Les pétromonarchies arabes face à l’effet boomerang

Les pétromonarchies arabes face à l’effet boomerang

7120444-10911736.jpgLe monde arabe traverse actuellement l’une des périodes les plus sombres de son histoire, un monde profondément divisé, miné par des rivalités et des tensions exacerbées et meurtri par des conflits et des guerres fratricides qui s’enlisent durablement.

Le fameux « printemps arabe », détourné de ses objectifs initiaux, à savoir la promotion de la justice et des droits de l’homme notamment, a connu une terrible hibernation et a engendré un bourbier et une situation inextricables.

Le moyen orient en particulier, objet de convoitises, est une région de plus en plus perturbée et tourmentée qui risque, à terme, de devenir une véritable poudrière. Les puissances occidentales, les U S A à leur tête, semblent avoir sorti des tiroirs les accords franco-britanniques (dits de Sykes-Picot) conclus en 1916 pour les réactualiser et les adapter au projet américain du Grand moyen –Orient (G M O) concocté, en son temps, par l’équipe de G. Bush qui dégaine plus vite que son ombre ! Ces plans visent à remodeler la carte des pays arabes du Moyen-Orient, à provoquer la balkanisation de la région pour mieux l’assujettir. La division du monde arabe et sa déliquescence programmées font que la ligue arabe est devenue « un machin », une organisation très affaiblie et dont les résolutions édulcorées à l’eau de rose restent lettre morte.(1)

Mieux, les USA, devenus les gendarmes du monde, et leurs alliés occidentaux, qui prétendent défendre les droits de l’homme et des peuples au nom de la démocratie, sollicitent et obtiennent l’allégeance des pétromonarchies du golfe.

Les objectifs de cette nouvelle « croisade » (ce mot utilisé par G.Bush dans l’un de ses discours à la nation américain n’est pas un lapsus) sont pertinemment identifiés par M.Amir Nour, un chercheur algérien dans son récent ouvrage , « l’orient et l’occident à l’heure d’un nouveau Sykes-Picot » .Il ressort de cette analyse que « cette nouvelle stratégie de désintégration massive permettrait aux U S A de réaliser un triple objectif : garantir la préservation de leurs propres intérêts stratégiques dans la région ; renforcer la position de leur allié israélien … réorienter l’essentiel de leurs efforts et de leurs moyens vers la région du monde la plus importante, l’Asie Pacifique ».

Pour accélérer la division du monde arabe et précipiter la chute des régimes politiques hostiles, ces alliés ravivent les conflits interconfessionnels (entre sunnites et chiites en Irak et au Yémen par exemple), les rivalités tribales (en Libye) et ethniques (entre sunnites, alaouites et druzes en Syrie) …D’ailleurs, ces puissances occidentales veillent à affaiblir graduellement les parties en conflit, à maintenir un certain équilibre entre les antagonistes dans ces guerres fratricides pour qu’il n’ y ait finalement ni vainqueurs ni vaincus, un statu-quo qui provoque l’effondrement total des uns et des autres , une situation idéale qui permettrait de les asservir pleinement. (2)

Les occidentaux n’hésitent pas à conclure des alliances « contre-nature » et à renier les nobles idéaux- dont ils se targuent pourtant d’être les défenseurs – pour parvenir à leurs fins. Ces pays s’arrogent le droit d’ingérence en violation flagrante du droit international pour exécuter leurs plans concoctés selon un agenda précis avec la bénédiction des pétromonarchies arabes qui abritent d’importantes bases militaires américaines. Il n’échappe à personne que ces mêmes pays ont favorisé la constitution d’organisations et de groupes armés qu’ils ont entraînés, financés et équipés avec le soutien actif de la C.I.A. A ce sujet, M Eric Dénéré, le directeur du centre français de recherche sur le renseignement, interrogé par El-Watan, fait remarquer que l’organisation Daech se retourne désormais contre les Saoudiens. L’Arabie Saoudite et la Jordanie, en particulier, se sentent menacées par ceux qu’elles ont aidé à évoluer et à obtenir une capacité de nuisance… Pour les pétromonarchies qui financent les terroristes dans le monde entier, ceux-ci n’ont d’intérêt que s’ils obéissent à leurs sponsors ». Il souligne par ailleurs que ces groupes ont été directement financés, formés et armés par le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie mais aussi par les Etats Unis (d’Amérique) »

Abondant dans le même sens, M. Hakim Gharib, expert algérien en sécurité et en stratégie, estime que l’organisation Daech est un produit des USA et un moyen utilisé pour la mise en œuvre de la stratégie américaine dans la région et qu’on a sciemment laissé se ramifier et s’amplifier en Irak et en Syrie (El Khabar du 10/10/2014 p15)

Il serait judicieux, à mon sens, de rappeler également que le mouvement taliban en Afghanistan, de 1980 à 2000, le front An Nosra en Syrie, le groupe Khorassan en Irak jusqu’à un passé récent, le mouvement Achabab en Somalie, certaines milices en Libye jusqu’à présent, ont, eux aussi, bénéficié du soutien multiforme de certains pays occidentaux et des monarchies du golfe. En agissant de la sorte, ces pétromonarchies n’ont –elles pas ouvert la boite de Pandore ? C’est avec stupeur que ces pays découvrent, à leurs dépens, que les groupes radicaux extrémistes se retournent à présent contre ceux qui, dans un premier temps, les ont financés et armés et qui menacent leurs trônes ! C’est bel et bien le retour de manivelle !

Il convient d’affirmer que l’horreur et les massacres perpétrés ne doivent pas être imputés à l’Islam, une religion qui protège et sacralise les valeurs humaines les plus nobles. Finalement, ces pays « frères » récoltent ce qu’ils ont semé : l’effet boomerang risque d’être implacable ! A présent, ils s’évertuent à jouer aux pompiers pyromanes en s’acharnant à réduire puis à éradiquer les réseaux qu’ils ont tissés dans de nombreuses contrées et les organisations extrémistes radicales enfantées parce que le péril est en la demeure et qu’ils en sont directement menacés à leur tour. La triste réalité est que le peuple algérien, lui aussi, n’a pas échappé au climat de terreur et de barbarie qu’il a douloureusement enduré pendant la décennie rouge (1990-2000), à un terrorisme conforté par des fetwas incendiaires de prédicateurs la solde des monarchies , de pays « frères », et financé par certaines pétromonarchies, une période au cours de laquelle notre pays, meurtri et exsangue, fut mis en quarantaine , presque totalement isolé sur la scène internationale et livré à lui-même. C’est assurément dans les pires moments et les dures épreuves qu’on reconnaît ses véritables amis. De nos jours, un climat de tension, entretenu et attisé machiavéliquement à nos frontières, vise à ébranler et à déstabiliser l’Algérie, l’un des rares pays arabes qui ait réussi, contre vents et marées, à préserver son unité nationale. N’en déplaise à certains pays frères !

Par ailleurs, que faudrait-il penser de la décision pour le moins surprenante et totalement arbitraire prise récemment par les Emirats Arabes Unis – qui prive les Algériens âgés de moins de quarante ans de l’obtention du visa d’entrée ? Cette mesure discriminatoire traduit le climat de suspicion voire d’hostilité dont sont injustement victimes nos compatriotes. Incontestablement, on est bien loin de la fraternité arabe et des idéaux du panarabisme !

Et dire qu’au même moment, les sionistes y jouissent de privilèges et continuent de parader impunément sur l’esplanade de la mosquée d’Al Aqsa, le troisième lieu saint de l’Islam et que le peuple palestinien, dont les terres ont été spoliées par le terrorisme israélien depuis 1948, continue de souffrir le martyr et n’a pas encore recouvré ses droits légitimes à l’instauration d’un état indépendant ! Il convient de remarquer également que ces pétromonarchies –à quelques exceptions près- rechignent à investir dans certains pays arabes où leurs intérêts économiques et financiers sont pourtant privilégiés et peuvent fructifier grandement. Elles préfèrent placer leurs capitaux et investir de façon parfois hasardeuse dans le monde occidental qui en tire le meilleur profit.

L’histoire moderne nous apprend (si nous faisons preuve de discernement) que les USA et l’Occident ont la conviction (à tort, à mon sens) qu’ils pourront et devront résoudre des problèmes historiques des peuples, à leur place, en imposant leur propre vision et leur propre stratégie, en somme comme le feraient des tuteurs tout puissants à l’égard d’orphelins ou de peuples considérés comme mineurs.

Les propos suivants tenus récemment par M D de Villepin (ancien ministre français des affaires étrangères) mériteraient d’être médités : « La meilleure arme que nous puissions opposer aux extrémistes de toutes parts (et de tous bords, ajouterais-je), ce sont les armes de paix. Le dialogue, la réconciliation, le développement économique au service des peuples et des jeunes générations qui, trop souvent, désespèrent en l’absence d’espoir de changement » Quant aux pétromonarchies arabes qui contribuent à semer la discorde, la fitna (l’un des péchés capitaux) et à provoquer le chaos dans de nombreux pays « frères », il me vient à l’esprit ce dicton : « Que Dieu nous protège de nos amis (hypocrites et perfides) ! Quant à nos ennemis, nous nous en chargeons »

Se référer, à ce sujet, à mes articles:

1- « le monde arabe, désunion et désillusions (publié par le journal réflexion le 23/05/2013 p6)

2- Les droits de l’homme, une exigence à géométrie variable (publié le 09/12/2013 p5 )

DAHOU Mokhtar