Journée d’études autour de l’arabe algérien: “La darja, une langue à part entière?”

Journée d’études autour de l’arabe algérien: “La darja, une langue à part entière?”

n-TOUR-BABEL-large570.jpgDarija, darja, arabe algérien, l’algérien, le dialectal… les nominations divergent et les orthographes aussi pour qualifier cet arabe parlé dans les rues et les maisons algériennes.

Si la qualification tâtonne encore, une chose est sûre: « Les lignes sont en train de bouger alors que le sujet a été considéré pendant de longues années comme tabou”, pointe d’entrée Khaoula Taleb Ibrahimi, professeur de linguistique à l’Université d’Alger 2, en ouverture de la journée d’étude “La darija, une langue à part entière?” organisée mercredi 22 avril au Centre d’études diocésain des Glycines à Alger.

Pour preuve, depuis 2012, pas moins de cinq dictionnaires bilingues d’arabe algérien ont été publiés ou réédités, a rappelé la modératrice de la journée citant notamment : le Dictionnaire français-arabe de la langue parlée en Algérie de Belkacem Ben Sedira (réédition Dar Khettab, 2015), le Dictionnaire pratique arabe-français de Marcellin Beaussier et Mohamed Ben Cheneb (réédition OPU, 2014), مهدي براشد، معجم العامية الدزيرية بلسان جزائري مبين (Editions Vescera, 2013), le Dictionnaire des locutions de l’arabe dialectal algérien de Mohamed Nazim Aziri (ANEP, 2012).

La sphère des réseaux sociaux et des télécommunications n’est pas en reste qui fourmillent de tweets, messages Facebook et sms rédigés en darija. De ce bouillonnement est né l’idée d’organiser “une pause réflexive ” pour regarder ce qui se passe à la fois sur le terrain des études dialectales et sur l’évolution du paysage langagier dans le pays.

“Que signifie ce regain d’intérêt pour les parlers algériens? Pourquoi maintenant? Peut-on considérer ce phénomène comme autant de signaux qui démontrent que la société algérienne est en pleine évolution, en quête de son algérianité? La stigmatisation au nom d’un purisme exclusif de toute expression non canonique ne semble plus de mise”, a soulevé Khaoula Taleb Ibrahimi.

Modernisation

Rare lieu d’apprentissage de la darija, le Centre d’études diocésain des Glycines qui a donné naissance à la “Méthode Kamal” en 1971 pour l’enseignement du dialectal, œuvre depuis cette date à la diffusion et à la théorisation de l’arabe algérien.

Depuis 2012, une équipe de linguistes composée des professeurs Philippe Blanchet de l’Universités de Rennes 2 et Khaoula Taleb Ibrahimi d’Alger 2, et de deux étudiants, Matthieu Marchadour et Fatma Zohra Chaïb, a entrepris une révision-actualisation de “La Méthode Kamal”, a expliqué dans son introduction dite en darija, Guillaume Michel, directeur du Centre, devant une assemblée venue en nombre assister à cette journée d’étude.

“La Méthode Kamal suit à travers 45 textes et dialogues situationnels la vie quotidienne d’une famille issue d’une classe moyenne composée de Kamal, sa famille et ses quatre enfants, et de son frère Youssef, un immigré rentré de France qui découvrira les changements socio-économiques de l’Algérie indépendante après six ans d’absence”, a expliqué Fatma Zohra Chaïb, étudiante à l’Université Alger 2.

La jeune chercheure qui travaille sur “L’actualisation des contenus langagiers de la méthode Kamal”, a notamment recommandé une “modernisation de la transcription en introduisant les chiffres 7, 3, 9, communément utilisés à l’écrit”, “l’ajout de supports favorisant des démarches interculturelles comme les films de Merzak Allouache, les chansons chaâbi, les proverbes, etc.”, et “plus de dynamisme avec une balade à la Casbah”.

Le “dépoussiérage” de la méthode quarantenaire a d’ailleurs déjà commencé : les 45 dialogues ont tous été réenregistrés par des acteurs, les textes et fiches de vocabulaire ont été réunis dans un livret qui accompagne les élèves. Et un travail d’un véritable manuel pédagogique avec textes, grammaire et exercice, destiné au grand public, a été lancé.

“Oui, la darija est donc bien une langue à part entière, il faut le dire et le répéter”, a conclu Khaoula Taleb Ibrahimi en guise de réponse à la question du jour.