Marché de l’automobile ,Des ventes douteuses et des réseaux de trafic juteux

Marché de l’automobile ,Des ventes douteuses et des réseaux de trafic juteux

Que se passe-t-il vraiment dans le marché national de l’automobile ? Pourquoi les concessionnaires livrent-ils à leurs clients les véhicules une année après la commande ? Pourquoi toute cette attente, alors que leurs parkings sont pleins de véhicules neufs ?

Autant de questions qui sont enfin élucidées grâce à l’enquête que nous avons menée. Voici les enjeux réels du marché de l’automobile en Algérie. Une moyenne de 80 000 véhicules est vendue chaque mois par les concessionnaires.

Un chiffre important dans la mesure où notre pays est l’un des marchés les plus attractifs dans le monde arabe et en Afrique. En l’espace de quelques années seulement, 19 concessionnaires se sont installés en Algérie, car la concurrence est devenue rude et la demande qualifiée de très intéressante. Face à cette situation, et pour booster leurs ventes, certains concessionnaires se sont rabattus sur des ventes «douteuses».

Un client s’est présenté il y a quelques jours chez un concessionnaire automobile dont le siège est situé dans la banlieue algéroise. Sur place, le personnel a répondu favorablement à sa demande, mais lui apprend que la voiture ne sera livrée que dans huit mois car elle est en fabrication dans une usine établie à l’étranger et que le stock en Algérie est épuisé.

C’est le cas de milliers de clients. A chaque fois, les concessionnaires invitent leurs clients potentiels à être patients, car la commande ne pourra être satisfaite qu’après des mois. Pour avoir plus de détails, nous nous sommes rapprochés des concessionnaires pour en savoir plus.

La réponse est la même : ils disent que les parkings sont vides tout au long de l’année, car au niveau des usines, établies un peu partout dans le monde, notamment en France, Turquie, Chine, Allemagne, etc., on n’arrive pas à satisfaire les commandes des nombreux clients de par le monde, dont celles des Algériens. Mais, face à cette situation, certains concessionnaires cachent l’autre vérité.

Aujourd’hui, des personnes «physiques» ont réussi, avec la complicité de certains concessionnaires, à avoir des véhicules neufs sortis fraîchement des parkings, et ce, en l’espace de quelques jours seulement. Qui sont ces gens ? Pourquoi les concessionnaires parlent-ils de pénurie alors qu’en face, certaines personnes «physiques» vendent, en toute illégalité, des milliers de véhicules. Selon une source sécuritaire bien informée, ces personnes «physiques» feraient partie «de réseaux de trafic».

150 véhicules pour une seule commande

Selon des sources, certains concessionnaires n’ont pas hésité à vendre leurs véhicules à des personnes «physiques» en livrant de grosses commandes que seules les entreprises peuvent acquérir. Mieux, il y a quelques mois, trois jeunes frères se sont présentés chez un concessionnaire français pour faire une commande de 150 véhicules.

Non seulement cette commande a été acceptée sous le nom de personnes physiques, mais le plus étonnant, c’est que le concessionnaire a présenté une remise de «show-room» de 6%, alors qu’il s’agit de personne physique. Ce genre de remise est réservé uniquement aux entreprises ayant fait de grosses commandes de véhicules. Mieux, la personne physique ayant bénéficié de cette remise se voit offrir un autre avantage, celui de ne verser au départ que 10% du montant total de l’achat des véhicules.

L’astuce est simple ; les clients, avant même qu’ils ne payent le montant restant, ont déjà vendu tous les véhicules sans verser la totalité de la somme, et avant même que les véhicules ne soient sortis de la maison. Il s’agit là, selon nos sources, d’une complicité de ce concessionnaire. Autre détail important, la carte jaune, délivrée par le concessionnaire. Un document livré avant la carte grise est émis au nom des acheteurs de seconde main, ce qui ne pourrait pas être fait sans une complicité avec des concessionnaires.

Entre 10 et 50 millions pour chaque véhicule vendu

Les personnes physiques auteures des commandes servant ainsi d’«intermédiaire» gagnent entre 10 et 50 millions de centimes par voiture, selon la marque et le prix. Prenons par exemple les 4X4 dont le coût avoisine les 500 millions de centimes.

Ces véhicules apportent à l’«intermédiaire 50 millions de centimes par unité. Pour les intermédiaires, la livraison des voitures commandées se fait rapidement, contrairement aux autres acheteurs, souvent des particuliers, obligés d’attendre jusqu’à une année pour que leurs voitures leur soient livrées. Selon des informations parvenues aux services de sécurité, des réseaux bien structurés sont derrière les commandes les plus importantes.

Pis, chaque réseau de trafic de véhicules détient le monopole d’une marque d’automobile. Seule raison pour laquelle les particuliers se voient contraints d’attendre de longs mois pour que leurs commandes soient satisfaites. Certains concessionnaires, complices avec les réseaux de trafic de voitures, en tirent profit en bénéficiant de leur part du gâteau.

La Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF), chargée de la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme n’a jamais été informée des grosses «transactions» faites par certains concessionnaires avec des personnes physiques.

Il s’agit là d’un grave délit vis-à-vis des lois algériennes, dans la mesure où il est fort possible qu’il s’agisse de personnes ayant des liens avec des groupes terroristes ou des réseaux de trafic de véhicules. La CTRF devait être informée par chaque concessionnaire, alors que ce n’est pas le cas. Cette situation risque de peser lourd sur la sécurité du pays, surtout que personne ne sait, aujourd’hui, à qui appartiennent ces voitures.

Par Mounir Abi