Le 17 octobre des Algériens de Marcel et Paulette Péju : Les dessous d’une sombre affaire enfin dévoilés

Le 17 octobre des Algériens de Marcel et Paulette Péju : Les dessous d’une sombre affaire enfin dévoilés

actualite2[26865].jpgIl est des vérités qui montrent souvent le caractère abusif de certaines décisions politiques prises en haut lieu. L’occultation du caractère répressif et outrageant s’agissant d’une pratique d’Etat, en l’occurrence la France, des manifestations du 17 octobre 1961 dans les grandes avenues parisiennes par des immigrés algériens réclamant pacifiquement le droit à l’indépendance de leur pays, est aujourd’hui un fait avéré au prix de tant d’années de silence.

Mais les autorités fran- çaises ne sont pas restées devant ce triste constat puisqu’elles ont carrément empêché la publication d’un livre retraçant dans le détail le déroulement et les violences sauvages pratiquées par la police sous les ordres du préfet d’alors Maurice Papon sur la foule grandissante des manifestants algériens composée d’hommes, de femmes et d’enfants que l’on a battus à mort et jetés dans la Seine. Le manuscrit resté longtemps dans les tiroirs, est un document inédit qui fait la lumière sur cette sombre affaire. Ses auteurs, Marcel et Paulette Péju, anciens militants communistes et journalistes, avaient entrepris une année après ces sanglants événements de sensibiliser le public français sur ce qui peut être considéré comme le dépassement des lois autorisant un tel massacre au vu et au su de la population métropolitaine qui était loin d’être au fait des circonstances et raisons qui ont été à l’origine de l’organisation de ces manifestations sous la houlette de la Fédération de France du FLN. Certes l’éditeur parisien François Maspero voulait les faire paraître dans la collection « Cahiers libres » mais l’initiative a tourné court puisque la publication à l’été 1962 fut purement et simplement annulée à la suite de consignes dont l’intéressé ne connaissait pas la nature : «A relire un demi-siècle après l’événement, sa publication s’imposait. D’abord parce qu’il apporte des éléments qui soulignent l’importance majeure de cet épisode, que les travaux des historiens ont confirmée depuis», écrit Gilles Manceron dans sa préface où il préconise la nécessité de la publication de ce manuscrit. Ce sont deux historiens britanniques Jim House et Neil MacMaster qui, ces dernières années, ont contribué à la réémergence tardive de la mémoire de ce drame : «Il s’agit, dans toute l’histoire contemporaine occidentale, de la répression d’Etat la plus violente et la plus meurtrière qu’ai jamais subie une manifestation de rue désarmée», ajoute le préfacier. En effet, la violence de cette répression est restée dans les annales françaises comme un mystère non élucidé de l’histoire de la guerre d’Algérie alors que beaucoup d’historiens savaient que dès le 20 mai 1961, avec l’ouverture des négociations d’Evian et l’interruption des opérations offensives décidées unilatéralement par le gouvernement de De Gaulle que dans la capitale française la guerre avait atteint son paroxysme de violence : «Or, le 17 octobre 1961 n’apparaît comme une énigme que du fait de l’occultation d’un élément majeur qui explique en grande partie ses causes et son déroulement : l’existence, au sein même du gouvernement des institutions de l’époque, d’opposants à la politique algérienne du général de Gaulle, qui, pour éviter qu’elle aboutisse rapidement comme le laissaient présager les concessions faites récemment par le chef de l’Etat sur la question du Sahara, ont choisi de lancer, à contretemps du bon sens de l’histoire, une guerre à outrance contre le FLN en France. Une guerre reposant sur des méthodes aussi illégales que soigneusement dissimulées et visant du même coup toute l’immigration algérienne qui le soutenait très majoritairement», ajoute l’auteur.

Dans cet ouvrage fort instructif publié pour la première fois en France dans son intégralité aux éditions La découverte en 2011 et tout récemment en 2012 aux éditions algériennes Medias-Plus domiciliées à Constantine, le lecteur peut découvrir dans ces pages qui comportent une belle présentation, les raisons premières qui ont poussé des dizaines de milliers de manifestants algériens à cinq mois de la fin de la guerre d’Algérie à manifester pacifiquement dans les rues de Paris après avoir été auparavant victimes – c’est ce que nous apprenons dans ce livre – de mystérieux enlèvements près de leur domiciles, violem- ment frappés par des harkis au service de la police française puis noyés dans des bois ou des lieux inconnus. Avec l’instauration du couvre-feu aux Algériens à partir de 20 heures décrété par le préfet Papon et la chasse au faciès, c’est vraisemblablement la goutte qui déborde du vase et à l’appel du FLN, tous les immigrés algériens décident de manière collective de manifester en signe de réprobation aux violences subies dans l’anonymat de manifester publiquement et pacifiquement pour alerter l’opinion française des nombreuses exactions dont ils étaient depuis quelques mois victimes.

Lynda Graba