Mohamed sebaibi , Président de l’organe national de prévention et de lutte contre la corruption , À L’EXPRESSION : “L’Organe est un réceptacle de dénonciations”

Mohamed sebaibi , Président de l’organe national de prévention et de lutte contre la corruption , À L’EXPRESSION : “L’Organe est un réceptacle de dénonciations”

Le président de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, Mohamed Sebaibi, est un commis de l’Etat, il a vu sa carrière se consolider à travers sa contribution au niveau des institutions souveraines, à l’image de la Présidence et aussi la chefferie du gouvernement, il a été deux fois chef de cabinet, la première c’était au temps du gouvernement Belkhadem, la deuxième durant la période du gouvernement Ouyahia 2. Maintenant il occupe un organe sensible dont le rôle n’est pas reluisant ni une mince affaire.

L’Expression: Pour commencer, pouvez-vous nous parler de l’organe et de ses missions dans le cadre de la prévention et la lutte contre la corruption?

Mohamed Sebaibi: L’organe que je préside depuis une année a été créé suite à la convention des Nations unies pour la prévention et la lutte contre la corruption. Le décret qui est intervenu trop tôt pour la création de cet organe c’est bien sûr l’adoption de la loi de 2006. Cet organe n’a en fait été effectif qu’en 2011, le premier mandat a pris fin en 2016 et le deuxième mandat a été confié à d’autres personnes, c’est-à-dire à un autre président et ses membres chargés de veille et de l’évaluation. Quand on parle de la corruption on va tout de suite à la lutte…

Ça va avec, n’est-ce pas?

Ça va avec, oui. En général, l’Algérie n’a pas attendu la convention de Vienne en tant qu’Etat digne de ce nom pour qu’elle prenne en charge le volet de la corruption, l’appareil judiciaire a pris des mesures par rapport à la lutte contre la corruption, et quand il y a infraction, il y a une sanction du point de vue de la justice.

Mais est-ce que cela est suffisant ou il va falloir mettre en place d’autres mesures juridiques spécifiques pour lutter contre ce fléau?

Non, pas du tout, le système judiciaire est complet dans ce sens. Pour ainsi dire, nous sommes un pays pionnier dans ce domaine et très bien outillé du point de vue des textes et de l’organisation sur tout le territoire. Les services de sécurité sont très outillés et leur personnel aussi jouit de cette compétence, ils sont dotés de moyens très perfectionnés en matière de lutte contre la corruption. Vous avez tout le système judiciaire qui joue son rôle fondamental comme couronnement d’une sanction, quand quelqu’un est reconnu coupable, il y a un certains nombre de peines qui s’ensuivent.

La réflexion pour les Etats s’est située en fin de compte, c’est la question qui se pose tout le temps: pourquoi on arrive jusqu’à la justice? Alors qu’on sait que dès le départ on doit sensibiliser, on va connaître quels sont les risques, quelle est la formation des gens pour bien comprendre la chose, et mieux encore pour bien comprendre la procédure afin de lutter contre la corruption…

Voulez-vous dire qu’il faut d’abord asseoir une démarche pédagogique avant tout?

Ça, c’est une partie la démarche. Mais il y a les insuffisances législatives et réglementaires et corriger et moderniser, amener les gens a être plus vigilants dans l’administration et les entreprises privées ou publiques, sans distinction. C’est la démarche qui a été arrêtée dans ce sens, il s’agit d’un volet de sensibilisation et de formation, ça c’est le premier volet. Le deuxième volet, c’est celui qui consiste à ce que les cadres et les hauts responsables fassent leur déclaration de patrimoine. Donc, le législateur a prévu deux types d’organes qui doivent être le réceptacle et pour recevoir les déclarations sur le patrimoine au niveau de la Cour suprême et il y a l’organe. Pour la Cour suprême ça touche un certain nombre de fonctionnaires étatiques, cela relève d’une certaine démarche qui a été faite bien avant la création de cet organe et même bien avant la mise en place de cette loi, pour déclarer, surtout pour certains fonctionnaires, la mesure a existé il y a de cela bien longtemps. La différence entre la Cour suprême et l’organe c’est que nous nous avons des milliers de fonctionnaires et d’élus et d’institutions sensibles et stratégiques, surtout par rapport à la Fonction publique, ils sont environ 100.000, et puis il ne faut pas oublier les élus locaux au niveau des communes et des wilayas. Dans ce sens, les élus sortants, tous vont déclarer leur patrimoine d’une façon systématique, il n’y a aucune distinction.

Ce n’est pas le mécanisme constitutionnel qui est venu pour consolider cette démarche?

Non, c’est une règle. Pour continuer, ensuite même pour ceux qui sont élus, cela veut dire que même ceux qui viennent d’être réélus doivent faire encore une fois la déclaration sur le patrimoine. Pourquoi? c’est pour déterminer l’état de leur patrimoine et les investigations nécessaires qui vont se faire par les moyens appropriés. Cela donne un peu le chiffre concernant ceux qui sont concernés par la déclaration de patrimoine. Le deuxième aspect qui va être pris en charge, mais lentement, c’est le conflit d’intérêts. Nous sommes en train de préparer des choses par rapport à cet aspect.

Pardon, pouvez-vous être plus explicite par rapport à ça? C’est quoi un conflit d’intérêts pour que les lecteurs puissent comprendre?

Par exemple, vous, vous travaillez dans le journal L’Expression, du coup vous allez chez un concurrent et tout ce que vous avez eu comme documents, vous allez enrichir votre concurrent. Donc vous allez porter préjudice à votre ancien employeur, cela est considéré comme une forme de corruption. Mais cet exemple concerne des enjeux plus délicats et profonds sur le plan économique. Par rapport à ce conflit d’intérêts, n’importe qui peut saisir l’organe qui doit suivre ça. Il y a une forme, c’est que tous les fonctionnaires et les élus sortants doivent faire encore une fois une déclaration, même si c’est pour aller ailleurs. Et cette déclaration doit venir d’eux-mêmes. Cette déclaration comporte l’objet d’aller ailleurs avec une explication qui étaye la raison en rapport avec cette décision d’aller travailler ailleurs.

Avec cette démarche le concerné va le sentir. Pourquoi? parce qu’il a été sensibilisé. C’est là où réside le volet de la formation et de la sensibilisation dont on en a parlé précédemment.

Et c’est à ce niveau qu’on est en train d’investir. Et la troisième catégorie de missions, c’est aussi un réceptacle de dénonciations, ce qui est normal pour notre organe. Si vous recevez des dossiers à examiner, c’est normal, cela exige d’avoir des compétences qui sont prévues par la loi qui encadre l’organe bien sûr, mais pas exclusivement à l’organe, c’est aussi le cas pour d’autres structures qui ont trait à cette mission. Mais quand les affaires de ce genre sont en justice, on laisse cette dernière faire son travail pour ne pas entraver le processus. Mais si vous êtes saisi, en sachant que 80% des lettres sont des lettres anonymes, même si elles sont parfois farfelues et relèvent de la médisance qui sont punissables devant la loi. Mais nous estimons que la convention de Vienne exige l’étude de ces lettres, donc nous les étudions et nous faisons un tri. Ceci dit, nous avons des moyens pour déceler ces lettres, mais si nous n’avons pas de connaissances nous pourrons saisir l’administration concernée.

Dans ce sens, justement, comment l’organe agit par rapport aux dénonciations qui puissent émaner d’un support médiatique en général?

Vous m’excusez, je vous respecte beaucoup, mais là, je ne parlerai que de l’organe.

Avec les institutions, c’est évident. Pour continuer, je disais que nous sommes saisis en tant qu’organe, et nous voyons que c’est consistant, alors dans ce cas nous saisissons le procureur au niveau de la justice qui actionne le ministère public qui ouvrira ou n’ouvrira pas le dossier, nous en tant qu’organe nous nous contentons de la saisine, parce que nous n’avons pas la compétence. Et pour étayer la saisine, nous sommes obligés de saisir parfois d’autres secteurs et ces secteurs sont tenus de nous en informer. C’est-à-dire des secteurs qui sont inhérents à notre mission. Donc, vous avez cet aspect, mais aussi l’organe est chargé de consolider la coopération internationale et nationale avec les institutions qui sont chargées de la lutte contre la corruption. Ça c’est un autre volet, et cette coopération doit se faire par palier et lentement et il ne faut pas effrayer tout le monde, effrayer, c’est-à-dire qu’il faut tenir compte des frontières qui séparent les institutions entre elles et selon les missions qui leur sont dévolues. Pour être plus clair, il ne faut pas qu’il y ait d’interférences dans les compétences. Ce qui implique qu’il faut mettre certaines règles pour ne pas gêner ni l’un ni l’autre et s’ouvrir à une meilleure prise en charge et effective.

Dans ce sens nous avons mis tout un programme avec un certain nombre d’Etats dans le cadre de la formation et la sensibilisation dans le cadre global de la coopération. Comment peut-on classer et stratifier la notion qui a trait à la corruption et à son acte?

Pour ce qui est de la définition d’abord, vous avez plusieurs organismes internationaux qui définissent la corruption de façon à regrouper toutes les définitions, comme par exemple ça fait mal, donc il m’a frappé. Il y a aussi un autre exemple concret qui j’ai eu à vivre dans le cadre d’une conférence africaine sur la question de la corruption, j’ai eu une rencontre avec quelqu’un appartenant au Tchad qui maîtrise bien le français et l’arabe à la fois, il m’a dit «pourquoi dire «al fassade» alors que «rachwa» c’est mieux et plus juste». Donc, le mot «fassad» englobe beaucoup de choses. Pourquoi ça englobe beaucoup de choses? la corruption ce n’est qu’un élément d’une action ou deux actions entrecoupées. Si je me rapporte à ce qui a été dit dans la presse, M.le ministre du Commerce a dit qu’il y a énormément de transfert d’argent, donc la valeur du produit pose problème dans les pays comme le nôtre. Donc, dans ce genre de situations il y a de la corruption. qu’est-ce que ça veut dire? ça veut dire qu’il y a une surfacturation là-bas à l’extérieur, il ne vend pas comme ça, ce transfert d’argent est considéré comme illégal, s’il est en France à titre d’exemple, c’est qu’il est illégal. Pour ainsi dire, c’est un gain illicite. C’est là où réside la corruption.

Donc, vous imaginez, sur le plan économique il y a corruption, en matière de droits de l’homme il y a corruption. c’est pour cela que le législateur a pris en compte le mot «al fassade» à cause de la complexité de ce phénomène.

Est-ce que l’Algérie dispose de moyens adéquats pour faire face à ce fléau que ce soit au plan coercitif ou au plan de la sensibilisation et pédagogique?

Dans ce sens, l’Etat s’est doté de moyens juridiques et de ressources humaines pour identifier l’acte de corruption et pour sanctionner les corrupteurs et les corrompus; ce qu’il faut savoir est que le corrompu a des peines plus élevées et sévères que le corrupteur. Bien sûr, le législateur s’est mis au diapason de tout ce qui se passe dans le monde.

Parce que la corruption est devenue un frein pour le développement et plus que ça elle dilue la société. C’est-à-dire qu’il n’y a plus de règles et de vertus et de valeurs. A partir de ce moment-là, les sociétés et les gouvernants ont pris conscience que ça ne pouvait pas être comme ça. L’Algérie pour vous dire, dès la préparation et l’élaboration de la convention, était aux avant-postes. L’Etat algérien a ratifié la convention et son adoption en 2004 jusqu’à l’intégrer dans sa législation et pour ainsi dire la corruption relève d’un phénomène mondial. Depuis, d’ailleurs, la législation algérienne a compris que le terrorisme et le crime organisé et la corruption sont intimement liés.

Le dernier mot par rapport à la corruption dès lors que votre organe a été mis en place pour lutter contre elle…

Nous au sein de l’organe, nous nous considérons comme des militants pour la cause de la lutte contre la corruption.

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