Patricio Yanez «Allemagne-Autriche ? Le plus grand scandale de la Coupe du monde»

Patricio Yanez  «Allemagne-Autriche ? Le plus grand scandale de la Coupe du monde»

250px-Patricio_Yáñez.jpg«Assad était talentueux, fort, mais aussi très correct sur le terrain.»

Même avec un peu d’embonpoint, Patricio Yanez, la star de l’équipe chilienne lors du Mondial-82, était reconnaissable grâce à ses yeux verts et ses cheveux raides.

Celui qui a rendu folle la défense algérienne en deuxième mi-temps du match Chili-Algérie est aujourd’hui consultant à Bio Bio, une radio de son pays. Son objectif est pourtant clair : voir un ancien international chilien prendre la place de Bielsa, l’actuel entraîneur, après le Mondial. «Le football aux footballeurs», c’est le leitmotiv de Yanez. «S’ils sont Chiliens, c’est encore mieux», précise-t-il. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Yanez replonge aussi dans le passé pour nous parler de la Coupe du monde 82 et de l’Algérie.

Bonjour M. Yanez, acceptez-vous de discuter avec un journaliste algérien pour parler un peu du passé ?

(Il nous serre la main très fort) Oui, avec plaisir. Laissez-moi juste le temps de faire les analyses d’après- match et je serai à vous. Vous savez, je n’ai pas de bons souvenirs de notre match contre l’Algérie, mais j’en parlerai quand même. On se voit au parking.

Le Chili ne réussit toujours pas à passer l’obstacle psychologique des 8es de finale. Que s’est-il passé ce soir face au Brésil ?

Je crois que l’erreur principale du sélectionneur, c’est de choisir un système de jeu et de demander aux joueurs de s’y adapter. A sa place, j’aurais choisi mon système selon la qualité des joueurs que j’ai en main. Bielsa a trop respecté le Brésil au point de jouer sans un attaquant de pointe. Il a fallu que le Brésil nous marque deux buts pour que le Chili joue mieux et crée le danger. C’était malheureusement trop tard.

Tous les observateurs, dont Cruyff, Bebeto et Maldini, sont pourtant unanimes pour dire que le Chili a présenté le meilleur football durant cette Coupe du monde …

Oui, mais il n’y a pas de continuité. C’est bien de faire le spectacle, mais quand je vois le parcours de l’Uruguay, je me dis qu’il faut parfois sacrifier le jeu au profit du résultat. C’est ce qu’on retient à la fin.

Etes-vous pour ou contre le maintien de Marcelo Bielsa ?

Je vois que tout le monde veut que Bielsa reste encore jusqu’en 2014. C’est bien qu’il y ait cette forme d’unanimité, mais je suis de ceux qui pensent qu’il faudrait d’abord dresser le bilan de Bielsa, non seulement en Coupe du monde, mais durant toute sa présence à la tête de la sélection. C’est à partir de là qu’on pourra dire s’il doit rester ou pas. Toutefois, il y a lieu de méditer lorsqu’on voit le parcours de l’Uruguay ou du Paraguay qui ne jouent pas aussi bien que nous, mais qui sont en train de réaliser un excellent parcours. Ce que fait Bielsa n’est pas forcément la vérité.

Vous voyez-vous à la tête de la sélection ?

Moi non, mais un ancien international oui. Le football doit revenir aux footballeurs, c’est cela ma philosophie. Regardez Maradona, on a longtemps critiqué sa nomination à la tête de la sélection de son pays, mais il est en train de réaliser de belles choses. Lui, il sent le joueur et le comprend. Pour Maradona, les joueurs sont au-dessus de la tactique.

En Algérie justement le débat bat son plein sur l’utilité d’engager un entraîneur étranger ou de faire confiance à un ancien international algérien comme Madjer…

Mais vos meilleurs résultats, vous les avez réussis avec des entraîneurs algériens, non ? Je me rappelle qu’en 82, l’Algérie avait un staff technique algérien qui a bien fait son travail. Je suis incapable de dire quelle est la bonne formule qui permettra à l’Algérie de continuer à progresser, mais Madjer a un vécu tellement riche qu’il peut faire l’affaire à la tête de la sélection.

Avez-vous suivi le parcours des Algériens ? Si oui, qu’en pensez-vous ?

J’ai suivi les matchs des Algériens à la télé et je suis arrivé à la même conclusion que pour le Chili. Nous avons du mal à dépasser le cap des 8es de finales et vous avez du mal à passer le premier tour. La solution ? Le travail et la stabilité à tous les niveaux. Vous revenez en Coupe du monde après plusieurs années d’absence, c’est bien. Maintenant, il faut voir plus haut en pensant à faire bonne figure parce que, quoi qu’on dise, l’Algérie n’a pas fait grand-chose durant ce Mondial.

L’équipe actuelle peut-elle être comparée à celle que vous avez affrontée en 82 ?

Vous savez, c’est difficile de comparer deux générations de footballeurs, mais l’équipe 82 était trop forte. Collectivement, ils étaient forts et ils possédaient beaucoup de joueurs de talent.

Que vous rappelle ce match Algérie-Chili du 24 juin 82 à Oviedo ?

Beaucoup de souvenirs et pas forcément bons. On était partis pour réaliser une grande Coupe du monde et on rentre à la maison avec zéro point et trois défaites. Notre objectif face aux Algériens était de sauver l’honneur par une victoire ou un nul, mais finalement on y a pas réussi parce qu’on face il y avait une grande équipe et de grands joueurs qui semblaient décidés à se qualifier au second tour. Je me rappelle surtout de la première mi-temps durant laquelle les Algériens nous ont littéralement asphyxiés.

Y a-t-il un joueur en particulier qui vous a marqué ?

Tout le monde parlait à l’époque de Madjer et Belloumi, mais moi je n’oublierai jamais Salah Assad qui nous a marqué deux buts. C’était un joueur complet : il était ultra rapide, physiquement très fort et techniquement talentueux. C’était le prototype du joueur moderne.

Que vous avait dit votre entraîneur à la pause lorsque vous étiez menés 3 à 0 ?

Il nous a dit qu’on ne pouvait pas faire pire et qu’il fallait réagir pour au moins sauver notre honneur. Nous avons inscrit deux buts et nous aurions pu égaliser en fin de match.

Comment avez-vous vécu la victoire de l’Algérie contre l’Allemagne ?

C’est à peu près le même sentiment que j’ai eu après la victoire de la Suisse contre l’Espagne. On était d’abord surpris, puis admiratifs devant le jeu produit par les Algériens. C’est là qu’on a compris que la qualification était presque impossible.

Comment le Chili a pu rater son Mondial avec des joueurs aussi talentueux ?

Nous avions commis deux erreurs graves à l’époque : nous ne nous étions pas bien renseignés sur l’Algérie considérée à l’époque comme l’équipe la plus faible du groupe et nous avons effectué un trop long stage de préparation. Figurez-vous que nous n’avions visionné aucune cassette des matchs de l’équipe algérienne. Nous savions pourtant que cette équipe avait donné une leçon de football au Pérou et battu de grandes équipes durant sa préparation.

Au lendemain de Chili-Algérie, il y a eu Allemagne-Autriche…

(Il nous coupe) Ce match a été pour moi le plus grand scandale de la Coupe du monde. Cela n’a pas pour autant empêché les Algériens d’entrer dans l’Histoire par la grande porte. Vous avez été probablement la seule équipe à ne pas se qualifier avec six points et grâce à vous la FIFA a revu la programmation des matchs. Cela suffit à vous rendre fiers.

Il y a plus d’un an, le gardien de but allemand Shumacher a reconnu publiquement que le match Allemagne-Autriche avait été arrangé. De tels aveux peuvent-ils refermer la plaie ?

Ça peut peut-être diminuer la douleur, mais la plaie sera ouverte à jamais. Les aveux sont trop tardifs pour permettre aux Algériens d’oublier un tel scandale, une telle honte. Un professionnel digne de ce nom n’a pas le droit de tricher à un si haut niveau pour barrer la route du deuxième tour à une équipe qui méritait d’aller loin dans cette Coupe du monde 82.

Que pouvez-vous dire aux joueurs algériens que vous aviez affrontés en 82 ?

J’aimerais bien rencontrer l’un d’eux un jour parce que je garde l’image de joueurs talentueux, mais très corrects sur le terrain.

Les Algériens jouaient pour une place au second tour et nous on jouait pour l’honneur, mais cela ne les a pas empêchés de se comporter comme des gentlemen sur le terrain.