Lotfi Halfaoui, spécialiste de l’industrie, au sujet de la filière automobile: “Il y a absence de vision”

Lotfi Halfaoui, spécialiste de l’industrie, au sujet de la filière automobile: “Il y a absence de vision”

Lotfi Halfaoui, directeur général du cabinet d’expertise industrielle Halfaoui, espère que les réaménagements à apporter au cahier des charges en cours de maturation au ministère de l’Industrie et des Mines ne seront pas une fin en soi.

Liberté : Quel constat faites-vous de l’industrie automobile, aujourd’hui, dans le pays ?

Lotfi Halfaoui : La définition de l’industrie automobile induit des activités de conception, de fabrication et de commercialisation de véhicules, c’est-à-dire une activité économique qui intègre la filière complète, des concepteurs, des assembleurs, des donneurs d’ordre et sous-traitants, et des prestataires de services.

À partir de cette définition, le constat est sans appel : sans conception, ni fabrication, ni de sous-traitants de premier rang, il n’existe pas à ce jour d’industrie automobile en Algérie. Nous retrouvons en fait un réseau de distributeurs, et les balbutiements d’assembleurs qui répondent à un cahier des charges voué à de nouvelles exigences du ministère de l’Industrie et des Mines.

Le secteur de la construction des véhicules est internationalisé et exige un positionnement clair dans la chaîne de valeur mondiale. Il y a absence de vision. La démarche suivie jusqu’à ce jour est “cosmétique” et le “made fibladhoum” et assembler en Algérie renchérissent le prix de la voiture pour le citoyen algérien tout en pénalisant le Trésor public.

L’actuel gouvernement a fait une évaluation récente de cette activité. Et il n’en est pas content. La première des initiatives qu’il aurait prises consisterait à tout remettre à plat, à réviser les règles du jeu. Que vous inspire cette initiative ?

Il était urgent de le faire, car, les conditions d’échec étaient réunies, la démarche industrielle était biaisée. Ce secteur industriel doit d’abord et avant tout identifier le positionnement de la construction automobile nationale dans le contexte international. Quelle est la place que nous ambitionnons d’atteindre dans cinq et dix ans ? Or, si on analyse objectivement et sereinement les données, la faisabilité de cette ambition est économiquement négative.

Le marché mondial de l’automobile constitue un modèle économique en transition avec des enjeux autour du produit (coûts, haut niveau de sécurité, moins énergivore, exigences environnementales, etc.) et des enjeux autour du processus de fabrication de la voiture qui se veut plus sophistiquée technologiquement et décarbonée (hybride et électrique). Nous sommes exclus de fait du secteur de la construction.

Pour être concurrentiel, le processus de fabrication est fortement robotisé. L’Allemagne est en tête en Europe avec 1 150 robots, suivie de la France avec 940 pour 10 000 salariés.

Notre culture industrielle est en retard, et même quand on regarde le coût de la main-d’œuvre, nous sommes plus chers que le Maroc qui est considéré plus cher de quinze à vingt pour cent par rapport aux benchmarks internationaux. Encore un frein à nos ambitions.

Le secteur de l’automobile implique un savoir-faire exceptionnel et permanent de l’acte de vendre et d’exporter, or ce n’est pas notre “fort”. Le Maroc, par exemple, est présent commercialement en Afrique dans 26 pays. Nous avons tout à apprendre.

Pour ce qui est de l’assemblage automobile, c’est une activité à valeur ajoutée moyenne selon l’Institut de la Chaîne de Valeur Globale de l’Université de Dukeaux, États-Unis. Donc, économiquement fragile. C’est dire que le secteur de la construction automobile est contraignant et complexe, et nous avons l’impression que nous n’avions pas pris toute la mesure de cette complexité.

Quel doit être, selon vous, l’ordre des priorités dans cette industrie ?

L’Algérie doit prioriser sa présence sur certains volets : sur la chaîne de valeur traditionnelle du secteur automobile, se focalisant ainsi sur les composants et autres intrants ; sur une filière potentiellement intéressante, celle de la collecte-démantèlement, recyclage-valorisation et/ou broyage des véhicules en fin de vie. Nous avons, par ailleurs, un panel d’atouts spécifiques qu’aucun pays de la région possède : une énergie fossile aujourd’hui et renouvelable et solaire demain à bas coût ; un positionnement géographique stratégique ; un secteur métallurgique (hauts-fourneaux) en phase de développement avancé ; un futur port d’El-Hamdania qui comptera 23 terminaux, d’une capacité de traitement de près de 6,5 millions de containers/an, avec 25 à 35 millions de tonnes/an de marchandises, en plus d’une zone logistique de 2 000 hectares en cours de construction. Une zone franche dédiée aux sous-traitants en lien avec le secteur industriel automobile serait une initiative prometteuse ; un marché interne de plus en plus exigeant de plus de six millions de véhicules (le plus important du Maghreb). Cela nous permettra d’asseoir une industrie d’intrants en amont de rang 3 puis de rang 2 afin de satisfaire progressivement le marché interne de la pièce de rechange et exporter les excédents et surtout de fiabiliser le parc autos avec une maintenance accrue. Nous espérons que la nouvelle mouture du prochain cahier des charges en cours de maturation au ministère de l’Industrie et des Mines ne sera pas une fin en soi et que l’industrialisation de l’économie nationale “au pas de charge” sera la seule réponse aux maux de notre développement.