Des documentaires sur l’histoire projetés au 8E fica : Quand la mémoire parle…

Des documentaires sur l’histoire projetés au 8E fica : Quand la mémoire parle…

Eveline Safir Lavalette, Zoulikha Boukadour et Alice Cherki. Trois moudjahidate témoignent dans le film documentaire de Fatima Sissani de leur passé engagé dans la lutte de Libération nationale…

Un film présenté dimanche dernier dans le cadre de la compétition officielle au Festival international du film d’Alger dédié au film engagé. Trois femmes aux parcours différents, engagées au côté du FLN avec force et conviction. D’abord Evelyne Lafayette décédée en 2014 et dont la réalisatrice a su capter la parole inestimable. Une femme qui a grandi dans une famille aisée, mais qui n’a pu supporter de sentir cette ségrégation qui s’opérait envers les Arabes, cette communauté qu’on ne voyait pas, effacée et brimée. Eveline raconte son combat auprès de ses frères. Et même si elle refuse de parler des tortures qu’elle subira, par pudeur, elle reconnaîtra «naïve» qu’elle a toujours préféré voir le côté de la coupe pleine en se pensant «humaine» et non pas «une bête» et par conséquent ayant foi en l’homme en vue d’un avenir toujours radieux en une éternelle radicale et optimiste qu’elle était. Evelyne raconte comment de la prison elle s’est fait aussi interner en hôpital psychiatrique après avoir été déclarée «folle» par un médecin qui exercera plus tard en toute impunité en France. Avec douceur dans les gestes, la voix et les yeux, elle va dérouler les pages de cette histoire sombre non sans porter un regard assez réaliste sur l’Algérie d’aujourd’hui…Zoulikha qui a bien connu Evelyne racontera pour sa part, non sans décolérer, sa foi en une Algérie indépendante et ses quotidiens faits d’insouciance, parfois dans les cellules où elle fera connaissance d’autres femmes «de valeur», communistes et très déterminées. Doucement, mais sûrement la réalisatrice qui choisit d’être dans le cadre pour raconter la fabuleuse destinée mi-héroïque mi-tragique de ces femmes tentera de restituer à juste titre par les mots et quelques archives ces souvenirs de joie, mais de violence et d’amertume aussi de ces femmes dont elle saura capturer la fragile intimité dans les quelques mots de silence qui en disent long sur leurs souffrances tues durant toutes ces années. Cet aspect là c’est Alice Cherki qui en parlera le mieux peut-être, elle qui est partie en France pour étudier la psychiatrie reviendra l’exercer en Algérie pour tenter d’apaiser le traumatisme post-colonial des Algériens. Mais elle avouera cependant, sa tristesse de voir l’Algérie se recroqueviller sur elle-même après l’indépendance en rejetant cette fois les autres cultures qui existaient même pendant la colonisation… «Ce film donne enfin la parole à une femme d’origine européenne non chrétienne qui devait parler. Comme elle disait si bien Eveline, il n’était pas facile de parler pour nous tous. Il fallait du recul pour nous tous. Au début on a été pris par les problèmes de la construction du pays. Chacune d’entre nous dès 1962 a pris sa voie. Eveline était responsable au ministère du Travail et pour des raisons de santé de son époux elle a dû quitter Alger. Moi la Bibliothèque nationale ayant été détruite par l’OAS, trois semaines avant l’indépendance, alors que je préparais une thèse de sociologie, j’ai dû l’arrêter. Je suis partie pour refaire mon diplôme de bibliothécaire et je suis revenue pour la reconstruction de la bibliothèque universitaire. Ce documentaire a le mérite, ainsi que la réalisatrice et ses deux producteurs qui ont fait ce film qui montre trois militantes qui expliquent chacune comment elles sont venues au combat en étant militantes d’abord, puis de s’engager dans la lutte. Il est vrai que Alice Cherki arrive à la fin parce qu’elle n’a pas été emprisonnée. Elle est restée ici. Ce que le pouvoir colonial n’avait pas su c’est qu’elle hébergeait Ben Khedda, Abane, Ben M’hidi, elle recevait également d’autres haut responsables», fera remarquer lors du débat Zoulikha et la réalisatrice d’expliquer le titre de son film: «Evelyne avant sa mort a publié des poèmes en prose qu’elle avait écrits quand elle était en prison.

Des gens ont réussi à la convaincre de publier ces poèmes qui sont vraiment très beaux qui ont été publiés par les éditions Barzakh. Parmi ces poèmes il y en a un qui est consacré à l’indépendance de l’Algérie où il y est écrit: «Femme, tes cheveux démêlés cachent une guerre de sept ans.» Autre film documentaire utile et bien instructif à plus d’un titre projeté également dimanche est «Jean-Jacques de Félice, la passion de la justice». Comme expliquera le réalisateur Mehdi Lalaoui «Jean-Jacques de Félice a toute sa vie, jusqu’à ses derniers jours, défendu les colonisés, les sans-papiers, les sans-droits. Il a commencé sa carrière très tôt. Son patron était Mourad Oussedik. Il sera l’avocat des gens de Larzac. Jean-Jacques de Félice a une particularité parce que dans tous les collectifs des avocats, il est le plus discret. Il ne se met jamais en avant. On voit Dreyfus, Vergès, des gens comme ça. Il a défendu des Algériens des griffes du colonialisme, des condamnés à mort à Barberousse. Il a défendu aussi des violents alors qu’il était foncièrement un pacifiste et un non-violent. Et pourtant, il n’y voyait pas de contradictions. C’était quelqu’un qui a défendu les militants emprisonnés en Amérique latine etc. C’était simplement un avocat des droits de l’homme français. J’ai pu faire ce film parce qu’on était proche. C’est quelqu’un qui a défendu le peuple Kanak dès 1968. Dans quelques mois le peuple kanak va voter son droit à l’autodétermination. Depuis des dizaines d’années Jean-Jacques de Félice accompagnait le peuple kanak. Ce film est très axé sur la Nouvelle-Calédonie qui a acheté le film», confiera le réalisateur. En effet, durant les 55 mn du film, on verra et entendra le défenseur des droits de l’homme parler de son travail avec abnégation, lourd d’images d’archives et faire connaissance avec cet homme dont on ne connaissait rien jusqu’à aujourd’hui. Le film est aussi marqué par de nombreux témoignages dont ceux entre autres de Ali Haroun. Ancien responsable de la Fédération de France du FLN, Louis Joinet, fondateur du Syndicat de la magistrature, expert de l’ONU pour les droits de l’homme, François Roux, avocat, défenseur des foulards rouges, Maurice Montet, président de l’Union Pacifiste, Bruno Cotte, ex-président de la chambre criminelle de la Cour de cassation et Christiane et Pierre Burguière du Comité de lutte du Larzac.

O. HIND