L’exploitation des gaz de schiste : une erreur ou une solution ?

L’exploitation des gaz de schiste : une erreur ou une solution ?

L’annonce des projets d’exploitation du gaz de schiste a suscité un tollé. Une large majorité d’Algériens s’oppose à l’exploitation du gaz de schiste. Les manifestations se sont propagées depuis l’annonce fin décembre du premier forage pilote.

Pourtant, les pouvoirs publics comptent investir pas moins de 70 milliards de dollars sur 20 ans, pour produire 20 milliards de m3 annuels de gaz de schiste. Selon eux cela permettra de créer 50.000 emplois. Sur ce point là, il est évident que cela ne permettra pas de résorber le chômage qui touche 1,2 million d’algériens selon les chiffres officiels.

Face à l’incapacité des autorités à compenser la baisse de ses revenus pétroliers et à créer des emplois grâce au développement d’une économie diversifiée. Ceux-ci ont décidés d’accélérer le calendrier d’exploitation des gaz de schiste ; dans le but de faire face d’une part à la baisse du prix, et d’autre part à la contraction de la production d’hydrocarbures d’environs 15% sur la période 2005-2013, et qui devrait continuer de diminuer de 290 000 b/j à horizon 2019  selon l’AIE.

Aujourd’hui, le pétrole à lui seul ne représente que 50% de la production et 68% des devises du pays (soit 44 Milliards de dollars). Or, il est certain que compte tenu de la conjonction des deux facteurs précédents, nous ne pourrons plus disposer d’un tel revenu, surtout lorsqu’on ajoute à cela une consommation interne qui devrait doubler à horizon 2030. Face à ces perspectives négatives, il est certain que nous devons trouver des solutions non seulement pour assurer des revenus en devises pour le pays, mais aussi pour sécuriser nos futurs besoins énergétiques.

Au-delà des problématiques environnementales majeures que peuvent générer l’exploitation par la fracturation hydraulique, faisant peser un risque inconsidéré sur les réserves gigantesques d’eaux souterraines du Sahara (phréatique et albienne), il est indispensable de connaitre au préalable l’impact financier d’une exploitation massive sur l’économie du pays.

Compte tenu de l’opacité des informations concernant le gaz de schiste algérien, il est donc très difficile de répondre de façon précise sur le sujet. Hormis les hypothétiques estimations de réserves faites par l’EIA ou par des cabinets spécialisés, aucune étude n’a été publiée concernant le bénéfice du gaz de schiste sur l’économie du pays.

Toutefois, la dernière décennie aux Etats-Unis permettrait de tirer un certain nombre d’enseignement suffisant pour prendre position. Elle montre clairement que l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels a permis de créer plusieurs centaines de milliers d’emplois et a offert l’avantage d’avoir une énergie très bon marché. Mais cette bonne nouvelle pour le consommateur n’est pas forcément bonne pour les exploitants.

En effet, le cours du gaz naturel est passé de 13.4 $ en 2008 à  3.5 $  en décembre 2014. Plus difficile encore, la production d’hydrocarbures non conventionnels atteint son pic dès son ouverture, et décline six fois plus vite que le gaz naturel. Le schiste peut chuter de 60% ou plus après douze mois exploitation, comparé à 7-10% pour un puits classique. Afin de maintenir un niveau de production suffisant, il est nécessaire de forer sans cesse de nouveaux puits, le graphique (ci-dessous) de l’EIA en Louisiane montre clairement la vitesse de ce déclin et ceci malgré l’augmentation des forages. En 2013, les Etats-Unis ont forés pas moins de 45 000 puits de pétrole et de gaz, soit plus que l’ensemble des forages dans le reste du monde. Aujourd’hui, les capacités matériels et surtout humaines de la Sonatrach ne pourront jamais avoir une telle approche productiviste.

courbe de declin de gaz de schisteaugmentation des puis

En complément, des points évoqués précédemment les puits des gazs de schistes coûtent le double des puits classiques. Tandis que le rendement de la production décline dix à quinze fois plus vite au terme de sa première année d’exploitation. Il semble évident que la production Algérienne de schiste ne sera jamais compétitive face à celle du Golf, de l’Iran ou de la Russie

Dans ces conditions, il est difficile de rentabiliser les investissements colossaux que demande cette extraction. Aux Etats-Unis de nombreux experts mettent sérieusement en doute le bien-fondé économique de la fracturation hydraulique. Même le patron d’Exxon a déclaré dans le Wall Street Journal « Exxon: ‘Losing Our Shirts’ on Natural Gas ».  Au Royaume-Uni, selon les experts l’exploitation de gaz de schiste dans le bassin de Bowland, coûteraient entre 8 et 12 dollars le million de BTU. En Pologne, le gouvernement polonais a délivré au total une centaine de licences de prospection de gaz de schiste. Plusieurs entreprises comme Total, Exxon, Talisman et Marathon Oil ont purement et simplement abandonnés les recherches pour raison de rentabilité.

Certes, les coûts de production de l’Algérie seront probablement plus faibles pour des raisons géologiques plus favorables et pour une réglementation probablement plus conciliante qu’en Europe. Mais, il serait illusoire d’arriver à trouver l’équilibre financier avec le schéma actuel du marché. Le pays risquerait de créer de nouveau déficit et surtout de perdre 70 milliard USD qui serait plus judicieusement utilisé dans la diversification de notre mix énergétique en favorisant des énergies renouvelables, telle que : le solaire dont le potentiel du pays est estimé à 170 000 térawatts, cela représente plus de deux fois les besoins actuels et plus de milles fois les besoins à horizon 2030. De plus, les surplus peuvent être exportés vers l’Europe ou l’Afrique, des projets comme Desrectec avaient cette ambition.

En complément de l’électricité, l’Algérie peut développer de l’e-éthanol à partir du soleil grâce à la biotechnologie. En effet, depuis 2011 une technique de production particulièrement prometteuse permet d’utiliser une bactérie génétiquement modifiée qui produit directement du carburant liquide lorsqu’elle est exposée à la lumière en présence de CO2.

Ces stratégies permettront non seulement de satisfaire les besoins internes de plus en plus croissants, mais aussi de protéger l’environnement, de préserver plus longtemps nos réserves de gaz schistes et les exporter à terme quand l’exploitation sera profitable et plus dangereuse.

Pour finir, les préoccupations environnementales ne sont pas une simple phobie des populations, mais un souci parfaitement légitime. Aux États-Unis exploitation des schistes a montré des dégâts environnementaux provoqués par cette extraction, la pollution de la nappe phréatique, les fuites de méthane à l’effet de serre puissant, la pollution liée aux trafics des camions et l’utilisation intensive de l’eau pour forer dans un pays en stress hydrique. Une enquête du New York Times a aussi révélé les risques accrus de radioactivité et de cancers.

C’est pour l’ensemble de ces raisons et comme bon nombre d’Algériens, que je m’associe à la demande faite par nos concitoyens et par les collectifs contre les gaz de schiste pour la mise en place d’un moratoire, ainsi qu’à l’ouverture d’un débat national. Et ceux-ci, afin de connaitre de façon transparente sur une durée d’au-moins 3 ans l’impact financier et environnemental de ce type d’exploitation avant d’envisager une exploitation industrielle éventuelle.

Il est évident que la stratégie qui consiste à se jeter à corps perdu dans ce type d’exploitation est clairement irresponsable. Le gouvernement ne doit pas tenté de trouver une solution rentière pour palier à la perte de la rente du pétrole, mais plutôt mettre en œuvre une vrai stratégie de diversification permettant de sécuriser nos approvisionnements énergétiques grâce à des énergies renouvelables, assurer notre sécurité alimentaire, créer de l’emploi et mettre en œuvre des politiques qui permettront à d’autres secteurs de substituer le pétrole dans notre commerce extérieur. Pour assurer cela, ils ne pourront pas faire l’économie de réformes qui permettront de répondre aux défis majeurs qu’implique la diversification économique.

Nous devons donc nous libérer de l’idéologie de la rente pour subsister. Et, si un jour le gaz de schiste ne représente plus un danger pour l’économie, l’environnement et les populations, il doit être seulement un appoint qui viendrait en sus des richesses produites par les autres secteurs.

Yassine BENADDA

Économiste