L’été en Algérie: Le prix du bikini

L’été en Algérie: Le prix du bikini

«La femme qui veut se baigner en Algérie en maillot de bain, que ce soit en bikini ou autre, elle le fait. Il suffit de faire un tour sur les plages pour le constater.»

Se livrer aux plaisirs de la mer relève de l’impossible pour les Algériennes. Nager en bikini, le long de la côte algéroise et proche-algéroise s’avère être pour elles un vrai défi. De Sidi-Fredj, lieu pourtant hautement touristique, aux confins de la côte de la wilaya de Boumerdès, se baigner sans entraves vestimentaires pour nos concitoyennes n’est pas chose évidente. Les îlots de liberté où elles peuvent prétendre à un bronzage en bonne et due forme, sont rares et les places y sont payées au prix fort. Nombreuses sont d’ailleurs celles qui s’exilent, le temps de la saison estivale, en Tunisie, en Espagne, au sud de la France et autres pays ensoleillés pour jouir en toute quiétude de l’astre jaune et de la grande bleue.

Ce constat est malheureusement vérifiable sur le terrain, où les jeunes et les moins jeunes arrivent tant bien que mal à composer avec une réalité devenue littéralement amère car la liberté individuelle n’est pas respectée sur les lieux publics. Mounira et Yasmine sont deux émigrées qui ont eu à expérimenter le vécu sur le littoral national. Préférant se fondre dans la masse des aoûtiens, elles auront vite déchanté.

C’est d’abord à Sidi Fredj, à l’ouest de la capitale qu’elles réalisent que s’allonger sur le sable à la lisière des vagues et en deux pièces est plus qu’improbable. Cette ambition somme toute naturelle pour ces émigrées venues humer l’atmosphère du pays est finalement contrariée par des us et coutumes nouvellement instaurées sur les rivages nationaux. A commencer par les plagistes qui estiment qu’ils ont droit d’emprise sur les endroits les plus stratégiques de la côte. «Je n’ose pas m’aventurer entre les rangs des parasols des loueurs pour ensuite mettre les pieds dans l’eau», assène Yasmine, dépitée par un décor qui n’invite pas au farniente et à la décontraction. Pas moins de trois rangées de parasols sont alignées et font office d’un contrefort qui sépare la lisière des flots du reste de la plage, jonchée par endroits de détritus et de bouteilles d’eau minérale vides.

Pourtant l’accès à ces espaces est au préalable taxé d’une somme qui va dans les caisses du parking et qui varie entre 100 DA et 150 DA, «Où va cet argent?», s’interroge pour sa part Mounira qui constate que les commodités telles que les toilettes ou les douches sont quasi inexistantes. En dépit de la chaleur étouffante, les deux jeunes filles ne songent même pas au bout de quelques minutes sur les lieux, à faire trempette. Le regard dédaigneux des autres, notamment de certaines femmes hermétiquement vêtues, autant que la distance à parcourir pour humer de près l’air marin les en détournent. Fuyant la côte ouest en quête d’autres éventuels aires de plaisance, les deux demoiselles mettent le cap sur l’est. Elles s’engouffrent dans les plages les plus réputées de l’ex-Rocher noir, actuellement Boumerdès.

Des coins, jadis paradisiaques et qui avaient fait le bonheur des plaisanciers durant les années 1970, voire 1980, se sont drapés aujourd’hui du voile de la grisaille. Au Figuier, un estaminet, voire deux, jouxtent le front de mer, ils sont néanmoins entourés d’une clôture qui délimite les frontières entre le tumulte des bars et la quiétude de la plage. Ici et alors que le soleil est au zénith, point de désinvolture en matière de tenue de bain. Le ton est à la sobriété et au contentement des corps. Point de personnes allongées et bronzant avec un livre à la main. Le séjour se résume à quelques escapades dans l’eau, au repas pris en famille et au thé siroté avec des beignets vers seize heures tapantes.

A quelques kilomètres de là, la plage du Rocher pourri, récemment ouverte au public. Celle-ci donne plus à l’est sur la plage de Sghiret, laquelle appartient à la circonspection administrative de Thénia. Les bungalows occupés le temps d’un été sont ici légion. Ils surplombent une vaste plage, où les joies de la mer se résument à des parties de pêche entre amis, et à de longues siestes entrecoupées de conversations entre membres d’une même famille. La règle veut que les avant-postes soient encore une fois investis par les plagistes qui proposent chaises et tables à 1500 DA et des tentes de fortune presque au même prix. Des tarifs prohibitifs pour nombre de pères de familles qui préfèrent s’abstenir de les approcher et optent pour des positions de retrait sur le sable après s’être acquittés des redevances de l’inévitable parking.

Non loin de Sghiret, apparaît la plage Le Grand Bleu. Un endroit dont la réputation remonte au début des années 1990 et dont la vocation consiste à louer des bungalows sur un site qui marie forêt de pins et plage. Rappelons qu’entre Sghiret et Le Grand Bleu, existait à un moment donné ce que l’on a désigné par Ushuaia Beach Club, une plage privée dont l’accès était monnayé à 1200 DA pour les adultes et à 600 DA pour les enfants. Elle n’est aujourd’hui qu’un lointain souvenir, constatent les deux vacancières. Celle-ci a fait l’objet vers la fin de l’été 2016 d’une descente en bonne et due forme de la part de certains gardiens de la morale intolérants au bikini. Une escapade sur une terrasse de café au Grand Bleu permet de prendre le pouls de l’ambiance qui règne sur la plage. Un jeune saisonnier, la vingtaine à peine entamée, sirote une limonade et échange avec le tenancier de la cafèt. «Je suis exaspéré par ces hommes qui arrivent à la plage en compagnie de leurs femmes à moitié nues!» lance-t-il en guise de réflexion.

Cette dernière en dit long sur la sournoise violence sociale dans notre pays. Lyna qui s’invite à notre table révèle: «Le prix du bikini se paye cher en Algérie!». En fait et faute de mieux c’est-à-dire à défaut d’aller sous d’autres latitudes, nombreuses sont celles qui monnayent au prix fort leur tranquillité. Pour fuir l’agression des regards et les remarques désobligeantes, elles ont leurs adresses. Les plus privilégiées peuvent s’offrir plus de 500 mètres de sable fin, pour la somme de 15.000 DA croit-on savoir. Les plus branchées suivent la tendance du moment et optent pour la Corne d’or afin de bénéficier d’un transat et de merveilleux moments de quiétude face à une mère d’huile pour quelque 2500 DA.

Citons également la plage Thalasso, située sur la presqu’île de Sidi Fredj. Celle-ci comme d’autres, connues des seules initiées sont accessibles grâce à un abonnement annuel de quelques milliers de dinars. Ce dernier est souvent le sésame de leur liberté de penser, de se vêtir à la plage. Rappelons qu’à la faveur de cet été, un groupe de jeunes filles sur Facebook a appelé les femmes à participer à des «baignades républicaines», c’est-à-dire avec un maillot de bain. Depuis, l’initiative fait le buzz, notamment à l’étranger.

Cherifa Kheddar, militante féministe, ancienne porte-parole de l’Observatoire des violences faites aux femmes et présidente de l’association Djazaïrouna, a confié à ce propos à notre confrère en ligne TSA: «La femme qui veut se baigner en Algérie en maillot de bain, que ce soit un bikini ou autre, elle le fait. Il suffit de faire un tour sur les plages pour le constater. Seulement, lorsqu’on croise ces regards haineux de la part de certains voyeurs, certaines femmes sont mal à l’aise et n’osent pas mettre leurs maillots. L’interdiction n’est pas consacrée par la loi mais imposée par ce projet obscurantiste qui amène la femme à s’interdire de se vêtir comme elle veut, afin de passer inaperçue.»