Mustapha Medjahed, directeur de l’observatoire national de l’éducation et de la formation à l’expression : “La lutte doit être le souci de tous”

Mustapha Medjahed, directeur de l’observatoire national de l’éducation et de la formation   à l’expression :  “La lutte doit être le souci de tous”

Hanté par l’ampleur du phénomène de la violence en milieu scolaire, Mustapha Medjahed est en train de se donner à fond à partir de son poste pour pouvoir y trouver des solutions idoines. D’une étude à une autre, Mustapha Medjahed semble trouver le bout du fil à suivre et maîtriser l’origine de ce «fléau». Dans cet entretien, il nous livre quelques résultats auxquels a abouti la dernière étude qu’a menée l’institut qu’il dirige.

L’Expression: Le taux de violence en milieu scolaire a triplé entre 2011 et 2016, selon les conclusions de l’étude qu’a effectuée l’Observatoire que vous dirigez. En tant que directeur de cet observatoire et spécialiste dans le domaine, quelle lecture en faites-vous?

Mustapha Medjahed: En ce concerne les taux, il faut toujours se poser la question, de quelle population globale on calcule ces taux. Le ministère de l’Education nationale calcule les taux à partir du nombre des élèves ayant commis un acte de violence quelle que soit sa forme, par rapport au total des apprenants inscrits dans un cycle précis.

Il s’agit bien entendu, des données recueillies auprès des directions de l’éducation au niveau des wilayas. Ce travail permet de tirer des conclusions.Au cours des 16 années (2000- 2016), le taux le plus élevé au primaire a été enregistré en 2007. Dans le cycle du moyen, c’était en 2004 et en 2014. Pour le secondaire, le taux le plus élevé a été enregistré en 2013.

Selon les conclusions de l’étude en question, le palier moyen est celui qui enregistre le plus grand nombre de cas de violence. Comment justifiez-vous cet état de fait?

En effet, le cycle moyen enregistre le taux le plus élevé par rapport au primaire et au cycle du secondaire. Sur l’ensemble des cas de violence recensés de 2000 à 2016, il y a 52% qui concernent le cycle moyen. On ne voit pas une explication valable sauf celle liée aux donnes physiologiques et psychologiques des jeunes au cycle moyen. Il s’agit d’un âge de l’adolescence qui doit être pris en ligne de compte dans un plan de lutte et de prévention de la violence.

En effectuant votre étude, vous avez pu déterminer que les auteurs de la violence en milieu scolaire sont nombreux. Cependant, vous avez précisé que l’élève est à l’origine de près de 80% des cas de violence. Ne voyez-vous pas que cet élève est lui-même victime de certains facteurs? Quels sont-ils d’après vous?

Les données nous permettent de constater que 80% de l’ensemble des cas de violence recensés dans les établissements scolaires concernent les apprenants entre eux. Cela semble logique pour plusieurs raisons, la catégorie des enfants scolarisés représente démographiquement la population la plus importante par rapport à la catégorie des adultes qui n’atteint pas la masse démographique des apprenants. Ces derniers traversent vu leur âge, une phase de croissance différente de ce qu’elle est chez la catégorie des adultes.

On pose de manière récurrente dans les milieux éducatifs, pour des raisons objectives et parfois subjectives la question: qui est vraiment l’auteur de la violence et qui est la victime? Chercher une réponse à une telle question ne vise pas, sans doute, à identifier l’auteur ou la victime pour la stigmatisation, mais de fournir des données qui nous aident à construire une vision objective dans le but d’élaborer un plan pour faire face à la réalité telle qu’elle est sur le terrain.

Pour y remédier, vous avez plaidé pour deux types de solutions: disciplinaires (immédiates) et des mesures en différé. Pouvez-vous nous expliquer davantage ces deux types de mesures?

Oui, c’est une question très importante. En ce qui relève des actions immédiates, nous savons que les établissements éducatifs adoptent des mécanismes de lutte contre la violence, toutefois ces mécanismes jouent un rôle qui se limite à l’espace de la classe et de l’école, et leurs efficacités (disciplinaire, pédagogique, éducatif et sanitaire, s’il s’agit de prise en charge sanitaire). Ces mécanismes sont toutefois entravés une fois que l’apprenant se déplace dans d’autres espaces régis par d’autres considérations et d’autres relations qui ont leurs traditions et leurs logiques. Ceci dit, la lutte contre la violence n’est pas seulement l’affaire de l’école, mais c’est celle aussi de beaucoup d’autres institutions.

A l’image du ministère de la Solidarité nationale qui peut contribuer à travers le Soemo (service d’observation et d’éducation en milieu ouvert) et d’autres mécanismes. Le ministère de la Santé possède quant à lui, des capacités de prise en charge qu’il s’agisse de victimes de la violence sous ses diverses formes, ou bien même de jeunes potentiellement responsables de violences à l’encontre de soi-même ou contre l’autre. De son côté, le ministère de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication peut intervenir dans la surveillance des réseaux sociaux.

Les brigades de la Gendarmerie nationale et de la Sûreté nationale jouent un rôle important dans la lutte contre les formes connues de la violence dans l’environnement des établissements scolaires. Quant aux actions en différé; elles regroupent les procédures dont les résultats ne sont pas perceptibles dans l’immédiat dans la mesure où les projets de prévention ne livrent leurs fruits qu’à moyen terme du moins. Plusieurs secteurs ministériels et institutions sociétales peuvent oeuvrer dans le but d’atteindre ces objectifs de prévention, selon les moyens disponibles. Le ministère des Affaires religieuses peut jouer un rôle important à travers la diffusion du discours religieux qui prêche la vertu, la bonne conduite, les valeurs de tolérance, la culture de paix et l’acceptation de la différence.

Aussi, le ministère de la Poste peut organiser des campagnes de sensibilisation basées sur des expériences vécues dans le but de montrer aux élèves les risques de l’utilisation abusive des réseaux sociaux. Les solutions réglementaires peuvent être appliquées à travers l’implication des élèves dans la responsabilité de gestion de la classe, de l’école et de la vie dans le quartier de résidence en leur attribuant des rôles constructifs. Quant à l’échec et l’abandon scolaire et leurs rapports avérés à la violence, les solutions sont d’ordre pédagogique. La mise en oeuvre de la stratégie nationale de la remédiation pédagogique, les pratiques de régulation possibles et la généralisation des portes folio sont susceptibles de réduire considérablement les taux de déperditions, notamment dans le cycle obligatoire.

Vous avez conclu votre exposé, en affirmant que la lutte contre la violence en milieu scolaire, est l’affaire de plusieurs secteurs. Comment concevez-vous concrètement l’apport de certains secteurs que vous avez cités, à savoir les affaires religieuses et la culture?

Certainement, et je donne seulement un exemple, le ministère des Affaires religieuses joue un rôle éducatif important qui peut contribuer à la consolidation de la culture de paix et contribuer par conséquent à la prévention de la violence et à réduire toutes les formes d’extrémisme chez les enfants en particulier. Des milliers d’enfants fréquentent les écoles coraniques et des mosquées, beaucoup de jeunes et d’adultes assistent aux prêches et halqas qui diffusent la culture de la tolérance, et l’acceptation de la différence et tout ça doit être consolidé.

>Un mot de la fin peut-être?

Nous souhaitons arriver tous à oeuvrer pour améliorer les relations entre l’école et son environnement et à consolider le sentiment de responsabilité sociale et morale envers l’école. Qu’on soit sensibilisé à l’égard du rôle qu’on doit jouer en tant que citoyens concernant la lutte et la prévention de la violence en milieu scolaire.