Traditionnellement, les attentes sur le plan de la sécurité alimentaire du pays se sont longtemps focalisées sur l’extension de la superficie agricole utile (SAU) et sur la productivité, principalement le rendement à l’hectare des céréales.
La mise en valeur de nouvelles terres, à travers le système de la concession agricole, d’une part, et par le moyen de l’«élargissement de la base productive» porté par l’instruction 108 de février 2011 du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, d’autre part, se donnent cette ambition de valoriser les terres en friche ou les terrains incultes, les poches marginales des exploitations collectives ou individuelles héritées des attributions de 1987, et l’incitation, via des crédits bonifiés à concurrence d’un million de dinars par hectare, à l’exploitation de terres privées abandonnées ou faiblement exploitées.
En matière de rendement, le ministère de tutelle a institué depuis l’année 2009 le «Club des 50», c’est-à-dire le groupe d’agriculteurs ayant pu atteindre ou dépasser le rendement de 50 quintaux/ha en culture céréalière. Pour la campagne moissons-battage de l’année dernière, ce club est composé de 170 agriculteurs, alors que pour la campagne 2010/2011, il ne comptait que de 40 exploitants.
Depuis quelques années, aux objectifs de l’extension de la surface agricole utile et du relèvement des rendements, se sont greffées d’autres ambitions légitimes, justifiées par la diversification de l’offre alimentaire, l’enrichissement de la ration alimentaire de l’Algérien et la recherche de limiter les aléas climatiques.
Donc, de nouvelles perspectives s’ouvrent à l’agriculture algérienne à travers les différents projets d’installation de périmètres irrigués, l’incitation à l’investissement dans l’industrie agroalimentaire et une politique de formation, de vulgarisation et de recherche axée sur la prise en charge des thématiques les plus prégnantes du domaine de l’activité agricole.
Actuellement, les périmètres irrigués opérationnels s’étendent sur 1,1 million d’hectares à travers le territoire national. L’année dernière le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Rachid Benaïssa, soutenait que cette superficie peut être portée à 1,6 million d’hectares. L’évaluation faite par le Bureau national des études en développement rural (Bneder) fait porter ces perspectives à 2,2 millions d’hectares.
Ce potentiel irrigable est, bien entendu, rendu possible par la politique d’investissement dans le domaine de la mobilisation des eaux de surface (barrages hydrauliques et retenues collinaires avec, en plus, les systèmes de transferts interrégionaux). En effet, en dehors de quelques périmètres irriguées, ayant permis la culture de la pomme de terre, de quelques autres produits maraîchers et d’une arboriculture peu étendue, la plupart des terres cultivées (céréales et une grande partie du patrimoine oléicole) le sont jusqu’à ce jour en sec, dépendant de la seule grâce de la pluie.
Cette dernière est malheureusement connue, particulièrement au cours de ces dernières années, par son irrégularité aussi bien en volume annuel que dans sa répartition dans le temps. Les moments les plus cruciaux de la croissance végétale (avril-mai) ont été souvent parcimonieux en précipitations.
La vulgarisation et le couple formation/recherche
Les céréales alimentaires et fourragères – hormis une expérience trop coûteuse menée dans le Sud du pays – sont cultivées en sec. Afin de limiter les pertes en rendements céréaliers, le ministère de tutelle avait encouragé, dès la fin des années 1990, le choix de l’arboriculture fruitière, particulièrement dans sa variante rustique (olivier, amandier, figuier…). Cette option fut dénommé «Reconversion des systèmes de culture».
Elle porte des espèces peu exigeantes en eau (eaux pluviales) ou qui peuvent être irriguées par le système du goutte-à-goutte qui assure une économie de l’eau et une économie de travaux de désherbage.
Dans certaines régions du pays, des résultats encourageants ont été obtenus. Cependant, de nouvelles contraintes ont vu le jour : absence d’ouvriers spécialisés en taille et greffage, entretiens phytosanitaires mal assurés… d’où la qualité et le calibre des fruits qui posent problème, particulièrement lorsqu’est envisagée l’opportunité d’exporter.
La culture de l’arbre, dans les espaces traditionnellement réservés à la céréaliculture et au pastoralisme, reste à inventer.
Là, intervient inévitablement l’un des paramètres les plus déterminants dans toute politique agricole, à savoir la vulgarisation, et sa superstructure matérialisée par le couple formation-recherche.
Depuis les fiches techniques diffusées (par espèce, par culture) dans les années soixante-dix du siècle dernier dans les milieux agricoles (domaines autogérés, coopératives,…), jusqu’aux stages de formation assurés aujourd’hui à des agriculteurs dans leurs différentes spécialités, l’Algérie a mobilisé de grands moyens en direction de la formation, de la vulgarisation et de la recherche scientifique dans le domaine de l’agriculture.
Institut national de vulgarisation agricole avec ses antennes régionales, instituts de formation de techniciens (Itma), écoles d’agriculture (ancien ITA de Mostaganem, INA d’El Harrach), et départements universitaires formant des ingénieurs, tout une chaîne de structures pédagogiques a été mobilisée sans que l’on soit édifié sur son impact sur le terrain, sur le plan de l’adoption de la technicité dans la conduite des cultures.
Le Programme de renforcement des capacités humaines et de l’assistance technique (Prchat), développé par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (MADR), vise, d’après ce département ministériel, à développer, à mettre à niveau, à former et à mettre en œuvre l’ingénierie dans l’encadrement de l’acte de production, de commercialisation et de régulation ; comme il vise également à assurer «l’assistance technique et managériale des unités de production agricole pour améliorer leurs performances productives, des territoires et l’assistance pour les unités économiques pour renforcer leurs capacités d’investigation et de réponse aux besoins économique et de régulation».
A cet effet, le Programme de renforcement des capacités humaines et de l’assistance technique touche aussi bien les acteurs directs de l’activité agricole que les fonctionnaires de l’Etat (le MADR et ses démembrements dans les wilayas et daïras).
S’agissant de la vulgarisation agricole, ce programme entend porter l’information au niveau de l’unité de base, qui est la commune, et ce, à travers des canaux diversifiés (courrier postal, intranet, support informatique, interventions sur les radios locales, regroupement des délégués communaux chargés de communication et de vulgarisation…).
A l’échelle de la recherche, outre les travaux réalisés dans le cadre de préparations de thèses- qu’il y a lieu de réorienter dans le sens d’une recherche appliquée répondant à des besoins précis de notre économie agricole, un comité de coordination de la recherche agronomique et de l’appui technique – destiné à apporter une assistance technique aux agriculteurs et éleveurs par l’intermédiaire des différents instituts de formation spécialisés que compte le secteur de l’agriculture – a été installé il y a deux ans.
Ce comité est dirigé par le directeur de l’Institut national de la recherche agronomique d’Algérie (INRAA) et regroupe tous les intervenants du secteur de l’agriculture, y compris les entreprises.
A la recherche du modèle gagnant
En dépit de tous les efforts tendus vers la formation, la recherche et la vulgarisation, la relation entre les secteurs de la production agricole et les structures chargées de la connaissance et de la diffusion des techniques, peinent encore à atteindre la pleine maturité.
La réorganisation du secteur agricole, entamée à la fin des années 1980, avec la création des exploitations agricoles collectives et individuelles (EAI et EAC) en 1987 (organisation qui a succédé aux anciens domaines autogérés hérités des fermes coloniales) avait, un certain moment, nourri l’illusion sur la possibilité de la modernisation de ces exploitations, qui s’étendent sur presque trois millions d’hectares, constituées des terres les plus fertiles du pays.
Cette espérance était fondée sur la présence de techniciens et ingénieurs dans les collectifs attributaires des terres du domaine privé de l’Etat. Or, il s’avérera rapidement que les conflits entre les attributaires – dus à plusieurs facteurs (des profils fort différents, impréparation de certains anciens ouvriers à assumer des responsabilités de gestion…) – prendront une telle ampleur que les exploitations sont fractionnées d’une façon informelle et ne bénéficient d’aucun apport technique supplémentaire par rapport à la situation antérieure.
L’une des faiblesses de ce système d’exploitation est également cette relation peu «charnelle» qui lie l’exploitant à la terre du fait d’un statut qui n’arrive pas à acquérir sa forme définitive. La formule d’exploitation adoptée était la jouissance perpétuelle, consacrée par des actes administratifs.
Outre les faiblesses techniques et la désorganisation/remembrement interne, ces exploitations ont été souvent convoitées, particulièrement autour des grandes villes comme Alger, Blida, Boumerdès, Oran, pour servir illégalement d’assiettes pour la construction de logements. Les dizaines d’affaires de dilapidation du foncier agricole portées devant la justice, et dont les attributaires et les maires sont des complices actifs, renseignent amplement sur une dérive mafieuse qui a fait beaucoup de mal à l’agriculture.
Depuis 2010, la jouissance perpétuelle a été reconvertie en un système de concession d’une durée de 40 ans renouvelable. La mise en œuvre de ce nouveau mode faire-valoir (titres de concession, plan cadastral) revient à une nouvelle structure administrative créée en 2009 sous le nom d’Office national des terres agricoles, avec des antennes régionales et de wilaya.
Dans les exploitations privées et les terres des zones de montagne, les aspects techniques demeurent le parent pauvre de l’activité agricole. Sur des terres très morcelées, les grands équipements agricoles ne peuvent être mobilisés que dans deux cadres réglementaires tels qu’ils sont connus dans la plupart des pays du monde.
Aussi bien pour les moyens d’intervention mécanique (machinisme agricole, ateliers d’entretien, pièces détachées…) que pour les intrants agricoles (engrais, fertilisants, désherbants, produits phytosanitaires…), les formules sont censées être le cadre coopératif et/ou les entreprises prestataires de services. La première formule, qui a existé en Algérie, a subi l’érosion de l’économie administrée et de l’ouverture sur le marché.
La seconde formule, à savoir la création d’entreprises et d’organismes de prestation de services à l’échelle du pays capables d’intervenir auprès de plusieurs agriculteurs à la fois, peine encore à trouver son terrain de promotion aussi bien au niveau des acteurs locaux que des services de l’administration.
L’on sait que le passage d’une agriculture traditionnelle, marquée par une main-d’œuvre vieillissante et un statut foncier instable, à une agriculture moderne, ne peut pas se limiter aux apports en équipements et matériels qui assurent une mécanisation accrue des travaux de la terre ou aux nouvelles méthodes d’organisation et management des entreprises agricoles. Les facteurs techniques demeurent les plus déterminants dans ce processus de modernisation : soins culturaux (différentes étapes et techniques d’entretien des cultures : taille, greffage, engraissement, régénération des vergers…), facteurs sanitaires des semences, plants et arbres desquelles dépendent la qualité et le rendement des produits, accès aux nouvelles technologies du génie biologique, développement de la santé animale et de la zootechnie, assise solide de la chaîne agroalimentaire…
Par Saâd Taferka