Pénurie de la pomme de terre: L’arbre qui cache la forêt

Pénurie de la pomme de terre: L’arbre qui cache la forêt

Les professionnels demandent la révision de l’organisation des Chambres de l’agriculture et autres structures en rapport avec le secteur.

La pomme de terre devient de plus en plus rare. Sachant que l’Algérie est classée comme deuxième pays consommateur de ce tubercule après l’Afrique du Sud, on mesure l’importance de l’impact que provoque sa pénurie sur les couches sociales.

Quelles sont les raisons qui motivent cette rareté? Nous avons posé cette question à l’un des acteurs du monde agricole, Ouali Belkacem, président de la Chambre de l’agriculture d’Alger et membre de la Chambre nationale d’agriculture. Celui-ci est formel. «La régulation a fait réellement défaut. Ajoutez à cela, les conditions climatiques qui ont négativement impacté la filière», assure Ouali qui note que ces deux raisons n’expliquent pas la durée de la pénurie de pomme de terre qui prend des allures chroniques.

Notre interlocuteur pointe du doigt les spéculateurs. «Saisissant l’opportunité de l’absence de la régulation censée être assurée par les pouvoirs publics, certains gens malhonnêtes font recours au stockage accru du produit pour provoquer cette pénurie qui fera flamber le prix de la pomme de terre», souligne Ouali. Selon lui, les agriculteurs «n’ont aucune main directe ou indirecte dans cette situation faite de pénurie et de pratiques malsaines de certains malhonnêtes usant de la spéculation», précisant que les agriculteurs et les consommateurs sont les maillons faibles dans la chaîne agricole.

C’est aussi l’avis de l’expert en agronomie le docteur Saci Belgat, qui considère que le facteur climatique n’est pas autant déterminant pour la culture de la pomme de terre. «Il se trouve à notre avantage, une fois la question de l’eau d’irrigation résolue, compte tenu de la diversité climatique et de l’étendue du territoire national de produire la pomme de terre sans grandes contraintes climatiques à toutes les saisons. Biskra et El Oued sont devenues des régions à haut potentiel de production de pomme de terre, même si j’ai quelques réserves sur les itinéraires techniques et l’aggravation de la salinité des sols de ces régions», affirme-t-il.

Donc, ce ne sont pas des facteurs naturels qui sont responsables de cette crise. Le problème est ailleurs, c’est celui de la régulation. A ce propos, les pouvoirs publics sont les premiers à être interpellés sur cette question cruciale de la pénurie de ce tubercule à large consommation. Le président de la Chambre de l’agriculture de la wilaya d’Alger abonde dans ce sens en indiquant: «La soudure n’a pas été assurée par les pouvoirs publics, d’où cette situation qui a profité à des spéculateurs qui ont préféré jouer à fond la carte de l’extrême stockage du produit pendant des mois pour provoquer cette flambée des prix», martèle notre interlocuteur.

L’Onilev responsable de la pénurie?

L’office national interprofessionnel des légumes et des viandes (Onilev) fait face à des tirs groupés par les professionnels du secteur. L’office est l’unique responsable délégué par l’Etat pour gérer les chambres froides réservées au stockage des légumes et des viandes. Ouali Belkacem représentant des agriculteurs de la wilaya d’Alger assure qu’une partie de la responsabilité incombe à «l’Office national interprofessionnel des légumes et des viandes, qui est responsable, parce que c’est lui qui pourrait assurer la soudure par rapport à ce produit pour éviter le manque et la pénurie», pour appuyer son analyse, il souligne que «l’Onilev gère les stocks contenus dans les chambres froides au niveau national.

C’est à lui de répondre au moment opportun à la pénurie qui risque d’affecter le marché», fait savoir notre interlocuteur. La même attitude est manifestée par le Bureau national des mandataires qui ne voit pas d’un bon oeil la démarche de l’Onilev. Le président du Bureau national des mandataires Madjber Mohamed, tire à boulets rouges sur cette structure en indiquant que «la pénurie a été provoquée. Le produit existe en abondance. On ne comprend pas pourquoi l’Onilev n’a pas approvisionné le marché de la pomme de terre stockée dans ses chambres froides? L’Office est responsable de cette situation même si les spéculateurs sont désignés du doigt en premier lieu», assure le président du bureau national. Il y a dans cette histoire de gestion des stocks une situation de cause à effet. Si la régulation a bien été gérée, on n’aurait pas eu cette hausse des prix dont profite la spéculation. Les mandataires à travers leur président.

déclarent que «toute cette situation a été créée pour nous faire désigner comme responsables de cette pénurie derrière la flambée des prix de la pomme de terre». Pour les mandataires, il ne peut y avoir de spéculation. «A notre niveau, tout est simple, on vend le produit sur le marché de gros, on ne peut pas stocker, et on est soumis à la règle de l’offre et de la demande», déclare Madjber.Mais les spécialistes du secteur de l’agriculture ont une autre vision, elle est systémique, elle rompt avec l’approche sectorielle qui ne traite que d’un segment indépendamment des autres.

De ce point de vue, l’expert de l’agronomie Belgat considère que «les chambres froides dans lesquelles est stockée la pomme de terre ont été financées en grande partie par le Pnda (Programme national de développement agricole) donc sur fonds publics- en termes triviaux ces spéculateurs raflent le beurre, son argent et la suite avec… En Algérie, les responsables donnent l’impression d’aimer travailler sous tension – c’est comme si on maintient artificiellement un goulot d’étranglement pour justifier le recours à la dépense inutile de la devise et toutes les dérives de transfert illicites vers les paradis fiscaux.

En pomme de terre nous pouvons régler la question de la production et de sa disponibilité une bonne fois pour toutes et à toutes les saisons. Si tant est qu’on réhabilite les plaines fertiles du haut et bas», remarque l’expert de la chose agricole. L’Onilev n’est qu’un pouvoir délégué par l’Etat pour gérer ces chambres froides. D’ailleurs, l’expert Saci Belgat essaie d’être clair là-dessus en soulignant que «le procédé est aussi vieux que l’indépendance nationale – à chaque crise crée intentionnellement par ceux-là même qui crient au loup, ils désignent à la vindicte populaire et médiatique le responsable à abattre, – et comme par hasard à chaque fois c’est le secteur public ou un de ses segments qui est visé», déclare l’expert.

L’autre raison de l’échec

Le silence de l’Onilev cultive l’amalgame autour de cette situation, de sorte à ce qu’on ne sache pas quand et comment cette crise sera gérée. La pénurie de la pomme de terre montre clairement que le secteur de l’agriculture patauge, voire navigue à vue sans avoir une stratégie homogène fondée sur des études et de la prospection. D’ailleurs, même les professionnels sont conscients de cette déficience manifeste qui ronge leur secteur. Ils demandent de revoir complètement la structure organisationnelle des Chambres de l’agriculture et autres structures en rapport avec le secteur.

Ouali demande que «la tutelle réhabilite les coopératives qui existaient jadis, mais que cela doit être renforcé au niveau horizontal pour qu’il n’y ait pas de gestion bureaucratique et pour que la production soit assurée à temps avec une traçabilité que nul ne pourra fuir», c’est une forme de réorientation qui rompt avec l’approche verticale de la gestion des structures professionnelles. Cette démarche est demandée avec insistance par les spécialistes et les experts de l’agriculture en précisant que la «forme d’organisation verticale et horizontale donnera plus d’air et de démocratie aux Chambres de l’agriculture et fera des paysans producteurs de véritables partenaires du ministère de l’Agriculture et de vrais acteurs pour régler la question de la souveraineté alimentaire», déclare Belgat spécialiste en agronomie.