L’amiante, matériau dangereux pour la santé, tue régulièrement. Depuis quelques années, il a été interdit en Algérie mais un travail de longue haleine reste à faire pour se débarrasser des produits en amiante encore présents au niveau des habitations et des installations industrielles. Amine Bada, directeur général de l’entreprise Eurl expertise et désamiantage et dont le père est lui-même décédé des suites d’un cancer provoqué par l’amiante déclare une véritable guerre à ce produit. En parallèle, il a juré de livrer bataille aux « imposteurs » ayant créé de fausses entreprises de désamiantage.
L’Econews : que pouvez-vous nous dire au sujet de l’entreprise Eurl expertise et désamiantage ?
Amine Bada : Eurl expertise et désamiantage est issue de la société française de désamiantage Isotec. Celle-ci s’est installée en Algérie avec le lancement du projet de désamiantage de la coupole, en 2002, qui était, je le rappelle, le premier chantier de désamiantage en Algérie. J’ai été responsable local de l’entreprise Isotec en Algérie et je suis intervenu ainsi que mes collègues dans plusieurs autres projets. J’ai été formé à l’ANAFi, une école française de formation assurant des cours, entre autres, dans le domaine du désamiantage.
Les Français d’Isotec ont fini par quitter le pays parce qu’ils rencontraient souvent des difficultés administratives lorsqu’ils soumissionnaient pour des projets. Après leur départ, moi-même et mes collègues algériens avons commencé à faire de la sensibilisation par rapport aux risques de l’amiante en Algérie.
Nous nous sommes rendus dans différentes régions du pays où nous avons organisé des journées de sensibilisation en partenariat avec Cheikh Ferhat qui est membre d’une association de protection de l’environnement. Nous avons ensuite décidé de créer une entreprise spécialisée dans le désamiantage. C’est ainsi que l’entreprise Eurl expertise et désamiantage a vu le jour. Elle existe depuis une année mais ses membres ont une expérience appréciable.
Nous avons pris en charge un certain nombre de petits projets pour le compte d’entreprises publiques et privées, mais aussi pour certains particuliers. Après le départ d’Isotec, nous avons acheté du matériel et nous avons assuré des formations pour certains de nos nouveaux employés. Je note au passage que moi-même et certains de mes collègues avons été formés en tant que formateurs et que notre entreprise est aujourd’hui la seule à être accréditée par un organisme international.
Personnellement, mon histoire avec l’amiante remonte à plus loin. Mon père est décédé suite à un cancer causé par l’amiante. A l’époque où on ne connaissait rien des risques de ce produit, il a supervisé la création d’entreprises publiques spécialisées dans la fabrication d’amiante, et a été longtemps en contact avec ce matériau.
Quelle est la situation actuellement en Algérie en ce qui concerne l’amiante ?
En Algérie, il y a beaucoup de constructions en amiante. C’est valable aussi bien pour les habitations que pour les installations industrielles. Depuis quelques années, la réglementation algérienne interdit la fabrication et l’importation de ce matériau. Il s’agit donc d’enlever les installations en amiante existant actuellement et c’est beaucoup de travail.
Je suis particulièrement attristé par le cas de ces 18.000 familles sinistrées du séisme de Chlef de 1980 et qui habitent depuis dans des bidonvilles faits en amiante. De nombreux cas de cancer y ont été enregistrés et aujourd’hui le président d’une association locale se bat pour qu’une solution soit trouvée au plus vite.
D’un autre côté, l’on constate que les autorités algériennes sont conscientes de ce problème et le prennent très au sérieux. A côté des actions de désamiantage menées dans différentes régions du pays, il est prévu la mise en place, cette année, d’un centre d’enfouissement de produits dangereux dans la région de Bir El Ater .
Ce centre d’enfouissement est d’une grande importance car l’un des plus grands problèmes que nous rencontrons après l’opération de désamiantage c’est de trouver un endroit sécurisé pour faire disparaitre les déchets. Vous savez, pour que les déchets d’amiante soient détruits ils doivent subir une opération de vitrification à 1600 degrés avant d’être mis sous terre.
Comment faites-vous pour vous débarrasser des déchets d’amiante?
En fait, nous les envoyons à la société française Inertam qui assure l’opération de vitrification. Ce n’est pas une mince affaire car pour envoyer une tonne à traiter d’Algérie vers la France cela coûte 3800 euros.
Que faites-vous lorsqu’il est question d’une petite quantité d’amiante, un cas que vous devez certainement rencontrer lorsqu’il s’agit d’un domicile ?
Qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un domicile, la loi algérienne stipule que les déchets sont sous la responsabilité du client jusqu’à la destruction des déchets. Ce que nous faisons actuellement c’est confiner ces produits de façon sécurisée avant de les enterrer dans un espace appartenant au client. A cette étape, il n’y a aucun risque pour le client, mais cela reste une opération temporaire en attendant l’ouverture du centre d’enfouissement de Bir El Ater.
Est-ce que vos clients sont beaucoup plus des entreprises étrangères installées en Algérie ou des entreprises locales ?
Je dois dire que ce sont beaucoup plus des entreprises étrangères installées en Algérie qui ont fait appel à nous jusqu’ici. Mais je rappelle que la loi algérienne interdit à toutes les entreprises d’exposer leurs employés à l’amiante.
S’il fallait comparer l’Algérie à d’autres pays sur la question de l’amiante où est-ce que vous pourriez situer notre pays ?
La situation en Algérie est loin d’être aussi grave qu’en Europe. Il y a deux catégories d’amiante, à savoir l’amiante friable et l’amiante non friable. En Algérie c’est cette deuxième catégorie qu’on trouve le plus souvent. Je dis cela à condition que les produits en amiante ne sont pas détruits ou transformés. Le vieillissement de ce produit avec le temps est un autre risque sur la santé. L’amiante est un produit dangereux car dans un gramme d’amiante il y a un million de fibres et chaque fibre est 50.000 fois plus petite qu’un cheveu. Lorsque les fibres d’amiante sont inhalées de façon prolongée, elles provoquent le cancer.
Pensez-vous que la création d’entreprises spécialisées dans le domaine du désamiantage soit un investissement difficile ?
Il est difficile d’investir dans ce domaine. Il faut former du personnel mais aussi assurer la destruction des déchets d’amiante aux normes internationales. Malgré tout, il y a des imposteurs qui ont créé des entreprises se disant spécialisées dans le domaine du désamiantage.
Certains n’hésitent pas à présenter des offres de services sur lesquelles ils mentionnent qu’ils sont agréés par le ministère de l’environnement, or ce ministère n’offre aucun agrément de ce genre. De même qu’il n’y a aucune école, en Algérie, assurant des formations dans ce domaine. Les gens qui font cela ont dû simplement assisté à un séminaire sur le désamiantage. Ils créent, ensuite, des entreprises proposent leurs services à des prix dérisoires. Ils mettent en danger leurs propres employés et ceux de leurs clients.
Est-ce que vous avez dénoncé ces gens ?
Oui. J’ai averti leurs clients et j’ai même contacté le ministère de l’environnement qui a pris très au sérieux cette question. Des poursuites en justice sont d’ailleurs prévues. Les faux spécialistes du désamiantage présentent bien souvent un simple document attestant qu’ils maîtrisent les risques. C’est loin d’être suffisant car il faut savoir identifier et évaluer les risques, connaître la réglementation du travail applicable au chantier d’amiante, savoir contrôler et entretenir les équipements de protection, connaître les procédures d’accès en zones d’amiante, savoir établir, transmettre et contrôler les opérations, savoir faire contrôler l’empoussièrement, savoir entretenir les installations de chantier, savoir gérer et contrôler l’évacuation des déchets et, enfin, connaître et mettre en œuvre toutes les procédures de repli à la fin du chantier. Pour ma part, je combats ces imposteurs et je les combattrai toujours.
Est-ce que vous pensez que le ministère de l’environnement peut, à lui seul, gérer la question du désamiantage ?
Non, tous les secteurs doivent s’impliquer, notamment en matière de sensibilisation car l’amiante est l’affaire de tous en Algérie. Je constate d’ailleurs que les autorités algériennes prennent au sérieux cette question car depuis quelques années des mesures ont été prises. Il y a aussi des gens qui ont pris conscience des risques, mais malheureusement ce n’est pas le cas de certains. Le travail de sensibilisation doit se poursuivre.
Quelles sont les entraves majeures auxquelles vous faites face dans le cadre de votre travail ?
Nous sommes beaucoup plus confrontés à la lenteur de prise de décision de la part, notamment de certaines entreprises publiques. Heureusement le nouveau code des marchés assure plus de souplesse, notamment en ce qui concerne les marchés d’urgence, ce qui nous donne un peu d’espoir.
Quelles sont les conseils que vous prodiguez le plus lors de vos actions de sensibilisation ?
Ne touchez pas aux produits en amiante, ne les cassez pas et ne les transformez pas.
Par Ahmed Gasmia