Aimé Jacquet «Saâdane-Madjer, le duo idéal à la tête de la sélection»

Aimé Jacquet «Saâdane-Madjer, le duo idéal à la tête de la sélection»

84997-aime-jacquet-637x0-1.jpg«Pour le poste de sélectionneur, il doit être un local, non pas un étranger»

Aimé Jacquet est devenu un ami du Buteur. A chaque fois qu’on le sollicite pour donner son point de vue, il accepte de répondre à nos questions sans le moindre problème.

C’est dire que s’exprimer sur nos colonnes est devenu une tradition chez le champion du monde 98 avec la France et actuel commentateur-consultant sur Canal+. C’est avec un immense plaisir que nous écoutons ses analyses. Dans cet entretien qu’il nous a livré, il a fait une rétrospective sur le parcours des Verts en Coupe du monde et déclaré que le duo Saâdane- Madjer est le mieux indiqué pour que la sélection redore son blason. Entretien.

Bonjour M. Aimé Jacquet, c’est Le Buteur, un quotidien que vous connaissez bien…

Ah oui, bonjour. ! J’espère que vous allez bien.

Pouvez-vous nous accorder un peu de votre temps. On aimerait vous poser quelques questions…

Allez-y ! Aujourd’hui, c’est jour de repos, il n’y a pas de matchs.

Que pouvez-vous nous dire à propos de cette Coupe du monde qui se déroule actuellement ?

C’est une bonne Coupe du monde. C’est une compétition qui se déroule dans de bonnes conditions, dans une bonne ambiance, un environnement très agréable, et des gens aussi très accueillants. Il y a aussi ici en Afrique du Sud des infrastructures extraordinaires, et tout le monde est heureux d’avoir participé à cette grande manifestation.

On a eu droit à de grandes surprises, comme par exemple, l’Italie championne du monde qui s’est fait éliminer lors du premier tour, la France aussi, vice-championne du monde qui est sortie du premier tour. L’Angleterre aussi n’a pas été brillante. A contrarion, il y aussi le Ghana qui est présent pour la première fois aux quarts de finale.

Vous serez sans doute de tout cœur avec les Blacks Stars et votre ex-joueur Marcel Desailly…

(Rire), oui, Marcel est de tout cœur avec le Ghana, et je pense que c’est une des meilleures équipes d’Afrique actuellement. Elle produit du beau jeu. On s’attendait à voir aussi la Côte d’Ivoire passer le cap du premier tour, avec toute son armada de joueurs, mais là, à mon avis, la blessure de Didier Drogba a joué un vilain tour aux Eléphants. Ils pouvaient faire mieux, même s’ils étaient dans un groupe très élevé. La véritable surprise de ce Mondial est incontestablement le Paraguay qui se retrouve aujourd’hui en quarts de finale, alors qu’il ne possède pas une équipe complète ou très attrayante.

Mais la véritable attraction de ce Mondial, c’est la Vuvuzela…

Ah, oui. (Rire). C’est l’ambiance africaine. C’est l’ambiance aussi du pays, il faut s’y adapter. Moi personnellement, je n’ai pas aimé parce qu’il fait trop de bruit. Cet instrument a même déstabilisé les Européens parce qu’ils ne pouvaient pas s’exprimer et chanter. Mais bon, ce n’était pas dramatique quand même.

Cela vous a sans doute gêné dans votre travail ?

Non, pas du tout. Seulement, cela nous a causé quelques ennuis dans la retransmission des interviews et même dans la communication. En tout cas, on s’est adaptés.

Vous êtes-vous retrouvé en tant que commentateur-consultant sur Canal+ durant ce Mondial ?

Oui, bien sûr. Je fais ce travail depuis longtemps, il ne faut pas l’oublier. Déjà, j’ai eu la chance de le faire durant la Ligue des champions. Pour cette Coupe du monde, je me suis régalé avec toute l’équipe qui est avec moi. On a vu de bons joueurs, de bonnes équipes.

La Coupe du monde, c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. C’est un mélange de différentes manières de jouer au football, c’est un échange entre les peuples et les cultures aussi. C’est bon d’y participer, même si la vuvuzela nous a un peu assourdis, mais il y a une très bonne ambiance qu’on a appréciée.

Y aurait-il des matchs qui vous ont plu plus que d‘autres ?

On a assisté à de belles rencontres. J’ai fait par exemple Brésil-Côte d’Ivoire, Allemagne-Ghana. C’était deux matches très intéressants, avec un niveau très élevé. On a eu de la chance. J’ai suivi aussi Angleterre-Algérie, et c’était aussi un très bon match. Ce jour-là, les Algériens m’ont surpris. Ils étaient excellents. Je le dis bien et je le répète, ce jour-là, l’Algérie était impressionnante. C’était aussi un match de haut niveau. Par contre, j’étais déçu par le niveau du match des huitièmes entre le Japon et le Paraguay, c’était très moyen, mais à ce stade de la compétition, cela paraît logique, car on veut à tout prix se qualifier.

Parlons maintenant de la France, quel est le point de vue de Monsieur Jacquet, après tout ce qui s’est passé chez les Bleus durant ce Mondial ?

Pour en revenir à ce parcours décevant des Bleus, nous avons été battus sur le terrain, que ce soit face au Mexique ou à l’Afrique du Sud. Il y avait un début très timide face à l’Uruguay. Cependant, ce qui m’a le plus déçu, c’est l’environnement de l’équipe. Des termes disons un peu excessifs, mais je n’ai pas compris ce qui s’est passé. C’est vraiment inacceptable pour des professionnels.

Secondo, je pense que c’est vraiment irresponsable. C’est honteux car on représente un pays. Dans toutes les équipes du monde, il y a des problèmes, mais ce n’est pas de cette manière qu’on peut les régler. J’étais abasourdi. Ce que j’espère maintenant, c’est de connaître la vérité. On ne peut pas rester dans l’inconnu, dans une situation qu’on ne connaît pas. C’est une situation qui a donné une très mauvaise image de notre football et notre pays. Personne ne s’attendait à une telle situation. Tout le monde espère avoir des explications. Personnellement, j’aimerais bien en avoir de la part des joueurs.

Vous faites sans doute allusion au comportement des joueurs à quelques jours du match de l’Afrique du Sud lorsqu’ils ont refusé de s’entraîner, c’est ça?

Oui, c’est incompréhensible, inacceptable et irresponsable. On ne peut dire autre chose devant un tel comportement. Moi, j’aime l’équipe de France, j’avais misé sur cette équipe pour réaliser un très bon parcours en ce Mondial, mais c’est le contraire qui s’est produit. J’attendais de ce groupe qu’il montre son identité collective,

mais au final, c’est du gâchi. C’est vraiment dommage. Le football français est bien, on a de bons joueurs, de bonnes équipes, mais avec ce Mondial, l’image du football français a été ternie, faussée. Voilà ce que j’ai à dire.

Dernièrement, le président de la FFF Jean-Pierre Escalettes a décidé de jeter l’éponge. Pensez-vous qu’il a pris la bonne décision ?

Je pense que M. Escalettes a été digne, responsable. Il a soutenu ce projet pour la Coupe du monde, il avait une confiance en M. Domenech, le sélectionneur national, confiance qu’il lui renouvelait à chaque fois. Donc, je pense qu’il a pris la décision qu’il a vue nécessaire. En tout cas, pour moi c’est une bonne décision, car le président de la Fédération a été digne du poste qu’il occupait.

Passons maintenant à l’Algérie, comment jugez-vous son parcours lors de ce premier tour du Mondial ?

J’ai eu l’occasion de voir les Algériens jouer, et je ne vous cache pas qu’ils m’ont beaucoup surpris. Ils ont montré de bonnes dispositions techniques, tactiques, très entreprenants aussi. L’expérience a joué un mauvais tour à l’Algérie, car tous les joueurs n’ont pas cette expérience des grandes compétitions.

Ils ont manqué aussi un peu d’audace sur le plan offensif. Désormais, ils doivent continuer sur cette même voie. Je suis persuadé qu’ils vont pouvoir rivaliser avec les grandes nations et réaliser quelque chose. A eux de poursuivre leur évolution pour côtoyer souvent les grandes nations de football. Pour les joueurs, cette Coupe du monde est une ouverture sur le monde, une réalité du terrain qui peut se développer.

Mais sur le plan des résultats, ça a été décevant quand même…

Oui, lorsque vous dites que le résultat est décevant, je suis complètement d’accord avec vous, mais à moi de poser la question aux Algériens. Y a-t-il quelqu’un qui aurait parié sur cette équipe, il y a quatre ans, qu’elle disputerait la Coupe du monde 2010 qui aura lieu en Afrique du Sud ? Je suis sûr et certain que personne n’a misé sur cette équipe.

Tout à fait…

Voilà, j’ai donc raison. Cette qualification au Mondial est un pas en avant. Seulement, il faut que le football algérien s’organise aussi. Il faudra miser beaucoup sur le championnat algérien. Ce dernier doit être plus organisé, mieux encadré dans le but de permettre aux jeunes joueurs d’évoluer et de progresser.

Donc à mon avis, il y a encore du travail à faire. Toutefois, cette Coupe du monde permettra à l’Algérie d’aller de l’avant. Malheureusement, l’Equipe nationale algérienne n’est pas tout à fait le reflet du championnat national.

L’Algérie est sortie au premier tour de cette Coupe du monde ; aucun but de marqué, ce qui a suscité la colère du peuple, les critiques ont commencé ensuite à tomber sur Saâdane…

Oui, mais écoutez, Saâdane n’y est pour rien. Lui, il n’était pas sur le terrain. Je pense que Saâdane a fait de son mieux pour donner une très bonne image de l’Algérie lors de cette Coupe du monde. Ce n’est pas lui le fautif, l’Algérie doit progresser, et là je parle des joueurs. Il y a des générations qui vont arriver, et c’est à elles de rivaliser avec les grandes équipes. L’Algérie a retrouvé la scène internationale grâce aussi à la décision de la FIFA de permettre aux joueurs ayant porté le maillot d’une autre équipe de porter celui de l’Algérie. Cela dit, c’est une nouvelle équipe, maintenant, il faut qu’elle progresse. Ce qu’a réalisé aujourd’hui l’Algérie est un véritable exploit. Le match face à l’Angleterre m’a confirmé que votre nation aime le foot, elle le respire, mais aussi elle est douée, maintenant, il ne faut pas stagner, il faut progresser.

Saâdane a été critiqué pour ne pas avoir aligné un véritable avant-centre, optant pour une stratégie défensive, qu’en pensez-vous ?

Oui, Saâdane a fait son choix et je pense qu’il n’avait pas tort. Il a choisi une stratégie avec laquelle les joueurs se sont bien exprimés sur le terrain, il manquait de l’expérience. Mais montrez-moi cet avant-centre dont vous parlez…

Par exemple Djebbour face à l’Angleterre était sur le banc…

Oui, c’est vrai qu’il était sur le banc de touche, mais il n’a pas démontré qu’il avait une grande capacité d’être dans le giron international. C’est un garçon qui n’a pas une expérience internationale. Comment voulez-vous qu’on dise qu’il va marquer des buts. Ce ne sont que des suppositions.

Sur le plan technique et même tactique, quels sont les points positifs relevés dans cette participation des Fennecs ?

Moi, j’ai bien aimé ce qu’a proposé M. Saâdane lors du match face à l’Angleterre. Il a compris que le football algérien est varié avec beaucoup de technicité. Il ne faut pas oublier que l’Algérien est un technicien, ce n’est pas un combattant comme les Paraguayens ou les Chiliens qui s’appuient sur le physique. Seulement, les Algériens doivent améliorer le physique, la vitesse dans le jeu pour pouvoir rivaliser avec les autres nations. Ce n’est que de cette façon que le football algérien prendra une autre dimension.

Après Allemagne-Angleterre, on a eu un sentiment de frustration car l’Algérie pouvait facilement battre les Anglais. A votre avis, qu’est-ce qui a manqué aux Algériens pour prendre le dessus sur les Three Lions?

Sans hésiter, je dirai la confiance. Les joueurs algériens ont manqué de confiance. Je suis sûr qu’au moment où ils dominaient les débats, ils auraient pu facilement marquer des buts, en ayant un peu plus de confiance en eux.

Y a-t-il des joueurs algériens qui vous ont épaté ?

Je suis vraiment désolé, je ne peux pas parler des joueurs. Je n’ai jamais fais ça. Moi, je parle du collectif. Je ne parle jamais des joueurs, même si je les connais tous.

Pourriez-vous nous donner votre avis sur le nouveau gardien de but de l’EN, M’bolhi ?

D’après ce que j’ai vu, c’est un bon gardien. Je pense qu’il a eu l’occasion de bien s’exprimer. Il a même gagné en confiance, maintenant, il faudra qu’il continue sur cette lancée pour progresser.

Donc, vous jugez que le bilan de Saâdane est positif…

Oui, pour moi il est positif. D’ailleurs, je tiens à le féliciter pour ce qu’il a fait. J’espère qu’il restera en sélection. C’est vraiment intéressant. Il faut que ce soit lui qui aide le nouveau sélectionneur dans sa tâche. En Algérie, il faudra améliorer le football. Saâdane a le savoir-faire.

Justement, le contrat de Rabah Saâdane avec la Fédération algérienne expire le 30 juin. Tout le monde est divisé quant à son maintien à la barre technique…

Sincèrement, vous venez de me mettre dans l’embarras. Cette décision doit être prise par la Fédération, par les gens qui gèrent le football algérien. C’est à eux de voir qui va donner le plus à la sélection, mais aussi la stabilité, ce qui est important.

Dans les coulisses de la FAF, on parle de Madjer, l’ex-star du football algérien. A votre avis, quelle serait la bonne décision, maintenir Saâdane ou ramener Madjer ?

Je pense qu’ils peuvent former un bon duo. Saâdane-Madjer, c’est un duo qui pourrait faire beaucoup de choses. Madjer est un jeune entraîneur qui peut ramener un plus. Si on le met au côté de Saâdane, ils feront de belles choses avec l’Algérie, car Saâdane a l’expérience et la valeur aussi. Ce n’est pas n’importe qui. On n’est jamais assez nombreux pour faire monter ou progresser une équipe. C’est à la Fédération de faire une autre organisation, de donner un autre rôle à M. Saâdane parce qu’il le mérite, et c’est un avis personnel.

Avec cette nouvelle organisation dont vous avez parlé, il y a le poste de DTN, est-ce que nous allons voir M. Aimé Jacquet à sa tête comme on l’a déjà souhaité?

Non, pas du tout. Moi, j’ai pris ma décision, et je vous l’ai déjà communiquée lors de la première interview que je vous ai accordée. J’ai occupé toutes les fonctions dans le football, notamment en France, mais depuis 2006, j’ai décidé de me retirer définitivement. Même en France, vous n’allez pas me retrouver dans un tel poste.

Supposons que la décision vous revienne, est-ce que vous auriez choisi l’option locale ou étrangère à la tête de la sélection?

(Il n’a pas bien entendu la question). Les deux. Un sélectionneur doit prendre les meilleurs pour constituer une bonne équipe. Il prend les meilleurs, c’est clair.

Non, ce n’est pas exactement de cela qu’il s’agit ; à propos du futur sélectionneur, est-ce que vous pencheriez sur la piste locale ou étrangère ?

Moi, j’ai toujours pensé qu’il fallait prendre un local. Je fais toujours confiance à l’entraîneur local, et ça, c’est mon point de vue.

Quel est l’avantage de la piste locale ?

C’est simple, il garde la culture, il garde aussi l’état d’esprit. Il a aussi une écoute plus forte à l’échelle nationale. En plus de ça, il a une reconnaissance de son pays. Il connaît aussi la mentalité du football algérien, ce qui est très important. Croyez-moi, c’est la bonne solution. Seulement, à lui de bien voyager. Il ne faut pas qu’il soit aussi enfermé sur son poste, il faut qu’il soit présent dans les observations internationales.

Vous avez le privilège de bien connaître Zizou ; en Algérie tout le monde rêve de le voir sélectionneur national. Croyez- vous qu’il le sera un jour?

Il est difficile de vous répondre à cette question. C’est à lui qu’il faudra poser cette question.

On vous laisse le soin de conclure…

Je demande au peuple algérien d’être patient. Le joueur algérien n’a rien à envier aux joueurs européens ou américains. Seulement, il lui manque un peu d’expérience. Il faut lui donner le temps. L’Algérie réussira à réaliser de grandes choses, il faut seulement être patient avec cette équipe.