AIDA FARHAT, DOCTEURE EN ETUDES ARABES, CIVILISATIONS ISLAMIQUE ET ORIENTALES À LA SORBONNE, À L’EXPRESSION “Les musulmans font du tort à l’islam”

AIDA FARHAT, DOCTEURE EN ETUDES ARABES, CIVILISATIONS ISLAMIQUE ET ORIENTALES À LA SORBONNE, À L’EXPRESSION “Les musulmans font du tort à l’islam”

Par Madjid BERKANE

Aïda Farhat, docteure en études arabes, civilisations islamique et orientales, diplômée de l’université de Zeitouna (Tunis) et de l’Ecole pratique des hautes études (Ephe, Sorbonne) de Paris, est auteure de plusieurs articles et différents ouvrages et traduction: «12 Nouvelles de l’Arabie saoudite», «L’Abrégé de la Quintessence de la théorie légale». En ce moment, elle publie une traduction inédite et complète de l’introduction sur la logique de «La Quintessence de la théorie légale» d’al-Ghazali. Dans cet entretien, elle expliquera le but de son engagement pour l’islam, elle reviendra aussi sur l’enseignement de la langue arabe en France et donnera enfin son avis sur l’idée du Vivre ensemble.

 Vous tenez à défendre inlassablement l’islam tolérant dans un pays(la France) devenu de plus en plus hostile à cette religion. D’où puisez- vous la force?

Tout simplement, je puise mes forces, mes idées, dans ma culture, mon éducation. Je crois que la meilleure école permettant de construire notre identité, est celle de nos mères.Aussi, un mot qui m’a intrigué «l’islam tolérant». Il n’y a pas plusieurs islam, c’est une conception inventée. L’islam par sa nature est souple et tolérant, malheureusement, nous sommes les seuls responsables de cette régression. C’est pourquoi cette image d’hostilité, par exemple en France, est «légitime», si je peux dire. Cela est confirmé par le sondage réalisé par l’Ifop (2016, Le Figaro) précisant que 63% des Français estiment que l’influence de l’islam est trop importante en France et que la présence d’une communauté musulmane est plutôt une menace. L’image de l’islam s’est dégradée dans l’opinion des Français, suite aux récents actes terroristes, «Allâh Akbar» devient, malheureusement, une formule faisant peur,formule relative des actes terroristes.

 Vous vous référez souvent dans vos recherches à des érudits, tels que al-Ghazali et Ibn Rochd pour convaincre votre auditoire. Peut-on savoir pourquoi?

Puis-je répondre, en premier, «le destin». D’ailleurs, le film de Youssef Chahine «al-Masir», reflétant le destin même d’Averroès (Ibn Rochd), m’a incitée à fouiller dans l’héritage de ce personnage. Vu ma formation de base à l’université Zeitouna, où j’ai obtenu une maîtrise en sciences religieuses, approfondie par un doctorat de l’École pratique des hautes études, je ne peux que m’intéresser à son héritage juridique et non philosophique. Ce dernier m’a entraînée à aborder al-Ghazali, puisque son livre en question «La Quintessence de la théorie légale», était un travail d’abrégement de la part d’Ibn Rochd. Secundo, Ibn Rochd est une référence première et primordiale en Europe occidentale, son oeuvre a une grande influence sur les philosophes médiévaux latins et juifs dits «averroïstes». J’ai voulu avec cette recherche apporter des minisecousses dans le domaine de ma recherche. J’ai malmené quelques certitudes contribuant, modestement, à apporter un nouvel éclairage sur la relation entre al-Ghazali et Ibn Rochd à travers une approche qui avait comme fil conducteur la date de la composition du livre «L’Abrégé». J’ai également réussi à établir l’image d’Ibn Rochd comme juriste. Ceci n’exclut guère son apogée dans le domaine philosophique, la pierre angulaire de mon travail ce n’est pas d’effacer ses empreintes philosophiques, mais de réhabiliter sa formation de base comme juriste.

 Vous dites souvent que l’islam est victime du comportement des musulmans. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Oui exactement. Si on aime vraiment notre islam, nous devons le protéger de toute nuisance, de tout facteur constituant un préjudice. Malheureusement, aujourd’hui, je vois que l’intérêt personnel prévaut sur le général. On vit dans un monde égocentrique, on se permet de commenter, de «parler de l’islam» et d’avancer ses fatwas parce qu’on a lu un livre dans le domaine. Or, l’islam exige des propositions fondamentales, seul un spécialiste dans le domaine, qui a reçu l’instruction et l’enseignement, peut (dans ce domaine) fournir la ou les réponses demandées.

 A côté de l’islam du juste milieu que vous défendez, vous menez aussi un travail remarquable de l’enseignement de la langue arabe en France. A ce sujet, vous aimez préciser que ce sont les musulmans et les Arabes de France qui refusent en premier l’apprentissage de cette langue. Comment expliquez- vous cela?

Je suis contre l’emploi de «l’islam du juste milieu», je suis pour l’islam tout court, d’ailleurs, ce sont ces appellations qui ont permis ces divergences et par conséquent la perturbation de la compréhension de l’islam, telle que «l’islam de France», on localise l’islam pour limiter son extension. Mais pour répondre à votre question, je me base sur mon expérience d’enseignement en France. Je ne peux pas vous dire, ou, plutôt, vous confirmer que «ce sont les musulmans et les Arabes de France qui refusent en premier l’apprentissage de la langue arabe», je vous laisse constater! J’ai commencé l’enseignement de la langue arabe avec des grandes chaînes de télé: BFM TV, RMC, Cnews…, tous mes élèves adultes et enfants, sont français, je parle ici des «Français de souche». C’est étonnant: est-ce que l’apprentissage de la langue arabe ne répond pas aux critères des tendances de cette époque? La langue arabe assure sa place en Europe, d’ailleurs la Journée mondiale célébrant la langue arabe chaque 18 décembre, est la meilleure récompense et le meilleur exemple sur la reconnaissance de l’arabe comme langue riche. J’ai adjoint la traduction à la langue arabe, car j’ai voulu traduire des textes surtout religieux pour transmettre cette langue et cette religion à ceux qui veulent s’instruire.