Notre confrère et écrivain de Bouira, Ali Douidi, vient de faire paraître en France son troisième roman, intitulé Mon ami Jean. Pour cette troisième œuvre, l’auteur a choisi de changer et de passer au style romancier, qu’il mettra en connexion avec un fait historique qui a marqué les relations algéro-françaises.
Il s’agit de la bataille de Verdun en France, lors de la première guerre mondiale, et qui a fait plus de 700 000 victimes, parmi lesquelles des Algériens, mobilisés de force dans le cadre du service militaire obligatoire, imposé par les Français en Algérie. Dans cet entretien express, l’auteur livre un avant-goût de son roman, en vente en France depuis le 19 juillet dernier.
La Dépêche de Kabylie : Avec Mon ami Jean, vous signez votre troisième livre. Est-ce là une nouvelle carrière que vous démarrez?
Ali Douidi : Je ne peux pas l’affirmer. Une carrière exige du temps et des forces que je ne suis pas sûr de posséder. Et les trois livres dont vous parlez sont trop modestes pour nourrir un tel espoir. Mais comme je ne veux pas non plus être taxé de pessimiste, je vous donnerai rendez-vous dans cinq ou six ans. Ce délai me semble honnête pour répondre à votre question.
Qui est Jean, et pourquoi le choix d’un tel prénom ?
Jean est un militaire dans mon récit. Il est sergent et il s’occupe d’abord de l’instruction d’un contingent algérien dans une ferme abandonnée près de Verdun, qui est une commune française située au grand-Est. Tout en s’entraînant, les jeunes soldats entendent les déflagrations des obus. Nous sommes à l’automne 1916. Le jeune Saïd, qui a vingt ans, plait au sergent par sa force, son obéissance et son ardeur à l’entraînement. Quand le caporal Cornet, promu sergent, est affecté ailleurs, le sergent Jean prend le jeune indigène pour le remplacer. Mais l’entraînement dure peu. Et le contingent est envoyé sur la ligne de front. Les Algériens, avec d’autres bataillons marocains et tunisiens, sauvent la situation. Et en souvenir de cet exploit, la colline reçoit le surnom d’une colline nord-africaine. Le tollé chez certains racistes est immense.
La grande bataille de Verdun est un beau sujet de roman, mais si grand, si vaste ! De grands écrivains s’y sont essayés. N’avez-vous pas craint, en vous y mettant, de faire chou blanc ?
La crainte et le doute accompagnent l’écrivain dans chacune de ses entreprises. Ils ne le quittent que lorsqu’il arrive à bon port. Même les plus géniaux ont eu leurs moments de découragement et d’inquiétude. L’œuvre n’en est alors que plus belle. Citons les plus prestigieuses d’entre elles. Il y a ‘‘Le Verdun’’ de Jules Romain, un chef d’œuvre, ‘‘Croix de fer’’ de Roland Dorgelès, ‘‘Le feu’’ d’Henri Barbusse, et tant d’autres encore, dont la lecture m’avait fortement secoué. Vous remarquerez que le sujet reste inépuisable, à telle enseigne qu’en 2012, le Goncourt récompensait ‘‘Au revoir la haut’’ de Jules Lemaitre, un autre roman sur les horreurs des tranchées. Il y a donc de la place pour tous sur cette grande arche, y compris pour les plus petits. Et peut-être plus encore pour ces derniers, à cause du peu d’espace qu’ils occupent… Lorsqu’à mon tour, je me suis lancé dans cette grande aventure, je n’ai pas pensé que l’écriture pouvait être autre chose, sinon une grande aventure. Mais une aventure où vous êtes votre propre guide, car vous voyagez selon votre propre fantaisie et non selon la fantaisie d’un autre. Votre joie est alors décuplée… Cela s’appelle faire œuvre originale.
Justement, à propos d’originalité, jusqu’où l’influence de toutes ces lectures a pu s’exercer sur vous ?
Je vous ai parlé de Jean, de ces grands romans qui m’ont profondément marqué. Mais il y a aussi les autres et qui, sans porter ce nom si commun en France (Songez un instant à Jean la Fontaine, Jean Racine, Jean de la Varende, Jean d’Ormesson etc…), sont aussi influents, comme le Jarphanion ou le Jallez de Jules Romain, qui fascinaient déjà tant Boisdeffre, le grand critique littéraire français. Et puis, il y a ces étranges connexions qui s’établissent parfois entre deux cerveaux, deux êtres que rien apparemment ne met en relation en dehors du sujet qu’ils traitent. Je pense notamment à Flamme au poing de Malherbe, qui a valu le plus prestigieux prix littéraire à son auteur. C’était en avril 2009. Je venais de terminer ‘‘Mon ami Jean’’. Mon manuscrit sous le bras, je me rendais au ministère de la Culture pour le déposer. En empruntant la passerelle de Tafoura, à Alger, mon regard fut accroché par un titre parmi les livres étalés sur le sol. C’était Flamme au poing de Malherbe. Je l’ai acheté. Puis, sans interrompre ma marche, je dévorais des passages entiers du livre. Bonté divine ! Non seulement ce roman parle de Verdun, mais encore le principal héros s’appelle Legrand, comme mon héros. Superstitieux, au lieu de m’alarmer de cette coïncidence qui m’aurait valu d’être accusé de plagiat, j’ai vu, au contraire, un signe du destin. Le manuscrit repose toujours au ministère, dans l’attente d’une réponse. Avec des petites modifications, j’ai réussi à le publier en France chez Edilivre.
En tout cas, maintenant que vous voilà lancé dans cette aventure, vous ne comptez pas vous arrêter à mi-chemin ?
Ce serait trop cruel. Le roman m’offre un espace d’expression idéal. J’expose mes idées et mes opinions en toute liberté. Et je suis décidé à profiter de cette aubaine ainsi que de la générosité et de la compréhension de cette maison d’édition qui rassemble les talents les plus étonnants et les plus divers. Et pendant que j’y suis, un grand merci à ‘‘la Dépêche de Kabylie’’ qui m’ouvre à chaque occasion si gracieusement ses colonnes.
Quel message délivrez-vous cette fois, avec ce livre ?
Toujours le même : la paix ! Et cette grande cause, la seule, avec la liberté, qui mérite que l’on sacrifie tout pour elle, ne peut s’obtenir qu’avec le cœur. Aimer, partager, respecter, comprendre, voilà les maîtres mots, les seuls pour sauver le monde en proie à la haine et la barbarie.
Entretien réalisé par Oussama Khitouche