Abdelhakim Hammoudi, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique à Paris : « Nous devons évaluer ce que coûte à la filière le manque d’organisation et d’efficacité des organisations professionnelles »

Abdelhakim Hammoudi, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique à Paris : « Nous devons évaluer ce que coûte à la filière le manque d’organisation et d’efficacité des organisations professionnelles »

Reporters : Vous avez procédé au lancement d’un projet sur la filiale datte en Algérie. De quoi s’agit-il ?

Abdelhakim Hammoudi : Il s’agit effectivement du lancement d’un projet d’étude économique (projet Value Dates) financé par le Centre de recherche en économie appliquée au développement (Cread). Le projet porte sur les enjeux associés au développement de la filière dattes, tant au niveau domestique qu’à l’exportation. C’est une rencontre qui s’est étalée sur deux jours et qui a réuni les membres de l’équipe participante et des invités intéressés par la thématique.

Quels sont les principaux objectifs de ce projet ?

Il vise de façon synthétique à analyser les contraintes et les opportunités auxquelles est confrontée la filière «Dattes» et à identifier les conditions de son développement à la fois sur un plan quantitatif (augmentation des rendements, de la production) et qualitatif (qualité gustative, commerciale, sanitaire et phytosanitaire). Les enjeux liés à la fois à l’exportation et au marché domestique seront considérés. Une des finalités du projet est la mise à disposition des professionnels et des autorités publiques de connaissances scientifiques de nature à contribuer à la professionnalisation de cette filière. Il s’agit entre autres de déterminer les conditions d’amélioration des rendements, de rationaliser l’organisation de tous les maillons de la filière et les mécanismes de mise en marché. La problématique de la valorisation du produit, par la promotion des signes de qualité liée notamment aux zones de production est un objectif important de ce projet.

Mais un élément sur lequel je voudrais insister et qui me semble très important est que l’une des caractéristiques essentielles de ce projet est l’innovation importante qu’il propose en termes, à la fois, d’organisation de la recherche et d’outils méthodologiques au service de l’analyse économique. Le projet, par la diversité des compétences de ses membres, va mobiliser une multitude d’approches scientifiques très complémentaires et très peu utilisées jusqu’à présent dans l’étude économique de cette filière. Au-delà de la classique et indispensable analyse statistique, le projet entend compléter et faire interagir plusieurs champs disciplinaires afin de proposer, au final, de véritables outils opérationnels de management de la filière et d’aide à la décision privée et publique dans ce domaine. La proximité avec les acteurs est un maillon essentiel du projet et nous envisageons de les consulter au fur et à mesure du projet pour affiner nos outils d’analyse et cerner au plus près la réalité de ce qu’ils vivent dans la pratique de leur métier.

Qui a financé ce projet interdisciplinaire et sur quelle base sont choisis ses membres ? 

Le projet a été financé par le Cread. Le Cread a voulu encourager au-delà de l’aspect sectoriel du projet (étude de la filière dattes), l’aspect structurant de celui-ci. Il s’agit, en effet, d’appuyer la mise en place d’une équipe de recherche multidisciplinaire décidée à travailler ensemble dans la durée. Cette équipe, et c’est l’ambition qu’on affiche, est appelée à constituer un modèle de travail collaboratif associant plusieurs compétences dans ce domaine ou des domaines voisins (économistes industriels, agri-économistes, statisticiens/économistes quantitativistes, mathématiciens, logisticiens…). Certains des membres de l’équipe ont déjà montré leur capacité à coopérer et à mutualiser leurs compétences dans des projets communs antérieurs et qui ont été appréciés, y compris sur le plan international. L’équipe comporte également des jeunes chercheurs, certains ayant été encadrés en doctorat dans le cadre d’un projet européen (Safemed/Arimnet 1) que j’ai coordonné. Ces jeunes dont j’ai co-encadré la thèse avec un collègue, Mohammed Saïd Radjef, du département de mathématiques de l’université de Béjaïa, sont maintenant docteurs et continuent cette aventure scientifique avec nous. Je veux également souligner que l’idée est aussi, à travers cette équipe, d’établir des passerelles entre différentes institutions : universités, grandes écoles et institutions de recherche. C’est un vrai changement de paradigme me semble-t-il dans l’organisation de la recherche où existent souvent des rigidités dans la mise en œuvre de pratiques de coopération multi-institutionnelle. Ce projet entend montrer qu’il est possible de dépasser ces rigidités pour améliorer davantage la visibilité internationale de la recherche algérienne.

Vous avez dit, lors du lancement de ce projet, que la consommation des dattes à l’étranger est communautaire. Sur quelles données avez-vous fait ce constat et quel est son impact sur l’exportation de ce fruit ?

Il n’existe pas à ma connaissance de travaux rigoureux sur l’identification du profil des consommateurs de dattes en Europe. Ce que j’ai effectivement évoqué, dans mon allocution d’ouverture, est une série de perceptions qui ont valeur d’hypothèses de travail dans le cadre de ce projet et surtout dans le cadre du projet euro-méditerranéen qui démarrera bientôt et qui complète ce projet financé par le Cread. Ces hypothèses de travail doivent être confirmées, infirmées ou nuancées en fonction des enquêtes de consommation qui seront prévues en Europe dans le cadre du projet européen. Il est important que la question du profil de la demande internationale de la datte soit un peu plus connue pour mieux évaluer les perspectives d’exportation de ce produit et surtout établir des stratégies marketing plus ciblées pour toucher certains types de consommateurs.

Quel est le rôle de la culture locale sur le développement de cette filiale en Algérie ? 

Je suppose que vous faites allusion aux possibles pesanteurs d’une certaine « culture managériale » des opérateurs du secteur et qui pourraient entraver un développement satisfaisant de la filière. Cet aspect a aussi été évoqué comme hypothèse de travail et sujet d’étude du projet. Nous devons établir un diagnostic de l’état de la coordination des acteurs et des facteurs bloquants et surtout évaluer ce que coûte à la filière le manque d’organisation et d’efficacité des organisations professionnelles. Ce qui est évident est que l’émergence de coordinations, de coopérations professionnelles et interprofessionnelles est un préalable au développement quantitatif et qualitatif du secteur. Cela suppose d’établir la confiance dans les démarches collectives et de convaincre les acteurs de cette nécessité, mais aussi que les autorités publiques trouvent les bons instruments d’accompagnement et les bons mécanismes d’incitation. C’est un des objectifs du projet.

Vous êtes en train de préparer un projet euro-méditerranéen, de quoi s’agit-il ? 

La commission européenne a lancé un appel à projets euro-méditerranéens (appels « Prima») qui vient prolonger une série d’autres appels à projets moins budgétisés (appels Arimnet 1 et 2), mais qui ont permis de mesurer l’intérêt collectif à engager une coopération plus ambitieuse entre les deux rives de la Méditerranée. Je suis en train de réfléchir avec mes partenaires européens et maghrébins sur la possibilité de proposer un projet encore plus large que les deux projets que nous démarrons (projets Cread et Arimnet 2). Pour être à la hauteur de l’ambition affichée par l’appel à projets Prima, un nouveau projet ne peut être envisageable que s’il est multidisciplinaire et complète les deux projets Cread et Arimnet 2 à la fois sur le plan thématique, disciplinaire et sectoriel.

Recueillis par Samira Dekkiche