Les imams ont été instruits de dissuader les fidèles de participer aux marches: Le 5e mandat s’invite dans les mosquées

Les imams ont été instruits de dissuader les fidèles de participer aux marches: Le 5e mandat s’invite dans les mosquées

Par Badreddine Khris

Abasourdis, voire déconcertés, par la nouvelle posture “politique” que se sont adjugée certains imams, de nombreux habitués des mosquées ont quitté aussitôt les salles de prière vendredi dernier pour dénoncer l’intrusion de la politique dans les lieux de culte.

Les mosquées ont été encore une fois “utilisées” par les pouvoirs publics pour envoyer à l’adresse des citoyens un message purement politique lié à la présidentielle du mois d’avril prochain.

Vendredi, à l’occasion de la prière hebdomadaire, les imams ont été instruits par leur tutelle d’aborder le sujet des marches contre le 5e mandat, programmées le jour-même à travers les diverses contrées du pays. Dans leur discours, les prêcheurs ont tenté de dissuader les gens de prendre part à ces manifestations. Les prédicateurs ont puisé leurs arguties tantôt des hadiths, tantôt des référents religieux et des séquelles indélébiles de la fâcheuse expérience vécue par les Algériens lors de la décennie noire. Voilà une digression pas très… catholique commise, malgré eux, étant fonctionnaires, par ces imams. Ces derniers se sont exécutés illico presto pour les directives de leurs responsables hiérarchiques, acceptant même de faire une entorse aux règles de bienséance, au contenu du prêche et au règlement intérieur qui fondent pourtant la gestion de ces “maisons de Dieu”. Le discours politique s’invite de nouveau dans la mosquée.

Cependant, l’instrumentalisation à des fins politiciennes de ces lieux de culte émane, cette fois-ci, des officiels qui ont toujours dénoncé dans un passé récent, un tel acte ! “Hlal aliya, hram allik” (licite pour moi, illicite pour toi), tenterions-nous de dire à propos de cette ambivalence claire dans le comportement et le langage des autorités. Le premier dirigeant du secteur a mis l’accent, en août dernier, sur l’importance du discours au sein des mosquées dans l’orientation religieuse de la société. Il a très bien dit : orientation “religieuse”, et non pas “politique”. Pis encore, dans l’une de ses instructions du mois de juin dernier, le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, Mohamed Aïssa, a même sommé les imams de s’interdire toute discussion sur la politique et surtout sur la prochaine élection présidentielle prévue au printemps 2019. Les imams, a-t-il insisté, “doivent laisser leurs convictions politiques à l’entrée des mosquées”. Car, leurs prêches risquent, selon lui, d’influer les citoyens. Mohamed Aïssa avait également assuré que son département n’a pas l’intention de dicter à l’imam son prêche, mais de canaliser son discours pour qu’il ne sorte pas des vraies valeurs de l’islam qui méritent d’être promues dans notre pays. Une chose est certaine, a-t-il promis, lui et son département veilleront à ce que les imams et les mosquées “restent à l’écart des tiraillements politiques”.

Cette ambiguïté criante entre le discours officiel et l’attitude des… officiels, quant aux divers rôles que doit jouer la mosquée, n’a pas laissé indifférents les citoyens, notamment les fidèles parmi eux. Abasourdis, voire déconcertés, par la nouvelle posture “politique” que se sont adjugée ces imams, de nombreux habitués des mosquées ont aussitôt quitté les salles de prière vendredi dernier.

Lorsque les fidèles quittent les mosquées en plein prêche

C’est le cas à Béjaïa où plusieurs fidèles sont sortis de la mosquée El-Kawthar, au quartier Amriou, en guise de protestation contre des propos de l’imam qui y officiait. “Ils ont protesté au moment où il est monté au minbar pour appeler les fidèles à respecter les dirigeants” et critiquer le “recours aux manifestations”, a rapporté un témoin.

Ce qui s’est passé le même jour à Dréan, dans la wilaya de Tarf, est encore plus grave. La contestation a pris forme dans la mosquée du centre-ville lorsque l’imam, interpellé, a traité un fidèle de “himar” (âne) et de “djabane” (poltron). Le prêcheur de la mosquée En-Nasr a été interrompu par un jeune qui s’est levé pour lui demander de changer son discours pro-5e mandat. N’ayant pas admis cette interpellation, l’imam l’a insulté en le traitant lui et ceux qui ont rouspété d’ânes et de poltrons. Il s’est emporté et a lancé, sans la moindre retenue, ce qui doit en principe régner dans un tel endroit : “Vous n’êtes pas des hommes.” Outrés, une partie des fidèles a quitté les lieux sans poursuivre la prière. Cet incident a provoqué un rassemblement qui s’est transformé en une marche dans les principales artères de la ville.

Les habitués des mosquées affichent, certes, un grand intérêt pour la religion, la sunna, les préceptes de l’islam et autres sujets ayant trait à la croyance… mais dans le même temps, ils se résolvent à ne recevoir aucune leçon politique, surtout pas de la part d’un imam. Comme les convictions religieuses, les choix politiques demeurent indubitablement personnels. Avec un tel impair, la tutelle a tenté pour la énième fois de mettre la religion au service du pouvoir politique. Le ministère veut avoir à jamais une mainmise sur ce lieu sacré censé être neutre, stable, voire être un havre de paix et de tranquillité.

Quid du guide élaboré  par la tutelle appelé à orienter l’imam sur la manière de présenter son prêche pour éviter les mots durs, menaçants et pouvant créer un sentiment de peur, d’incompréhension ou de colère chez les fidèles ? Ce livre de 205 pages a été pourtant conçu pour encadrer le prêche du vendredi afin que les imams ne tombent pas dans les discours inappropriés qui divisent la société plus qu’ils ne l’unissent… En tout cas, la “bonne parole prêchée” par ces imams, vendredi dernier, a réussi à produire le contraire de ce que les autorités avaient projeté, d’autant plus que les citoyens ont bel et bien adhéré au mouvement de protestation… pacifique.

B. K.