Collectif des familles de disparus en Algérie

Collectif des familles de disparus en Algérie

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Le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA) et SOS Disparus ont lancé ce mercredi 4 octobre 2017 les « Journées contre l’oubli », une semaine de projections, de rencontres et de débats pour dire « non » au « déni de la vérité et de la Justice » à l’occasion du 12e anniversaire de la Charte de la « réconciliation nationale ».

Lors d’une conférence de presse tenue ce matin au siège du Front des forces socialistes (FFS) à Alger, Nacera Dutour, porte-parole du CDFA, Cherifa Kheddar, présidente de l’association Djazairouna, Hacene Ferhati, membre fondateur du collectif SOS Disparus et Fatma-Zohra Boucherf, mère d’un disparu, ont mis l’Etat algérien face à ses responsabilités concernant la question des disparitions forcées durant la décennie noire. Ils ont reaffirmé que les familles de victimes ne cesseront jamais « leur quête de la vérité », malgré les « agressions », les « menaces » et la « propagande » dont elles sont victimes.

Nacera Dutour a tout de go qualifié la Charte de la réconciliation nationale d' »énième amnistie ». « Nous avons fait face à plusieurs amnisties durant la décennie noire et nous continuons à en subir les conséquences ». La porte-parole du Collectif de disparus a cité le « qanoun ar-rahma », décrété en 1995, avant la tenue du référendum pour la Concorde civile en 1999.

Lors de sa prise de parole, Mme. Dutour, par ailleurs mère d’un disparu, a affirmé que la Charte « prône l’oubli et le silence des victimes ». « En 2007, cette « Charte » amnistiait même les agents de l’Etat coupables de crimes et de violations des droits de l’Homme », a-t-elle affirmé.

Selon elle, cette « Charte nous demande d’oublier nos enfants et de tourner la page », comme « le souhaitait le président Bouteflika en 1999, quand il a déclaré que nos enfants n’étaient pas « dans ses poches ». Elle a affirmé que la Concorde civile favorisait notamment « l’impunité et l’oubli », puisque ses textes, l’Article 46 notamment, « menace de prison ferme les victimes qui refusent de se taire ».

« Nous ne pouvons ni nous adresser à la justice ni parler de nos victimes », a-t-elle regretté. Mais SOS Disparus et le Collectif représenté par Nacera Dutour « continueront à parler, à dénoncer, à parler de nos enfants et de nos victimes », a-t-elle martelé.

« On veut savoir ce qui s’est passé. Comment en sommes-nous arrivés là. Pourquoi un Algérien s’est mis à tuer un Algérien. Pourquoi des agents de l’Etat se sont mis à kidnapper des Algériens ? », s’est-elle interrogée. « Ils nous demandent de tourner la page mais chaque Algérien a le droit de connaître son histoire », a-t-elle conclu.

La négation des victimes … et du pardon

Cherifa Kheddar, présidente de l’association Djazairouna, a déclaré que la Charte a non seulement ignoré les victimes du terrorisme et des disparitions forcées mais les a également condamnés à la prison pour les punir de leurs revendications. « Apparemment, tous ceux qui n’ont pas porté d’armes ou commis de crime ne peuvent pas bénéficier de cette Charte », a-t-elle ironisé.

Mme. Kheddar a rappelé lors de son intervention les efforts des associations de soutien aux victimes du terrorisme pour amender la charte. Elle a entre autres rappelé la tentative des associations des victimes des années 1990 de proposer une charte alternative pour intégrer de nouvelles revendications. Une demande restée sans écho de la part des autorités algériennes, a-t-elle déploré.

La présidente de Djazairouna a également rappelé comment « la Commission nationale de la Charte portant réconciliation nationale » a également ignoré et condamné les victimes. « Douze ans plus tard, nous ignorons ce que cette commission est devenue, ce qu’elle a fait, qui a-t-elle contacté parmi les victimes », a-t-elle poursuivi.

« Certains évoquaient un de ses rapports, sans que nous puissions, militants, victimes ou journalistes, y accéder et consulter la conclusion de la Charte », explique Mme. Kheddar, ajoutant que les autorités ont toujours fait dans la « négation des victimes ».

Fatma-Zohra Boucherf, mère d’un disparu depuis 25 ans, a écarté catégoriquement tout pardon à l’égard des agents de l’Etat responsables de disparitions forcées, rejetant totalement la Charte de la réconciliation. « Comment peut-on pardonner sans connaître la vérité ? Et encore, nous ne leur pardonnerons jamais », a-t-elle insisté lors de son intervention.

« Dans notre pays, pas de justice ni droits de l’Homme. Cela fait 25 ans que nous militons pour connaître la vérité sur le sort de nos enfants. S’ils sont morts, qu’ils nous montrent leurs tombes. S’ils sont vivants, qu’ils nous disent où ils sont enfermés », appelle-t-elle.

« Des mères et pères de disparus sont décédés sans connaître la vérité », continue-t-elle, « ils ont fait de leurs enfants des orphelins, maintenant âgés de 24 ou 25 ans ».

Mme. Boucherf a affirmé que les familles de victimes « n’oublieront pas, c’est impossible ». « Ils veulent nous faire taire avec de l’argent. Qui est capable de renier son enfant pour un peu d’argent ? », s’interroge encore la mère de disparu.

A la fin de sa prise de parole, Mme. Boucherf a affirmé que les victimes ne cesseront pas leur militantisme, « ils auront beau nous frapper, nous tabasser ou nous faire peur », en référence aux récentes images inédites de la décennie noire, diffusées par la chaîne de télévision nationale. Elle a ajouté que les autorités ont « peur de la vérité » et leur refus d’identifier avec des tests ADN les Algériens enterrés sous X en est une preuve ». « Nous avons déposés des dizaines de dossiers, avec des plaintes, des témoignages et des preuves. En vain ».

La réconciliation se fait avec les victimes

Hacene Ferhati est frère de disparu. Lors de son intervention, il a souligné à son tour le mutisme des autorités face aux revendications des victimes du terrorisme, saluant le courage et le militantisme de ces derniers. L’un des membres fondateurs de SOS Disparus est également revenu sur les chiffres avancés par le passé par Mustapha Farouk Ksentini, ex-président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH).

M. Ferhati a dénoncé le refus de l’Etat algérien de « soulager les familles de disparus ». « Farouk Ksentini déclarait en 2003 que 3300 Algériens étaient enterrés sous X. Nous avons demandé aux autorités l’identification de ces Algériens. En vain. Ils auraient quand même pu soulager des centaines de familles ».

Il a ensuite souligné la cacophonie dans les chiffres avancés par la même commission, entre 2003 et 2007. « En 2003, l’Etat algérien donnait le chiffre officiel de 6146 algériens disparus par le fait d’agents de l’Etat. Plus tard, il s’agissait plutôt de 7.200 Algériens disparus au nom de la République algérienne, au nom de la loi », s’étonne-t-il.

Mais dans son rapport annuel en 2007, la commission présidée par Ksentini déclarait avoir reçu les plaintes de plus de … 14.500 familles. Hacene Ferhati souligne que ce nombre est d’ailleurs appelé à s’élever.

Ce membre de SOS Disparus a ensuite dénoncé la Charte de la réconciliation. « Nous ne sommes pas contre la réconciliation, mais une vraie réconciliation se fait avec les victimes », fait-il remarquer. Néanmoins, les autorités n’ont jamais donné la parole aux victimes lors de l’élaboration de cette Charte. « Un Etat de droit donne la parole aux victimes ».

M. Ferhati a salué à la fin de son intervention le militantisme des familles de disparus. « Quand Bouteflika déclarait que leurs enfants n’étaient pas dans ses poches, il ne s’attendait visiblement pas à ce que ces victimes résistent 25 ans. Un militantisme propre et exemplaire malgré les menaces et les violations des droits de l’Homme », estime-t-il.

A propos des images inédites de la décennie noire récemment diffusées par l’ENTV, il a qualifié ce documentaire de « honte », estimant que la diffusion de séquences aussi choquantes était « très grave », car clairement dans le but de « faire peur aux Algériens ».

Les journées contre l’oubli se sont ouvertes ce matin avec une exposition de Rachel Corner et Barbara Laborde. Un documentaire, intitulé « Où sont-ils? » a été diffusé au siège du FFS en début d’après-midi. Les journées contre l’oubli devraient se poursuivre jusqu’à samedi, avec des diffusions et des débats.