Iferhounene dans la wilaya de Tizi Ouzou, Une journée dans la commune des 1600 Martyrs

Iferhounene dans la wilaya de Tizi Ouzou,  Une journée dans la commune des 1600 Martyrs

P150513-14.jpg«Oui monsieur, mon grand-père est une douleur qui ne dort jamais!». C’est par cette célèbre tirade que le dramaturge Slimane Benaïssa, nous a replongés dans notre Histoire laissée en jachère.

Cette semaine, à Iferhounene, dans la willaya de Tizi Ouzou, la mémoire collective s’est soulagée pour avoir rappelé un de ses dignes fils. Tombé au champ d’honneur il y a 55 ans, Mohand Oussaïd Aït Saïd a été revisité et à travers lui, tout le combat héroïque de cette région pour que vive l’Algérie digne et indépendante. Humaniste au sens propre du mot, le coeur sur la main et l’arme à l’épaule. Tel était mon grand-père. «Oui monsieur, mon grand-père est une douleur qui ne dort jamais!».

C’est par cette célèbre tirade que le dramaturge Slimane Benaïssa, nous a replongés dans notre Histoire laissée en jachère. «Oui Monsieur mon grand-père est une conscience qui ne dort jamais», répétait encore Benaïssa. A l’image de toute l’Algérie, la Kabylie a souffert le martyre lors de la guerre de Libération nationale. Des villages ont été rasés, des familles décimées et les souvenirs des années de braises et de sang qui transcenderont les années, les siècles et les générations. A la fin de la guerre, la Kabylie enregistrait l’un des plus grands nombres d’orphelins de guerre. Et, parmi ces enfants qui ont perdu leurs parents au champ d’honneur, beaucoup refusent l’oubli et tiennent à commémorer certaines dates phares en souvenir d’un père, d’un frère ou d’un parent proche.

L’offrande des Aït Saïd à la Révolution

Des souvenirs partagés avec, bien évidemment, les villageois. C’est dans ce sens que l’Organisation nationale des moudjahidine de Tizi Ouzou (ONM) (Kasma d’Iferhounene) et l’APC d’Iferhounene, ont rendu hommage à l’un de leurs enfants, le chahid Mohand Oussaïd Aït Saïd.

De valeureux moudjahdine et moudjahidate sont venus de tous les villages de la région du Djurdjura pour apporter leurs témoignages vivants! Mohamed Aït Saïd, l’aîné des enfants de Mohand Oussaïd, ému par ces témoignages, a plusieurs fois rappelé que cet hommage n’était pas uniquement pour son père Mohand Oussaïd Ait Saïd, mais aussi pour tous ceux qui sont morts pour une Algérie libre. Il n’omettra pas aussi de rendre un vibrant hommage aux femmes qui ont su prendre le relais à la mort des hommes. Il exprimera sa profonde gratitude à ces femmes d’Aït Arbi et Soumeur qui ont enterré leur père et ses 10 compagnons avec les plus grands honneurs. Ce fut ainsi le cas, le vendredi 9 mai à Taourirt Ali Ounacer. Une journée chargée de souvenirs et de témoignages émouvants. L’âme de Mohand Oussaïd Aït Saïd, le commissaire politique de la commune du Djurdjura, Aïn El Hammam, a plané sur son village.

En plein centre de la ville de Aïn El Hammam, à proximité même de l’ancienne brigade de gendarmerie de l’ère coloniale, se trouve le commerce de la famille. Les Aït Saïd l’ont hérité du défunt Mohand Oussaïd Aït Saïd, qui l’a acheté en 1945. Le magasin a servi de lieu de rencontre avec les militants du PPA. Ils étaient d’abord au nombre de huit, à leur tête Amar Ath Cheikh et Mohand Oussaïd. C’est dans ce commerce que ces militants ont préparé le déclenchement de la guerre de Libération nationale à quelques pas des gendarmes français. Activement recherché, il laissera le commerce à son frère et ses enfants.

Il avait aussi un commerce au niveau du village natal de Taourirt Ali Ounacer. Le magasin de la ville, comme celui du village serviront de bases de ravitaillement des moudjahidine. Celui du centre-ville servait aussi de lieu de récupération des armes pour les attentats et aussi comme repli des moudjahidine qui les accomplissaient. C’était son frère Belaïd, encore vivant, qui remettait les armes en les emballant dans des boîtes de chaussures. Belaïd avait su gagner la sympathie des Français en leur faisant croire qu’il n’était pas comme son frère, alors qu’il travaillait activement avec les moudjahidine. Découvert par la suite, il sera emprisonné et interdit de séjour à Aïn El Hammam. Les Aït Saïd ont donné biens et âmes à la révolution. 14 martyrs.

La maison a servi de lieu de refuge et de dénouement de conflits et litiges. C’était le lieu de passage des plus grands chefs de la révolution. Elle servait aussi de cache, de lieu de ravitaillement et accessoirement de fabrique d’explosifs. D’ailleurs, Mohamed Aït Saïd, le fils aîné qui était aussi secrétaire de son père raconte qu’un jour une bombe artisanale a explosé dans la maison tuant l’artificier qui était en train de la manipuler, le blessant lui et son jeune frère. «La déflagration a été entendue par l’armée française stationnée plus haut. Les femmes du village ont vite fini de nettoyer les lieux et reconstruire les murs pendant que les moudjahidine se sont faufilés au milieu des bois. Ils n’ont rien trouvé, ils n’avaient rien compris…», se souvient-il en précisant que leur maison a toutefois été détruite par l’armée française après qu’un «harki» l’ait dénoncée comme étant un refuge. Comme le magasin, la maison de Mohand Oussaïd Aït Saïd est un haut lieu d’Histoire. On y venait de toute la région. La maîtrise du verbe et le sens de discernement perspicace de Mohand Oussaïd en ont fait un incontournable en la matière.

Recueillement au village Aït Arbi

Il a fait le voeu d’être enterré là où il tomberait en martyr. Mohand Oussaïd Aït Saïd est enterré non loin du lieu où il est tombé en martyr au mois d’octobre 1960. A Aït Arbi, les villageois attendaient impatiemment de revoir le frère, les enfants et petits-enfants de Mohand Oussaïd. Des banderoles et des youyous étaient déjà prêts pour la réception. Une rencontre émouvante a eu lieu.

Les regards étaient chargés de souvenirs émouvants. Les vieux et surtout les vieilles se remémorent les scènes de guerre et de solidarité. Emu par l’accueil des villageois d’Aït Arbi, le Dr Aït Saïd Madjid, troisième fils de la fratrie, a tenu à leur rendre un vibrant hommage, particulièrement aux femmes qui ont offert de vraies funérailles à son défunt père. «A l’époque, il ne restait plus d’hommes dans les villages. Après qu’ils soient tombés au champ d’honneur, ce sont les femmes du village d’Aït Arbi et des villages voisins, dont Soumeur, qui ont récupéré les corps de mon père et de ses compagnons du ravin où ils ont été abandonnés sans vie par l’armée coloniale.

Elles se sont entraidées pour les porter jusqu’au cimetière du village où elles les ont enterrés. Je remercie ces femmes courage, ces dignes héritières de Lalla Fadhma N’soumer…», raconte les larmes aux yeux le Dr Aït Saïd. «Je me souviens que quelques jours après le décès de notre père, une femme d’Aït Arbi était venue discrètement à notre village pour nous rassurer quant à son inhumation: «Ne vous inquiétez pas, fils de Mohand Saïd pour la dépouille de votre père. C’étaient nous qui l’avions enterré, entouré de nos Aalaw »», nous avait-elle dit», se rappelle très ému le Dr Aït Saïd. Le témoignage des moudjahidine et moudjahidate au cimetière où repose le chahid était là aussi empreint d’une forte charge émotionnelle. Tout comme ceux des deux maquisards qui ont survécu à la bataille qui avait emporté Mohand Oussaïd. Les vieilles femmes exprimaient la grande estime qu’elles vouaient à Mohand Saïd. Les invités et les villageois ont lu la Fatiha après le dépôt d’une gerbe de fleurs en mémoire du personnage et des martyrs tombés lors du même accrochage.

Taourirt Ali Ounacer rappelle à la France coloniale un mauvais souvenir. C’est là que fut tué le lieutenant François d’Orléans, petit-fils du roi Philippe et héritier de la couronne. L’acte dont l’auteur est un jeune du village a eu lieu un certain 10 octobre 1960. Le petit-fils du roi Philippe, symbole de l’implication aristocrate dans la guerre d’Algérie, a été tué à Taourirt Ali Ounacer,.de même que le neveu du maréchal Juin qui a été tué a iferhounene, le lieutenant Capelle Bernard a lui été tué a Tifilkout, en 1958. La mort de François d’Orléans aura été un coup dur assené à la France coloniale, qui a par la suite procédé à des massacres qu’elle avait appelés «opération de pacification des villages». Les représailles ne tardèrent d’ailleurs pas à tomber. Le lendemain, la France va se venger d’Iferhounene en tuant 11 de ses enfants, dont Mohand Oussaïd Aït Saïd. Les témoignages sur cet accrochage étaient nombreux. Quant à Taourirt Ali Ounacer, c’était le village qu’il fallait faire disparaître…

Mohand Oussaïd, un meneur d’homme exceptionnel

Au milieu du bruit des canons, des cris des suppliciés et des morts, par ces temps où les atrocités et carnages étaient banalisés, la responsabilité n’était pas à la portée de tout le monde. La conjoncture appelait des hommes et femmes au courage sans limite. Mohand Oussaïd, était parmi cette rare catégorie de chefs qui ont l’humanisme dans le coeur et l’arme à l’épaule. Les vieux et vieilles qui l’ont connu parlent de ce côté avec une grande estime. Lala Hnifa, moudjahida d’Aït Arbi, se remémorait cet aspect de la personnalité de ce grand chef avec nostalgie. «Quand Mohand Oussaïd parlait, sa voix raisonnait dans les montagnes environnantes. Tout le monde l’écoutait avec attention. Il savait convaincre. Les gens lui obéissaient sans qu’il donne d’ordre. Il avait le don de la parole. Il était aussi très sensible. Il n’a jamais accepté que la peine de mort soit appliquée sur un condamné.»

Le témoignage de Lala Hnifa est répercuté par d’autres qui étaient venues assister à l’hommage dans la maison de la famille des Aït Saïd. Athmani Mestoura et Moussaoui Noura ont tenu aussi à mettre en évidence ces qualités du chef Mohand Oussaïd. Une caractéristique du personnage rappelée également par son frère Belaid Aït Saïd, lui aussi moudjahid. «Mohand Oussaid, n’a jamais appliqué la peine de mort sur un condamné. Il refusait de sanctionner préférant d’autres procédés.

Il lui arrivait même de donner un peu d’argent à ces derniers leurs conseillant de quitter le pays. Il pensait certainement à leurs enfants.» Le don de la parole et son intelligence malgré le fait qu’il était analphabète avaient fait de lui un homme-clé dans la préparation du déclenchement de la lutte armée dans la région du Djurdjura.

Mohand Oussaïd Aït Saïd a d’abord été chef de front, puis chef de refuge et de kasma par la suite avant d’être nommé commissaire politique de la commune du Djurdjura. Voilà donc l’histoire de Mohand Oussaïd Aït Saïd, un héros hors du commun, qui sort enfin de l’oubli. Iferhounéne aura donc revisité l’histoire de cet homme exceptionnel qui aura donné sa vie, ses biens et sa famille pour que vive l’Algérie libre et indépendante… Repose en paix Mohand Oussaïd!

Des villages, une guerre et une stèle

Face au majestueux pic d’Azrou N’thour de la chaîne du Djurdjura, trône désormais une stèle en hommage aux 1600 martyrs. Cette stèle a été inaugurée en 2012. Elle est érigée au lieudit Tizi B’wirane (le col des Lions), un lieu des plus symboliques de par son emplacement qui est le passage obligé pour tous les habitants de la daïra d’Iferhounene (80 km à l’est de Tizi Ouzou). Le mémorial en question représentant un moudjahid et une moudjahida tous deux debout dignement et résolument face au Djurdjura, est une véritable oeuvre d art. De plus, les portraits de grands noms de la Révolution sont dressés de part et d’autre de la stèle. On y trouve ainsi des photos de Abane Ramdane, Krim Belkacem, Mustapha Benboulaïd, Didouche Mourad, les colonels Amirouche, Si El Haouès, Mohand Oulhadj, Ali Mellah, Si Salah Zaâmmoum, Zirout Youcef et Amar Ath Cheikh. En bas de cette stèle, un musée a été construit où les noms des 1600 chahids de la région y ont été inscrits en lettres d’or pour rendre hommage à ces hommes et femmes qui ont sacrifié leur vie pour que vive l’Algérie libre.