L’Algérie récupère une partie des archives ottomanes

L’Algérie récupère une partie des archives ottomanes

arton140183-90c6e.jpgLes Turcs ont joint l’acte à la parole. Ils viennent de remettre à l’Algerie une partie des archives de la période ottomane. La présence ottomane en Algérie a duré 300 ans, de 1525 à 1830. A cette occasion, le centre des Archives nationales, à Alger, abrite depuis hier un symposium sur « L’Algérie durant la période ottomane, les relations politiques, économiques et culturelles ».

Huit académiciens sont venus de Turquie pour animer des conférences. A leur tête, Emrullah Isler, professeur à l’université de Gazi à Ankara et conseiller du Premier ministre turc, Tayyep Erdogan. « Nous avons remis une cinquantaine de copies des documents qui se trouvaient en Turquie relatifs à l’histoire de l’Algérie pendant la période ottomane », nous a précisé Ahmed Necati Bigali, ambassadeur de Turquie à Alger. Il a rappelé que les deux pays ont signé en 2004 un protocole de coopération sur la restitution des archives qui s’ajoute à celui de 1998. « Ecrire l’histoire est plus difficile que faire l’histoire.

Nous nous efforçons de contribuer à l’écriture de l’histoire de l’Algérie, ce pays ami et frère. Nous avons une longue histoire commune », a ajouté le diplomate. Selon lui, des documents relatifs à des correspondances entre les autorités françaises et l’Etat ottoman seront également remis aux Archives algériennes.

Abdelmadjid Chikhi, directeur général des Archives nationales, a confirmé, pour sa part, que la Turquie fera « tout son possible » pour que la remise des documents soit régulière et consistante. « Le directeur adjoint des archives turques nous a déclaré que son pays sera fidèle à sa promesse et que la totalité du fonds documentaire relatif à l’histoire de l’Algérie sera remis une fois l’opérationde numérisation terminée », a-t-il précisé. « Nous avons reçu des archives d’une rare valeur en 2008 et cette année. Par exemple, c’est la première fois que nous pouvons voir des fanions et des emblèmes des bateaux algériens de la marine pendant la période ottomane.

Je considère ces fanions comme des attributs de souveraineté », a expliqué A. Chikhi, soulignant que les Archives nationales sont ouvertes au public. « Nous aimerions bien que les chercheurs se donnent la peine de nous rendre visite. Nous pouvons, sur leur orientation, approfondir nos recherches pour arriver aux sources qui détiennent les archives liées à l’Algérie », a-t-il ajouté. Hier, un livre original écrit par Ali Réda, fils de Hamdane Khodja, vers 1837, reprenant le titre du livre controversé de son père, Le Miroir, a été remis au directeur des Archives algériennes. Dans ce document, Ali Réda voulait rappeler au sultan ses devoirs sur l’Algérie envahie par les Français.

Qualifié de précieux et de rare par Ahmed Necati Bigali, le livre porte le sceau du calife. « Hamdane Khodja est une personnalité importante pour l’Algérie », a-t-il indiqué. Notable, homme de science et riche commerçant d’Alger, Hamdane Khodja était membre du conseil municipal d’Alger après l’occupation française, vers 1830, conseil quitté 5 ans après. « Il avait écrit un livre, Le Miroir, adressé aux autorités françaises pour attirer leur attention sur l’importance et la culture de l’Algérie, le pays qu’elles venaient de conquérir.

Il avait dénoncé les exactions qui étaient en cours », a expliqué A. Chikhi. De père turc et de mère algérienne, Hamdane Khodja avait, selon Zekeriya Kursun, président du département d’histoire de l’université Marmara d’Istanbul, perdu toute sa fortune en raison de son hostilité à l’occupation française. « Il a été forcé de quitter Alger pour Istanbul sans sa famille. Cela l’avait beaucoup peiné. Il n’avait cessé de se battre pour défendre l’Algérie », a-t-il souligné.

Le roi Mahmud II, qui a régné entre 1784 et 1839, avait nommé Hamdane Khodja parmi ses conseillers, chargé notamment de la santé. « Il était parmi les réformateurs et était hostile à toute forme d’extrémisme religieux. Il avait écrit une lettre au roi sur ‘’la quête du mal’’ pour souligner l’importance des réformes », a noté Zekeriya Kursun. Hamdane Khodja était étonné qu’au moment où l’Algérie était occupée, l’Europe tentait d’aider la Grèce à se libérer de la présence ottomane. Emrullah Isler a lu une lettre d’Ahmed Bey envoyée au sultan Mahmud II, lui racontant les malheurs de Constantine attaquée par les Français. « Dans la lettre, Ahmed Bey explique qu’il a tout fait pour resserrer les rangs et lutter contre la corruption pour faire face à l’ennemi. Il remerciait le roi d’avoir envoyé les munitions mais se plaignait du manque d’armement. Il évoque aussi l’utilisation par les nouveaux occupants d’un faux sceau pour faire croire à une reddition », a précisé Emrullah Isler lisant la missive dans un parfait arabe. Il a présenté aussi une autre lettre envoyée par Cheikh Younès, vers 1879, au roi Abdelhamid II dans laquelle il détaillait la résistance des Touareg à l’invasion française dans le Sud.

Le rapport des Touareg avec l’empire ottoman demeure un aspect encore méconnu de l’histoire. « Sans les Ottomans, il n’y aurait pas d’Algérie aujourd’hui », a relevé Fouad Soufi, responsable à la direction des Archives nationale. « L’Algérie n’est pas le produit de la géographie et de la nature. Il y a des Etats à l’est et à l’ouest qui le sont… C’est tout sauf de l’histoire.

Cette idée a été construite par les historiens de la colonisation. Pour eux, les Français n’ont fait que remplacer les Turcs qui étaient là. Hélas, des historiens algériens admettent cette idée », a-t-il expliqué. Il est hostile à l’idée que la société algérienne est orale : « C’est une idée reçue. Durant la période ottomane, tout se faisait par écrit. Je dois ajouter que l’histoire d’Alger n’est pas celle de l’Algérie. Il y a eu une sorte de captation d’héritage à partir de deux dates, 1516 et 1830. » Selon Fouad Soufi, il n’existe aucune institution algérienne qui s’occupe de l’histoire de la période ottomane, à part l’université.

Il a rendu hommage à Ahmed Tewfik El Madani, Mehdi Bouabdalli et Mouloud Kacem, qui ont travaillé sur cette période. Aujourd’hui, Ali Tabalit, enseignant à l’institut d’interprétariat, reviendra sur un épisode intéressant de l’histoire de la Marine algérienne, celle de la détention de matelots américains vers 1785 à Alger.