Algérie: “Le gouvernement Ouyahia n’a aucune intention de faire des réformes” – Abdesselam Ali-Rachedi

Algérie: “Le gouvernement Ouyahia n’a aucune intention de faire des réformes” – Abdesselam Ali-Rachedi

L’ancien député Abdesselam Ali-Rachedi estime que l’impasse était prévisible depuis 2012.  Selon lui, le pouvoir cherche « plus à camoufler le déficit qu’à le juguler ».

Maintenant que le plan d’action du Gouvernement est adopté et son amendement de la loi sur la monnaie et le crédit sont décidés, à quoi doit-on s’attendre ?

A rien de particulier à court terme. Concernant la loi sur la monnaie et le crédit, il semble que le gouvernement n’ait pas attendu son amendement pour créer de la monnaie sans contrepartie. Quant au plan d’action du gouvernement, il contient beaucoup de choses contradictoires, des promesses impossibles à réaliser et surtout l’engagement que rien n’allait changer et donc aucune mesure destinée à éradiquer le déficit. En somme, dans sa logique de maintien du statu quo, la démarche du pouvoir consiste plus à camoufler le déficit qu’à le juguler.

Le pouvoir prétend qu’il ne veut pas recourir à l’emprunt extérieur pour préserver la souveraineté nationale. Rien n’est plus faux ! La vraie raison est la crainte du pouvoir d’être obligé de mettre en œuvre des réformes structurelles, susceptibles de remettre en cause l’économie rentière qui lui sert de fondement. En effet, aucune institution financière n’est disposée à accorder des prêts pour combler un déficit budgétaire structurel. Un créancier, quel qu’il soit, est d’abord soucieux d’avoir des garanties qu’il sera effectivement remboursé. Il exigera donc, comme contrepartie, que l’économie puisse, à terme, dégager des excédents. Les réformes structurelles sont conçues dans ce but. Or, le pouvoir ne peut survivre à des réformes qui remettraient en cause l’économie rentière sur laquelle il repose.

Nous sommes bien dans une impasse, mais une impasse politique avant d’être une impasse budgétaire. Le pouvoir, en choisissant le financement non-conventionnel plutôt que la réforme, fait de la fuite en avant qui, à moyen terme, va conduire au chaos.

Les experts, les économistes et les hommes politiques sont nombreux à prévenir contre un processus inflationniste qui peut conduire le pays au chaos. Quel sera l’impact d’une spirale inflationniste particulièrement importante sur les entreprises, notamment privées ?

L’injection massive de liquidités aura pour conséquences inévitables une inflation à deux chiffres, au moins. On se souvient que dans les années 60 et 70, les économies des pays développés souffraient des ravages de l’inflation. A l’époque, les politiques keynésiennes de relance par la dépense publique étaient très en vogue ainsi que les dévaluations compétitives des monnaies. On ne savait pas trop comment juguler l’inflation. Mais suite aux travaux de l’Ecole de Chicago avec Milton Friedman, on a fini par comprendre que l’inflation était due à un excès de liquidités et qu’il fallait contrôler la masse monétaire. La création de monnaie sans contrepartie est bien la cause de l’inflation.

Le plan d’action du gouvernement ne dit pas quelle quantité de monnaie allait être injectée mais le Premier ministre a avoué que les besoins de financement étaient de l’ordre de 20 milliards $ par an, ce qui est énorme et aura des conséquences dramatiques. Rien ne dit d’ailleurs que ce montant ne sera pas dépassé.

La première conséquence en sera une perte de pouvoir d’achat pour tous les revenus fixes (salariés, retraités…). Seront relativement épargnés ceux qui peuvent augmenter leurs prix. La crainte, à moyen terme, est l’hyperinflation lorsque l’inflation alimente l’inflation.

Les entreprises risquent d’être impactées en amont en payant plus chers leurs intrants et en aval par la perte de pouvoir d’achat de leurs clients, sans compter la difficulté à faire des prévisions. Enfin, la détérioration des conditions de vie et de travail pourrait aboutir à une instabilité, voire un climat de violence sociale.

La diversification de l’économie et le renforcement de la production nationale, objectifs proclamés du Gouvernement Ouyahia, seront-ils possibles dans les conditions que vous prévoyez ?

Les incantations habituelles sur la nécessité de diversifier l’économie et de privilégier la production nationale ne peuvent plus leurrer les Algériens. L’économie n’obéit pas aux injonctions administratives. Elle a sa propre rationalité. Ceux qui ont conduit le pays à une quasi-faillite ne sont certainement pas les mieux placés pour parler d’économie nationale. Il n’y aura pas de solution viable dans le cadre du régime actuel.

Pour établir fermement les fondations d’une véritable économie de marché, créatrice de richesses, notre pays doit accomplir une transformation complète dont la première étape consistera à démanteler toutes les rentes de situation. Mais cette transformation ne peut être l’œuvre que d’un pouvoir doté d’une forte légitimité démocratique. Les réformes structurelles sont connues, en effet, pour être longues et douloureuses. En théorie, ces réformes sont plus faciles à mettre en œuvre en période d’aisance financière. C’est pourquoi la légitimité démocratique et le dialogue social sont indispensables pour mener à bien ces réformes.

A long terme, l’économie devra non seulement satisfaire l’essentiel de la demande interne mais aussi exporter pour remplacer les exportations d’hydrocarbures.

Un grand cafouillage caractérise la communication officielle sur l’informel. Sellal a parlé de 3700 milliards de dinars et Ouyahia parle de 1700 milliards de dinars au maximum et considère que la lutte contre ce phénomène ne va pas apporter grand-chose aux caisses de l’Etat. Qu’en est-il selon vous ?

Il faut d’abord s’entendre sur la définition de l’informel. Les activités informelles se définissent essentiellement par deux critères : elles échappent aux règles imposées par l’Etat et elles ne donnent pas lieu à des prélèvements obligatoires. On exclut, bien entendu, de cette définition les activités criminelles. De par son caractère occulte, il est très difficile de chiffrer l’activité informelle. Les 1700 milliards DA correspondent-ils au chiffre d’affaires global, à la valeur ajoutée, au bénéfice, à l’assiette fiscale ?

Par ailleurs, le caractère formel ou informel est très relatif. Très souvent, c’est la lourdeur des démarches, le poids des charges de toutes sortes, la bureaucratie qui ne laissent d’autre choix que l’informel. Mais dans un régime libéral, avec beaucoup moins de tracasseries et de taxes, la même activité ne serait pas du tout considérée comme informelle. Exemple : le « taxi clandestin ».

La corporation des taxis souffre de charges exorbitantes et en particulier de l’obligation de louer une licence. Faire le taxi avec son propre véhicule, sans avoir à supporter des charges aussi excessives qu’injustifiées peut être une alternative valable. C’est ce qu’a mis en pratique la société Uber qui utilise une plateforme informatique pour gérer son système. Ceci pour dire que si l’on se trouve dans un système dirigiste, centralisé, qui prétend tout contrôler, on peut être condamné à activer dans l’informel mais si la liberté d’entreprendre est le fondement de l’économie, l’activité n’est plus considérée comme informelle. Dans beaucoup de cas, l’informel répond à une demande qui s’exprime sur le marché mais qui, en raison des contraintes excessives, se réfugie dans l’informel.

D’un autre côté, il y a des entrepreneurs, ayant pignon sur rue, mais dont la fortune tient plus à leur proximité avec le pouvoir qu’à leur performance sur le marché. Leur principale activité, par définition occulte, consiste à s’octroyer les faveurs de personnes haut placées dans le pouvoir, à même de leur garantir l’accès à la commande publique, les crédits bancaires, la protection, et parfois même un quasi-monopole dans leur secteur d’activité. Une forme d’informel sous couvert de légalité.

Quant à « récupérer » l’argent de l’informel pour renflouer les caisses de l’Etat, les partisans de cette option ne disent pas comment y parvenir. Il est à remarquer que cette démarche, ainsi que celle proposant de changer les billets s’inscrit dans une logique de redistribution d’une richesse déjà créée alors que le problème existentiel de notre pays est comment créer de la richesse.

Pensez-vous que cette crise va pousser le pouvoir à entamer des réformes sérieuses ?

Depuis 2012, je n’ai cessé d’alerter contre les risques d’une impasse budgétaire. J’ai bien dit impasse et non pas crise. Il ne s’agit pas en effet d’une crise économique. Dans un pays normal où l’économie de marché est bien établie, il peut y avoir une crise, sous forme d’une récession passagère. Des politiques de relance peuvent être mises en œuvre et la croissance reprend.

L’Algérie n’a pas d’économie à proprement parler. Elle vit à 90 % de la vente des hydrocarbures qui sont une richesse naturelle, non renouvelable. Le pouvoir utilise cette manne pour acheter la paix sociale et distribuer des prébendes à ses clientèles. N’ayant pas de légitimité démocratique, le pouvoir s’offre une légitimité sociale à bon compte. Tant que le prix du baril était au plus haut, il usait et abusait de la rente pétrolière pour entretenir une économie de rente. Avec la chute des recettes des hydrocarbures, il se trouve dans l’impasse et n’a plus de solution. Cette impasse était déjà visible dès 2012, la croissance des dépenses étant devenue beaucoup plus rapide que celle des recettes. Avec l’effondrement des prix à partir de juin 2014, un déficit colossal est devenu manifeste. Le pouvoir n’a rien fait depuis cette date, espérant une remontée des cours. Il a attendu que le pays soit au bord de la faillite pour réagir. Mais en optant pour le financement non-conventionnel, il risque de plonger le pays dans le chaos. C’est dire qu’il n’a aucune intention de faire des réformes.