On ne peut explorer l’ailleurs sans penser sur l’ici. Les auteurs de la première session de cette Rencontre de trois demi-journées (hier et aujourd’hui à la BN) ont donné leur définition de l’ailleurs, qui ne peut prendre tout son sens qu’en réfléchissant à ce qu’est “l’ici”.
“La vie est ailleurs” est le thème choisi, cette année, par la délégation de l’Union européenne en Algérie (qui organise cet événement avec la collaboration des services culturels des Etats membres de l’Union européenne, le soutien du ministère de la Culture et le concours de la Bibliothèque nationale d’Algérie), pour la 6e édition de la Rencontre euromaghrébine des écrivains, qui a démarré hier matin (et prend fin aujourd’hui) à la Bibliothèque nationale d’Algérie à El-Hamma, et qui réunit une vingtaine d’écrivains algériens, maghrébins et européens. L’intitulé de cette rencontre est emprunté au troisième roman de Milan Kundera, la Vie est ailleurs, mais il est surtout un prétexte pour aborder et explorer l’ailleurs selon chacun des auteurs invités.
A la question “c’est quoi l’ailleurs ?”, le “ici” serait un point de départ. Après la séance inaugurale, marquée par les discours de Marek Skolil, ambassadeur chef de la délégation de l’UE en Algérie, et de Rachid Hadj Nacer, représentant le ministère de la Culture, et la présentation de cette rencontre par Outoudert Abrous, directeur de la publication du quotidien Liberté, la première session intitulée “Ailleurs : A travers les lieux et l’espace” et modérée par Ameziane Ferhani, journaliste et responsable du supplément culturel “Arts et Lettres” du quotidien El Watan, a réuni Monika Zak (Suède), Sandra Petrignai (Italie), Smaïl Ghazali (Maroc), Takis Theodoropoulos (Grèce), Abdelkrim Tazrout (Algérie) et Samir Toumi (Algérie). Chacun de ces six auteurs a donné sa définition de l’ailleurs.
Pour Monika Zak, qui adore les voyages, l’ailleurs ce sont tous les pays qu’elle a visités et les visages qu’elle a croisés.
L’ailleurs, selon elle ou du moins dans son œuvre, est lié à son expérience d’écrivaine. Elle capitalise ses voyages pour les transformer en romans. Si Sandra Petrignai ne croit pas que la littérature puisse changer le monde, elle sait en tout cas que celle-ci “changer la vision des lecteurs”, car, pour elle, l’acte d’écrire est une manière d’inventer ou de réinventer cet ailleurs. “La création artistique va au cœur de ce qui a été, ce qui est et ce qui sera”, a-t-elle constaté, en expliquant que la réalité pour un artiste est un point de départ mais que toutes les vies qui sont racontées dans les romans sont l’œuvre de l’imaginaire.
Prenant pour exemple le genre de la biographie et du biopic, elle s’est demandé “de quelles vies parlons-nous quand nous parlons des vies dans le roman”.
Cette question est pour elle fondamentale, aussi importante que celle de la relation entre le créateur et le réel. Une fiction, selon elle, est une manière de “parler d’un autre univers possible”. “Un écrivain s’inscrit dans l’ailleurs même s’il dit la vérité”, a-t-elle conclu. Samir Toumi a, pour sa part, expliqué que l’ailleurs représente beaucoup de choses : c’est “un autre possible, un autre soi, la possibilité d’un recommencement”. L’ailleurs, pour lui, est aussi “le passé fantasmé”. L’auteur considère également que “les multiples ailleurs” sont en lui, mais face à cet ailleurs, il y a également “le besoin d’ici”. La Méditerranée est le centre de l’ailleurs pour Smaïl Ghazali.
Cet ailleurs, il l’a également trouvé dans la littérature qu’il a lue, de l’Âne d’or d’Apulée de Madaure à Don Quichotte de Miguel de Cervantes, en passant par les Mille et Une nuits. Si se tourner vers le passé et découvrir les parcours d’artistes et écrivains est une manière d’explorer l’ailleurs pour Abdelkrim Tazrout, Takis Theodoropoulos s’est interrogé sur cette notion au présent : “Quel est l’ailleurs pour un Grec d’aujourd’hui ?”. Selon lui, “l’ailleurs est utile” parce qu’il définit l’identité, mais “la quête de l’ailleurs est une façon négative de définir l’ici”.
Il évoquera, ensuite, le rapport de la Grèce et surtout des Grecs à l’Europe, et soulignera que “le premier ailleurs conscient ou inconscient dans la Grèce contemporaine a toujours été l’Europe”. Et d’ajouter : “Je crois qu’un des grands problèmes de la pensée du XXIe siècle c’est de retrouver son ailleurs”.
S. K.