Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Eh bien, cette année, barrakat (assez) ! » Marie meuble, un tant soit peu, ce qu’elle appelle son « désespoir » par les pushs Twitter qu’elle reçoit. Tous ces Algériens qui, le soir du premier tour, se sont mis à commenter sur les réseaux sociaux les résultats du premier tour. Sur son smartphone, elle garde ce tweet de Hamdi, journaliste au Huffington Post Algérie : « Le jour où Macron est né, Bouteflika avait 41 ans et pouvait déjà être candidat à la présidence algérienne. » Le président algérien, à son quatrième mandat, a fêté, le 2 mars, ses 80 ans.