La presse australienne révèle des cas d’abus sur des migrants détenus sur l’île de Nauru

La presse australienne révèle des cas d’abus sur des migrants détenus sur l’île de Nauru

nau.jpgLa presse australienne a publié, mercredi, des documents relatant des centaines de cas d’abus à l’encontre des migrants relégués par Canberra sur l’île de Nauru. Des ONG dénoncent de graves entraves aux droits de l’Homme.

Les accusations d’abus sexuels et de maltraitance à l’encontre de migrants bloqués en République de Nauru, une île au large de l’Australie, étaient régulièrement dénoncées par des ONG, elles sont désormais officielles. Des extraits de plus de 2000 rapports qui ont fuité des services de l’immigration ont été publiés mercredi 10 août dans le quotidien The Guardian Australia, relatant des faits d’agressions, de sévices sexuels et de souffrances morales infligés aux migrants.

Des membres du personnel du centre de rétention de Nauru font état d’actes de violences infligées le plus souvent par des gardiens. Mais les réfugiés sont également la cible de fréquentes agressions impunies de la part des habitants de l’île. Plus accablant pour les autorités australiennes : plus de la moitié des 2116 rapports recueillis par le journal concernent des actes perpétrés sur des enfants. Ces derniers ne représentent pourtant que 18 % des personnes détenues à Nauru sur la période couverte par les enquêtes, allant de mai 2013 à octobre à 2015.

La sous-traitance des camps de migrants

Les agressions relevées par le journal sont nombreuses. Parmi les faits cités, une fillette de 10 ans, mise à nue et obligée de subir des attouchements sexuels d’un groupe d’adultes. Un garçon menacé de mort. Une jeune femme autorisée à prendre une douche plus longue en échange de faveurs sexuelles… Aux nombreux sévices, s’ajoutent les conditions de vie déplorables où l’hygiène et les soins médicaux sont quasi inexistants.

Une misère qui illustre les travers politique migratoire de l’Australie, qui sous-traite l’accueil de migrants à des micros-États qui ne sont pas tenus par les conventions des droits de l’Homme. Le pays refoule systématiquement toutes les embarcations de migrants qui tentent de l’approcher. Et ceux qui parviendraient à gagner ses côtes sont placés dans des camps de rétention sur les îles de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et de Nauru, un micro-État insulaire du Pacifique.

Conséquences, de nombreux jeunes migrants souffrent de graves troubles mentaux, les automutilations et les tentatives de suicide y sont fréquentes. En septembre 2014, une jeune s’est notamment cousue les lèvres pour dire son malaise. En octobre 2015, une jeune maman a, elle, insisté pour donner son bébé à l’Australie pour qu’il échappe à l’enfer de son quotidien.

Un « environnement sûr »

Les autorités australiennes n’ignorent rien de ce qui se passe sur l’île. À plusieurs reprises, des rapports d’enquêtes menées par la Commission australienne des droits de l’Homme ou par le Sénat ont été examinés par les autorités du pays. En Avril 2015, le ministre de l’Immigration australienne, Peter Dutton, a déclaré qu’il entendait faire le nécessaire pour faire du centre de Nauru, un « environnement sûr ». Mais les violences ont continué. Pis, selon le Guardian Australia, la situation s’est détériorée et les faits de violences se sont multipliés en 2015.

Devant la quantité de preuves détenues par le journal, les autorités australiennes ont été contraintes de réagir. Mollement. Le ministère australien de l’immigration et des frontières s’est d’abord félicité de l’existence de ces rapports, prouvant le bon fonctionnement des droits de l’Homme sur l’île. Puis il a rappelé que les documents ne contenaient, à ce stade, que des allégations non confirmées et des faits non avérés. Les autorités ont ensuite invité les réfugiés à signaler tout abus à la police de Nauru et assuré que des enquêtes seraient menées.

« Je ne suis pas sûr que cette affaire change quoi que ce soit »

« Devant l’ampleur et l’échelle des faits, il paraît tout de même difficile d’imaginer que les autorités australiennes nient les abus perpétrés dans ce camp, comme elles l’ont toujours fait jusqu’à maintenant, assure à France 24 Jean-François Dubost, responsable du programme Protection des populations à Amnesty International France. Même s’il est encore tôt pour connaître l’impact de cette affaire dans l’opinion publique australienne, on espère tout de même qu’elle fera changer les choses et notamment la politique australienne à cet égard. »

George Newhouse, professeur de droit à l’université de Macquarie et directeur du National Justice Project ne partage pas cet optimisme. « Je ne suis pas sûr que cette affaire change quoi que ce soit à la politique australienne, déplore le travailliste australien. Même si pour le moment le gouvernement de Malcolm Turnbull a grand besoin de faire oublier ce triste épisode en veillant d’urgence à ce que les femmes et les enfants soient bien traités. »

Si les révélations du Guardian Australia n’ont pas d’impact retentissant sur la politique migratoire du pays tant espéré par les ONG, elles en auront peut-être davantage en Europe. « On peut penser que certains responsables européens qui avaient l’habitude de citer l’Australie en exemple en matière de politique migratoire, comme l’Autriche, revoient désormais leur jugement », souligne Jean-François Dubost.