Moussa Touati : «le 18 avril, restez chez vous ou allez en pique-nique»

Moussa Touati : «le 18 avril, restez chez vous ou allez en pique-nique»

Il donne l’impression d’avoir été dépouillé de ses illusions mais il ne déserte pas le champ politique national.

Colère froide. Moussa Touati, 66 ans en octobre prochain, chef du parti FNA (Front national algérien), depuis sa fondation, semble tomber de haut. Même s’il ne déserte pas le champ politique national, il donne l’impression d’avoir été dépouillé de ses illusions. Affable comme à son habitude, il se prête à nos questions mais dans un ton de confidences comme s’il cherche à nous prendre à témoin quant à l’état des lieux du paysage politique et social en général à la faveur de l’élection présidentielle du 18 avril prochain. Plutôt de la tristesse que de la rancœur, la tournure que prennent les choses semble le reléguer au rang de spectateur qui n’a aucune prise sur une réalité politique qui lui échappe. Nous sommes allés le voir, pour un entretien, en son siège à la rue Tanger.

Le très vieil immeuble est défiguré par les échafaudages installés pour les travaux de ravalement de la façade. Qu’importe, l’accès au siège se fait par une porte commune. Les bureaux sont plongés dans un calme feutré à peine dérangé par une secrétaire qui annonce notre visite au président puis s’éclipse.

Le président du FNA est-il un homme aigri, usé par les épreuves et les nombreux coups fourrés dont il a eu à faire face ? Il est bien loin le temps où il nous déclarait sa détermination, sinon le vœu de s’installer au Palais d’El Mouradia. Le FNA de consultations électorales : communales, législatives et présidentielles. Après une première expérience – qu’il nous dit amèrement regretter — à l’élection présidentielle en 2004 aux côtés de Ali Benflis (6,42% des voix) éjecté dès le premier tour en faveur du candidat Bouteflika, il garde tout son optimisme quant à l’avenir. C’est vrai qu’il a le vent en poupe.

Le FNA de Moussa Touati, surprend, étonne aussi bien les politiques que le citoyen lambda qui n’arrive pas s’expliquer son succès. Qu’on en juge, en 2002, il est le 7e parti avec 8 sièges devant le MSP, le RCD et le FFS notamment. Il récidive en 2013 avec 13 sièges et se classe 6e parti. En 2012, il perd quelques sièges mais score avec 9 élus dont 3 femmes. La consultation de 2017, l’euphorie prendra brusquement fin. Moussa Touati sombre. La chute est pour lui brutale, elle fait mal. Comment peut-il en être autrement lui qui recueille 330 570 voix (2,31%) favorables lors de la présidentielle de 2009 sous le slogan : «Pour le changement et la souveraineté du peuple».Cependant, 5 ans après, il n’est plus qu’à 0,56 % des voix avec 58.154 votes favorables.

Le phénomène Moussa Touati perd de sa superbe. Le coup de grâce à ses espoirs déçus viendra des dernières législatives, c’est tout juste un siège à l’Assemblée nationale qu’il arrache de haute lutte après… une grève de la faim et 200 000 DA déboursés pour accéder aux P-V du bureau de vote qui lui ont donné raison quant à ses revendications. C’est bien maigre mais mieux que de disparaître totalement. Dès lors, le président du Front national algérien n’aura de cesse de se battre et se débattre. Il incombe tous ses malheurs à la fraude électorale, les injustices et les coups bas ourdis contre sa personne et sa formation.

En effet, il sera confronté à la fronde de ses militants qui le contestent et il y voit là le travail de sape d’éléments infiltrés à laquelle s’ajoute la migration d’une partie de ses militants vers d’autres formations politiques. Et comme pour l’enfoncer, une affaire est levée contre lui à propos des locaux du siège du parti. Moussa Touati ploie mais ne rompt pas, il doit faire face à l’adversité et aux vicissitudes de la politique.

Pas de répit toutefois au natif de Béni Slimane (Médéa). Son destin lui impose de se déterminer par rapport à l’élection président du 8 avril 2019. Ses chances sont nulles. Il le sait et cela le fait d’autant enrager qu’il ne peut même plus faire bonne figure jouant le rôle de lièvre «honorable» comme par le passé. Il ne lui reste alors que les yeux pour pleurer une période faste où son nom était assurément incontournable – médiatiquement parlant au moins. C’est que le rapport à la politique après la décennie noire a radicalement changé, les forces de l’argent prennent le relais des apparatchiks de la politique imposant un nouveau rapport de force jusqu’au sommet de l’Etat. Celui qui a lancé l’idée de faire contribuer financièrement ses militants dans les élections se retrouve lui-même distancé par ceux qui roulent sur des milliards et qui achètent leur statut politique avec l’argent au vu et au su de tous. Toute honte bue. Une situation qui introduit de nouvelles donnes et le chef du FNA n’arrive pas à trouver ses marques et ne veut pas aussi songer à prendre sa retraite.

Pour l’heure, il ronge son frein et veut faire de la présidentielle 2019 l’occasion d’exprimer bruyamment sa déception d’enfant prodige. Sa dernière offre de service n’a pas eu l’effet escompté c’est-à-dire un retour d’écoute de la part d’El Mouradia (ou Zéralda !) : une marche nationale pour demander une prolongation de deux ans du mandat de Bouteflika en vue de parvenir à la mise en place de conditions pour l’élection. Ridicule diront certains tandis que d’autres riront sous cape pour ne pas crier au scandale. Par dépit ou à son corps défendant, Moussa Touati nous déclare : «Je ne suis pas candidat parce que la voix du peuple n’est pas respectée. Dans toutes ces élections, il n’y a pas de mécanismes qui protègent contre la fraude et les dépassements quand bien même il y a une commission de surveillance des élections mais sans prérogatives réelles. En dehors des observateurs dépêchés par l’Onu ou l’Union européenne, ceux d’Afrique et des pays arabes, viennent pour empocher un chèque.» Et comme pour exprimer une intime conviction : «Le peuple n’ira pas voter. Le nombre de votants ne dépassera pas 15 à 18%. Et d’ailleurs pourquoi les gens vont-ils voter s’ils ne perçoivent rien en retour en matière d’emploi, de santé, d’éducation, de retraite décente ? J’appelle les algériens à ne pas aller voter, à rester chez eux ou aller faire du pique-nique. Qu’ils s’éloignent des bureaux de vote pour éviter les caméras aux images trompeuses. Boycott ? Quelle est son efficacité devant la pratique de la fraude massive ?» «S’ils veulent vraiment de vraies élections, transparentes et crédibles, il faut introduire le vote avec la carte biométrique que l’on met dans un terminal installé dans les bureaux de vote, pas besoin de listes de votants. Cela fait plusieurs années que nous revendiquons ce procédé en vain. On n’en veut pas parce que cela met en cause d’énormes intérêts.» Son parti réduit à sa plus simple expression, Moussa Touati cherche le moyen de rebondir et retrouver le sacre d’antan ? «Nous disons qu’il est temps d’aller à une constitution populaire et arrêter avec les révisions à répétition de la constitution actuelle, ce n’est qu’ainsi que le peuple pourra décider de la nature de son régime politique « pourquoi n’a-t-il pas rejoint la coalition gouvernementale lorsqu’il avait les atouts pour cela ? La réponse fuse : «je n’ai jamais eu de contact pour ce faire.» Et c’est la porte ouverte aux récriminations : «Ils vont dépenser 100 millions de dollars pour ces deux jours de l’élection.» «Les gens sont payés pour remplir les salles de meetings». «Je défie Taj de Amar Ghoul, le MPA de Amara Benyounès et d’autres de mobiliser 500 à 1 000 personnes sans les payer.» S’il n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur ces partis qui font le jeu du pouvoir, il se désole aussi que le système achète sa protection des grandes puissances dont la France et les Etats-Unis. «Il faut rendre la souveraineté au peuple, le seul à même de défendre le pays».

Alarmiste pour certains, conviction pour lui : «Ils ont tellement appauvri l’algérien, homme libre et fier, et à abdiquer sa dignité qu’ils ont fait de lui un simple figurant pour mieux assurer leurs intérêts.»

La porte métallique s’ouvre, bruits de voix, la secrétaire annonce deux vieux militants…

B. T.