Quêtes pour les malades: Le phénomène explose à Tizi Ouzou

Quêtes pour les malades:  Le phénomène explose à Tizi Ouzou

Des jeunes, regroupés en collectif, organisent des quêtes pour aider des malades, sans moyens financiers, à aller se soigner à l’étranger.

C’est chaque jour un téléthon citoyen à Tizi Ouzou. Et cela fonctionne, et c’est la preuve que les ressorts de la société sont encore en bonne santé. La réaction des gens a prouvé en effet que la solidarité est encore une caractéristique vivante dans la société. Toutes les quêtes organisées ont réussi à réunir les sommes demandées par les hôpitaux français pour la prise en charge des malades. Toutes ces sommes dépassent les 200 millions de centimes. Dans certains cas, ces groupes de jeunes ont réussi à réunir plus d’un milliard de centimes. Pour ce faire… ils sillonnent les villages jusqu’aux plus lointains.

Ils vont de ville en ville parcourant quartier après quartier. Ils sont dans les gares munis de petits cartons en guise de caisses pour recevoir les pièces données par les âmes charitables. Et ces âmes sont finalement très nombreuses. Des jeunes, regroupés en collectif, font des quêtes pour aider des malades, sans moyens financiers, à aller se soigner à l’étranger. Depuis plus d’une année, le phénomène prend de l’ampleur et attire de plus en plus d’attention. C’est devenu un phénomène de société.

Les gens interrogés donnent des avis différents sur ce phénomène. Une grande proportion, majoritaire d’ailleurs, a une opinion positive, considérant que c’est de la solidarité pure et simple mais une autre proportion, minoritaire, mais importante tout de même, pense le contraire. Pour cette dernière catégorie, les quêtes sont louches, du moment que rien ne garantit que l’argent recueilli parvient à la bonne personne.

De leur coté, les jeunes quêteurs que nous avons approchés assurent qu’ils se regroupent dans un cadre associatif pour rendre légales leurs opérations. «Nous agissons dans le cadre de la loi. Nous avons les autorisations», assure un jeune, interrogé au niveau de la station de Boukhalfa. «Vous avez sûrement remarqué que depuis quelques temps, nous veillons à coller des copies de l’agrément de nos associations et des autorisations datées» délivrées par les services concernés, explique un autre interrogé dans un café de la ville de Tizi Ouzou.

Des solutions existent

Un jeune universitaire, participant à une opération similaire, a expliqué le phénomène à sa façon. Une ingénieuse manière de proposer. Notre ami prouve en fait deux choses. La première est qu’il ne faut pas être élu à l’APN ou être dans un centre de recherche ou un quelconque think tank pour proposer des solutions à son pays. La seconde est que le système de solidarité ancestrale fonctionne mieux que tout autre mécanisme aussi louable soit-il, comme l’accès gratuit aux soins.

«Je ne suis pas un ministre ou un chercheur, mais je vois clairement que l’accès gratuit aux soins n’est qu’un leurre. D’ailleurs, c’est dans les hôpitaux privés et étatiques que nous constatons la supercherie. Ce sont pratiquement les riches qui se soignent gratuitement via les réseaux de favoritisme alors que les pauvres, sans connaissances sont renvoyés illico presto vers les laboratoires et les hôpitaux privés pour se soigner en vendant leurs voitures et leurs terres quelquefois», affirme-t-il tout en invitant les passants à introduire quelques pièces dans sa boîte en carton. «Normalement, cet argent, ce n’est pas un citoyen comme moi qui le donne, mais c’est l’Etat qui garantit la gratuité des soins.

Notre ami malade ouvre droit à des soins gratuits dans son pays ou sur la planète Mars», conclut-il l’air un peu désenchanté. Par ailleurs, un autre avec qui nous avons engagé cette discussion a approfondi cette réflexion de son ami en expliquant que le système de sécurité sociale doit s’impliquer dans la garantie des soins en fixant un barème des salaires qui permet de distinguer ceux qui ouvrent droit et ceux qui doivent se soigner chez le privé. «Ya khouya, si les analyses ne sont pas disponibles chez l’Etat, je vais chez le privé mais c’est l’Etat qui paye.

Le laboratoire a le droit de vérifier mon salaire pour voir dans quelle catégorie je me trouve et pour se faire payer il va à la sécurité sociale.» Le jeune parle mais sa discussion est teintée de la formule du genre «Ad ifk rebbi chffa», ce qui ne lui fait pas oublier le fil de sa discussion. «Nous avons le droit aux soins gratuits et la Constitution nous le garantit. Mais c’est l’Etat qui doit repenser ce système de gratuité pour reconnaître les personnes qui en ont vraiment besoin», poursuit-il.

Soupçons sur la destination des fonds

Une autre catégorie de personnes pense par contre que ces quêtes sont louches. Leurs arguments sont les mêmes, à savoir le flou qui entoure la destination des fonds récoltés. «On ne sait pas si cet argent est réellement parvenu à la bonne personne», affirme notre interlocuteur interrogé. D’autres pensent en effet que des personnes peuvent profiter pour se lancer dans les quêtes et récolter de l’argent pour leur compte. «Comment puis-je savoir que la personne est la bonne ou si elle se fait juste passer pour un bénévole?», s’interroge un autre.

Une frange de la population pense par ailleurs que ce système de solidarité doit être relayé par les mécanismes étatiques. «A quoi sert l’argent du fonds de la zakat si ce n’est pour ce genre de personne? C’est l’Etat qui doit organiser cela. Il y a des services dont la mission est celle-ci. Je ne vois pas leur utilité dans ce cas. On peut revoir le système de la gratuité des soins également. Aujourd’hui, ce n’est plus comme dans les années 1960. On doit savoir qui a besoin de soins gratuits et qui n’en a pas besoin. C’est l’Etat qui doit faire la distinction. Il connaît quand même nos salaires» affirme, un enseignant qui rejoint l’idée des jeunes quêteurs.

Des jeunes du village Taouint de la commune de Timizart, sont justement à pied d’oeuvre afin de réunir la somme nécessaire pour le transfert d’un jeune de leur village à l’étranger. L’opération à laquelle prend part l’APC de Timizart, dans la daïra de Ouaguenoun vise, selon les organisateurs, à réunir une somme de 200 millions de centimes pour un jeune atteint d’une leucémie aiguë. A cause de sa maladie qui l’a obligé à se soigner au niveau du CHU de Tizi Ouzou, le jeune Samy n’a d’ailleurs pas pu passer son bac.Aussi, les jeunes du village Taouint sillonnent tous les villages et toutes les villes de la wilaya pour récolter ces fonds qu’ils remettront à sa famille.