Neutralité du réseau internet Un principe sous pression

Neutralité du réseau internet Un principe sous pression

arton76084.jpgObjet d’une lutte d’intérêt sans merci aux Etats-Unis, où le réseau internet a fini par être déclaré comme service public, le principe de la neutralité de l’internet subit de nouveaux assauts en Europe où un texte vient d’être adopté suscitant beaucoup d’interrogations et de craintes.

Principe cardinal qui a servi au succès d’un réseau internet, ouvert, accessible et intelligent à ses deux extrémités, la neutralité de l’internet est ce principe fondateur qui veut que la circulation des données sur le réseau n’est soumise à aucune contrainte, aucun contrôle et n’obéit qu’aux protocoles nécessaires au codage, à la transmission et la réception des données.

La principale force de l’internet est d’être parvenu à s’ériger comme un réseau décentralisé, sans centre catalyseur, avec de l’intelligence aux deux bouts, émetteur et récepteur.

Ce succès lui vaut également quelques contraintes, notamment lorsqu’il faut arriver à faire garantir l’acheminement de toutes les données, sachant que le nombre de fichiers en circulation est de plus en plus important avec une bonne parte de données vidéo, grosses consommatrices de bande passante.

Depuis longtemps, déjà, les opérateurs des télécoms n’ont eu de cesse de revendiquer le droit de proposer des « voies distinctes » pour monétiser des couloirs de circulation sécurisés, à débit acceptable, pour des fournisseurs de contenus, notamment les gros consommateurs de bande passante tels Youtube et Netflix.

A voir ce qui vient de se passer à Bruxelles, cette semaine, il y a tout lieu de croire que les lobbies des télécoms sont parvenus à « leurs fins », du moins sur le continent européen.

« Comment l’Europe a vendu internet au diable », titre le site du quotidien gratuit français www.20minutes.fr, dans un papier dans lequel il revient en détail sur ce vote, la semain dernière, qui a vu les députés européens adopter un texte le moins que l’on puisse dire est qu’il est sujet à appréhension, dans la mesure, souligne ce site, où le terme même de « neutralité de l’internet » a complétement disparu.

« Alors que la notion était clairement défendue dans le projet de loi de 2014, elle a été très affaiblie dans la version finale, sous la pression des lobbies des télécoms, avec l’ajout de nombreuses exceptions », rapporte 20minutes.fr qui explique que ce sont finalement les députés du groupe social-démocrate qui ont « capitulé au bout des négociations, acceptant finalement de voter contre des amendements de dernière minute censés garantir ce principe.

En échange, ils ont obtenu la fin théorique – mais pas garantie, selon certains critiques – des appels surtaxés depuis l’étranger (roaming ou frais d’itinérance) dès 2017. » Treize eurodéputés français de ce groupe parlementaire se sont fendus d’une tribune dans un journal français pour expliquer qu’ils soutiennent le texte adopté, rejetant les critiques suscitées par son adoption et soutenant surtout qu’ils ont obtenu en contrepartie « des garde-fous » qu’ils jugent suffisants pour assurer la pérennité du principe de neutralité.

L’eurodéputée Julia Reda, du parti Pirate, n’en est pas convaincue, rappelant que le terme même de neutralité de l’internet figure plus dans le corps du texte adopté.

En fait, sous la pression des lobbyistes des groupes télécoms, les députés européens ont « pendu » un texte fait de compromis et de portes ouvertes, laissant « la possibilité aux FAI de proposer des voies rapides pour certains services spécialisés, un terme vague censé couvrir la télémédecine, les voitures autonomes et d’autres ‘services innovants’ », souligne 20minutes.fr qui a disséqué la stratégie adoptée par le commissaire européen au numérique Günther Oettinger, qui a alerté ses collègues « qu’il y aurait des accidents mortels si les voitures de Google ou d’autres ne disposaient pas d’un accès privilégié à internet », rapporte le site du quotidien gratuit français qui se fait l’écho de l’indignation de l’eurodéputée Julia Reda qui s’est élevée contre cette option, optant, explique-t-elle, pour une autre approche : « Dans les cas critiques où la sécurité est en jeu, il faut des réseaux dédiés avec service garanti, pas des voies plus rapides », déclare-t-elle selon 20 minutes.fr qui cite effectivement le modèle adopté aux Pays Bas où, écrit-il, « un protocole a été instauré pour permettre aux véhicules autonomes de communiquer les uns avec les autres afin de fluidifier la circulation. Mais il s’agit de réseaux de proximité.

Ils ne passent pas, fort heureusement, par Internet. » Parmi les parties mécontentes, les membres de l’association française Quadrature du Net, en pointe dans le combat pour les libertés sur le monde numérique, dénoncent une atteinte au principe de la neutralité du net, présenté, à juste titre, par un site créé à l’effet de défendre ce principe cardinal du net, comme un « principe fondateur qui garantit un internet universel, varié, innovant et libre ».

Pour le principe, est rappelé l’engagement selon lequel est garanti un accès non discriminant à internet, avec comme objectif, rappel le site 20minutes.fr : « Aucun serveur, aucune plateforme, aucune entreprise, aucun particulier ne doit pouvoir bénéficier d’un accès privilégié.

Le même traitement des données pour tous, au même prix ». Pour Adrenne Charet de la Quadrature du Net, citée par le site du quotidien gratuit français, il fallait plutôt « que la loi définisse clairement ce principe, pour le sanctuariser et empêcher toute dérive ».

L’élue allemande Julia Reda qui a dit toute sa déception de voir « la capitulation » des sociaux-démocrates, qui ont rejeté à 75% les amendements proposés pour protéger la neutralité, s’élève contre la tribune des 13 députés socialistes français auxquels elle reproche de n’avoir pas été prudents pour mettre en place des « garde-fous suffisants », leur rappelant que pour les grands opérateurs du net, « au lieu d’investir pour améliorer leurs infrastructures, les fournisseurs d’accès et les opérateurs vont être encouragés à monétiser la bande-passante de leur réseau au plus offrant. »

Par cette position, Julia Reda s’attaque surtout à ce fameux principe du « zéro rating » appliqué à l’internet mobile, et qui fait, explique 20minutes.fr, qu’un service de « streaming peut payer un opérateur afin que ses données ne soient pas comptabilisées dans le forfait data de l’abonné. C’est aussi ce que fait Facebook en Inde avec son projet Internet.org ».

Une entourloupette aux yeux de la députée allemande qui a également dénoncé les inégalités de chance entre les différents opérateurs avec notamment un net avantage pour les mastodontes plus aptes à payer que d’autres.

Il s’agit de la possibilité laissée aux fournisseurs d’accès internet d’opérer une « discrimination » sur les octets en circulation, par « classe de trafic », et ce, dans des cas de « bouchon » ou de « congestion imminente ».

Des cas de figure suffisamment vagues, notamment pour le second, pour laisser toute latitude aux fournisseurs d’accès d’opérer un traitement différencié des flux.

Les inquiétudes des militants pour une stricte neutralité de l’internet son confortées par la position du père fondateur du web, qui s’est toujours dit désolé de constater : « c’est que le trafic crypté est souvent rangé automatiquement dans une catégorie lente », relève 20minustes.fr qui rapporte les propos de Julia Reda qui voit que depuis « les révélations sur la NSA, on devrait encourager, et pas dissuader, le cryptage des données pour protéger la vie privée des internautes ».

Les imprécisions et flous, qui traversent le texte adopté par les députés européens, laissent libre cours à une multitude d’appréhensions quant aux attitudes des opérateurs de l’internet qui seraient tentés de faire de la discrimination au profit de leurs seuls intérêts.

Les militants de la Quadrature du Net donnent l’exemple de l’opérateur français Orange qui, disent-ils sur 20minutes.fr, « est autant un FAI qu’un fournisseur de contenus (Dailymotion) et un fournisseur de service (téléphonie mobile) », ajoutant qu’ils auraient souhaité voir adopter « un texte aux contours très clairs pour l’empêcher de prioriser certains contenus », comme par exemple, « ralentir le débit de YouTube pour les utilisateurs de la Livebox », souligne le site.

Adrienne Charmet de la Quadrature du net tient à rappeler à ce propos que des « opérateurs ont déjà bloqué Skype parce qu’il leur faisait de la concurrence en proposant des appels gratuits », dans une tentative de démonstration que dans des cas, il y a opposition entre les intérêts des opérateurs et ceux des utilisateurs.

De même que pour le principe du « zéro rating » qui est également pour cette militante une pure « discrimination tarifaire », mais par là même, souligne 20minutes.fr, une aubaine pour les mastodontes qui peuvent se le permettre comme Facebook ou Google, au détriment des plus petites plateformes.

A travers un travail de lobbying savamment orchestré, les grands groupes des télécoms européens ont pu également obtenir que le parlement se dessaisisse de la prérogative de définition des règles de conduite en la matière, laissée à l’appréciation des instances de régulation, faisant dire à Adrienne Charmet : « C’est un peu comme si le Parlement avait voté la loi et qu’il laissait le décret d’application à d’autres, explique Adrienne Charmet.

En l’occurrence, à des gens qui n’ont plus rien à voir avec un quelconque processus démocratique. » Malgré le commentaire optimiste du journaliste du site 20minutes.fr qui estime que « tout n’est pas perdu » et que le voile sera levé « par des juges et surtout par les régulateurs européens des télécoms, comme le BEREC », la députée du parti Pirate rétorque « que ses membres ne sont pas élus et que les négociations n’auront sans doute pas lieu dans la transparence », avant de conclure par cet appel à la riposte « populaire » : « Si le public ne veut pas laisser les lobbies des télécoms décider de l’avenir d’internet, il doit se mobiliser. »

Le régulateur français des télécoms, ARCEP (Agence de régulation des communications électroniques et de la poste), voulant anticiper cette mission d’élaboration des règles de conduite en matière de neutralité de l’internet, a publié en septembre dernier un état des lieux du cadre de régulation dans lequel sont rappelés les grands principes de l’internet ouvert et de la neutralité de l’internet : traitement égal et non discriminatoire du trafic internet, d’une part, et droit de tout utilisateur de diffuser et d’accéder aux informations et contenus de son choix, d’autre part », lit-on sur le site de l’agence.

Pour les cas de traitement différencié du trafic de données, le texte du régulateur français évoque la possibilité d’une « gestion raisonnable du trafic », sous réserve, y est-il précisé, que les pratiques soient « transparentes, proportionnées et non-discriminatoires, répondent à des impératifs techniques objectifs, ne se fondent pas sur des considérations commerciales ».

Les cas de restrictions pouvant être imposées à un quelconque service sont également listés, à savoir, « une obligation légale ou une décision de justice, des enjeux de sécurité, ainsi qu’une congestion momentanée et imprévisible du réseau. »