Frontières Algéro-Tunisiennes à la veille du réveillon: “Mon allocation touristique coûte que coûte”

Frontières Algéro-Tunisiennes à la veille du réveillon: “Mon allocation touristique coûte que coûte”

Les postes frontaliers algéro-tunisiens connaissent ces derniers jours de l’année 2016 une affluence qui n’a d’égale que celle de la période estivale.

Vendredi dernier, une file de voitures longue de deux kilomètres s’est formée dès le petit matin. Des véhicules à bord desquels des familles attendaient chacune son tour pour parvenir au poste frontalier d’Oum Tboul. L’attente est longue. En cette période de froid, il n’est pas du tout aisé de passer des heures dans une voiture. Qu’à cela ne tienne. Cela vaut le coup si on considère qu’un passeport cacheté rapporte une somme d’environ 6000 dinars. C’est le dernier phénomène apparu en Algérie. L’Algérien tient à son allocation de voyage de 120 euros, soit l’équivalent de 15.000 DA. Vendredi 30 décembre 2016.

De retour de Tunisie, la route semblait vide. Nous croisons quelques véhicules immatriculés en Algérie, qui prennent la direction de Tabarka, la première ville tunisienne. On pensait alors que le passage au poste frontalier allait nous prendre peu de temps, alors qu’habituellement, en période estivale, le passage durait parfois deux heures devant le flux de voyageurs. Quelle fut notre surprise en arrivant au poste frontalier. A l’intérieur des locaux, une chaîne humaine s’était déjà formée et la bousculade s’invitait.

D’où sortent alors tous ces voyageurs de retour en Algérie? Au parking côté tunisien, il y a peu de voitures et aucun bus. Ces centaines de personnes qui font la queue pour les formalités policières et douanières sont-elles venues à pied? L’interrogation est de mise. Et c’est une voyageuse qui y répondra rapidement. Ne savant pas comment s’y prendre, elle oublie de faire cacheter son passeport d’abord aux douanes algériennes avant celles de la Tunisie. Le policer lui explique la démarche à suivre en notre présence avant de nous expliquer que «c’est la première fois qu’elle vient ici, tout juste pour faire cacheter son passeport afin de justifier une sortie du territoire national, lui permettant de bénéficier de l’allocation touristique octroyée une fois par an».

Voilà ce qui explique ce flux de «faux voyageurs», ironise un voyageur, un vrai, qui interpelle le policier afin de faire la distinction entre les deux catégories de voyageurs et faciliter la tâche à ceux qui ont réellement voyagé. Une demande rejetée catégoriquement par le policer qui invite tout ce beau monde à faire la queue dans le calme.

«C’est comme ça chaque fin d’année, les gens viennent faire cacheter leurs passeports, à défaut ils doivent rembourser l’allocation touristique de 120 euros à laquelle tout Algérien a droit une fois par an, mais à la seule et unique condition de voyager», nous explique le même policier, qui préconise de voyager en dehors de cette période de l’année afin d’éviter ces encombrements. Les policiers et les douaniers font de leur mieux pour accélérer la cadence.

Environ une heure après, nous quittons le poste frontalier d’Oum Tboul pour une surprise de taille. Une file de véhicules longue de deux à trois kilomètres s’est formée. A bord de chaque véhicule, trois à quatre personnes. Par-ci une famille, par-là un groupe d’amis. Tous les véhicules portaient des plaques d’immatriculation des wilayas frontalières. Constantine, Annaba, El Kala, El Tarf. Ces gens se rendent en Tunisie tout juste pour faire cacheter leurs passeports et rentrer immédiatement en Algérie. A peine 100 mètres plus loin, la circulation en direction de l’Algérie est bloquée.

Un automobiliste, qui se croyait malin a doublé toute la file de voitures avant que les gendarmes n’interviennent pour rétablir la circulation sans pour autant sanctionner le chauffeur. Nous vivrons ces moments plusieurs fois sur une distance de trois kilomètres et à chaque fois les gendarmes rétablissent l’ordre dans le calme. Nous en profitons pour interroger quelques familles. Ammar est venu tôt le matin d’Annaba. Il est en 30e position dans la file et espère terminer les formalités dans quelques heures. Ammar est un faux vacancier.

Il est accompagné de son épouse et de leurs trois enfants, eux aussi des faux vacanciers. Ammar l’avoue clairement: «Nous sommes là juste pour faire cacheter nos cinq passeports et nous repartirons chez nous immédiatement», dit-il non sans rappeler qu’il est un «habitué». «Chaque année, je récupère les 600 euros, qui totalisent les allocations touristiques de la famille», souligne-t-il. Plus loin, une autre famille s’est déplacée dans le même esprit et ne s’en cache pas. «Nous sommes dans l’obligation de justifier le voyage pour avoir droit à ces devises», explique le père, précisant que «cela vaut le coup lorsqu’on connaît l’écart de change entre le taux officiel et le taux parallèle».

«Chaque allocation de 120 euros nous rapporte 6000 DA», ajoute son épouse et pour une famille de cinq personnes cela rapporte un total de 30.000 dinars, ce qui explique cet engouement. «Car, ajoute-t-elle «passé le 31 décembre, l’allocation touristique de l’année 2016 est perdue».

Voilà ce qui explique ce flux de voyageurs en direction de la Tunisie. Un pays qui le recevra juste le temps de mettre un cachet de la police et celui des douanes sur les passeports. Ce qui fausse parfaitement les statistiques données en matière de nombre de voyageurs se rendant en Tunisie. Le constat, nous l’avions fait en Tunisie même, plus précisément à Hammamet, un lieu de prédilection des Algériens. «Comparé à l’année dernière, il ya peu d’Algériens cette année», indiquait un hôtelier dont l’établissement est fortement fréquenté par les touristes algériens.