Saccages des hôtels à Tichy : La morale, la politique et le business du sexe tarifé

Saccages des hôtels à Tichy : La morale, la politique et le business du sexe tarifé

0moeurs10.jpgTichy, dimanche 08 mai. Trois jours après le saccage de 6 hôtels de cette station balnéaire située sur la côte Est de Bejaia, le traumatisme est énorme et la tension encore vive. Ici, les gens ne veulent pas parler.

Quand ils acceptent, ils refusent que l’on les nomme ou que l’on divulgue leurs fonctions. On se contentera donc de leur donner des prénoms fictifs. A Tichy, les gérants des établissements saccagés ruminent toujours leur colère, une partie des habitants applaudit la descente punitive et une autre partie qui s’en offusque. A quelques semaines du début de la saison estivale, l’affaire tombe d’autant plus mal que cette coquette ville du littoral ne fit que du tourisme.

Les faits : jeudi 5 mai, vers 21 heures, des dizaines de jeunes commencent par fermer à la circulation la RN 9 reliant Bejaia à Sétif. Un rassemblement se forme ensuite devant le commissariat de la ville où la foule exige des policiers de mettre un terme au phénomène de la prostitution pratiqué ouvertement ou discrètement dans ces établissements.

Vers 22 heures, chauffée à blanc, la foule passe à l’acte. Des bandes de jeunes s’attaquent aux établissements hôteliers accusés de faire travailler des entraîneuses, souvent des jeunes filles venues des villes de l’Ouest ou de l’Est du pays.

L’hôtel Club Alloui, le Syphax, Le Saphir Bleu, la Grande Terrasse, la Villa d’Este et le Golf ont vu leurs façades et leurs parkings saccagés, leurs bars vandalisés alors que plusieurs voitures de clients ont été endommagées. Les dégâts sont énormes.

D’un côté donc, des propriétaires d’hôtels n’aspirent, disent-ils, qu’à travailler dans le respect des lois. De l’autre, des habitants d’une ville offusqués de voir des femmes aux tenues et aux mœurs légères déambuler dans les rues de leur cité en dehors de leurs heures de travail.

Entre ces deux entités qui se regardent en chiens de faïence, il y a ces autorités qui ferment les yeux et se bouchent les oreilles devant un problème vieux comme le monde.

Et pour cause, ce serait trahir un secret de Polichinelle que de dire que les bars à putes, où qu’ils se trouvent en Algérie, servent de paravents à toute une faune de responsables qu’ils soient civils ou qu’ils relèvent des services de sécurité.

Evidement, les propriétaires des hôtels de Tichy ne décolèrent pas. Non seulement, ils comptent porter l’affaire en justice, mais ils parlent de tentatives d’extorsion, de chantage, et évoquent même des actions inspirées par des extrémistes.

Réunis en conclave à la Grande Terrasse vendredi 6 mai, ils ont donc décidé de passer à la contre-offensive. Une plainte collective est déposée contre 25 « émeutiers », nommément cités. D’autres plaintes, individuelles celles-là, sont déposées par diverses personnes, notamment, des propriétaires de véhicules endommagés.

L’un des propriétaires ciblés par les casseurs révèle à ses pairs qu’un « casseur » l’avait contacté pour lui demander 20 millions de centimes pour être épargné par les prochaines descentes. Un autre parle d’une demande de rançon collective de 400 millions pour « stopper les émeutes ».

Joint par téléphone, le gérant de l’un de ses hôtels nous confie : « Le mouvement de contestation s’est radicalisé très rapidement. Derrière cette radicalisation il y a des salafistes qui tirent les ficelles. Certains prêches de mosquées y sont pour quelque chose dans cette radicalisation. Il y a également de la manipulation politique et de la récupération de la part de certains partis politiques. Il y a des tentatives de nous rançonner. Ajoutez à ce climat, le laxisme des services de sécurité qui auraient pu gérer plus intelligemment la contestation au moment où elle avait commencé jeudi soir et qui ont fait part d’un laxisme flagrant. Tout compte fait, la dégradation des mœurs ne touche pas seulement Tichy, c’est toute la région de Bejaia qui est touchée », raconte-il.

Ce gérant ajoute que jeudi 5 mai, ce sont plusieurs millions de dinars de dégâts qui ont été causés aux établissements hôteliers. « Les casseurs se sont également emparés de bouteilles de whisky et de recettes du jour… », ajoute-t-il comme pour signifier qu’il n’y avait pas que d’honnêtes pères de familles parmi la foule qui s’en est pris à leurs hôtels.

Le lendemain, samedi, c’est au tour du comité des citoyens de se réunir en conclave pour débattre des faits qui se sont passés dans la soirée du jeudi. Dans un communiqué rendu public, le comité tient à réitérer le « caractère pacifique de leur action qui n’est nullement dirigée contre l’activité commerciale des hôtels et autres lieux de boissons mais uniquement contre la prostitution et ses effets corollaires ».

Tout en imputant la responsabilité du saccage des hôtels au « laxisme des autorités », le comité citoyen met en garde les autorités contre des sanctions à l’encontre du groupe de 25 manifestants menacés de poursuites judiciaires par les propriétaires d’hôtels.

« Nous ne sommes ni intégristes ni salafistes. Nous sommes des citoyens opposés au tourisme sexuel et à la prostitution dans leur cité », dit Amine. Lui n’a pas participé à cette descente nocturne mais ne pense moins qu’elle soit justifiée. « Nous ne sommes pas des inquisiteurs, mais c’en est trop. Ces filles se baladent même en petite tenue dans les rues de la ville », argue-t-il.

Autre citoyen, autre son de cloche : « Nous ne sommes en rien responsables de la casse de jeudi soir et nous ne cautionnons pas ce genre de dérapage », affirme Slimane. Selon toute vraisemblance, ce n’est pas tous les citoyens qui cautionnent ce qui s’apparente à un dérapage incontrôlé.

Mais ce dérapage était prévisible. Depuis plusieurs mois, des habitants de Tichy ne cessent de se plaindre de ces établissements qui font travailler des filles de joie au vu et au su de tout le monde. C’est que le phénomène de la prostitution – en vogue également à Oran, Annaba ou sur le littoral ouest d’Alger -, dans les hôtels et les bars de Bejaia et de Tizi Ouzou ne date pas d’hier.

C’est au milieu des années 1990 que des patrons d’hôtels et de bars ont décidé de recruter des femmes de petite vertu pour travailler comme entraineuses.

Tolérée, pour ne pas dire encouragée par les autorités locales, cette pratique s’est répandue dans plusieurs localités, notamment dans les établissements qui longent le littoral, envahi par des centaines de milliers de touristes durant l’été.

Laxisme, complicité, appât de gains faciles, des gérants ont fini par transformer leurs établissements en véritables lupanars qui attirent des centaines de filles qui fuyant la misère ou des problèmes familiaux atterrissent dans ces hôtels et ces bars pour pratiquer le plus vieux métier du monde.

Alcool, fric et sexe tarifé, ces établissements sont très prisés autant par la clientèle locale que par des clients venus d’autres régions du pays.

Bien que la population voie d’un mauvais œil cette pratique, les incidents sont rares. Tant que les filles exercent leur métier à l’intérieur de ces hôtels, les uns et les autres s’en accommodent.

Ce n’est pas pour autant le cas d’une partie de la population de Tichy.

C’est ainsi que plusieurs manifestations publiques, dont des marches et des fermetures de route, sont organisées par les habitants pour demander aux autorités de mettre fin à la prostitution au sein de leur ville. Ceux-ci peuvent ainsi compter sur Hamid Ferhat, président de l’APW et Hamid Aissani, P/APC de Tichy, encartés au sein du FFS, qui appuient la revendication des protestataires.

En janvier dernier, le wali de Bejaia signe alors des arrêtés de fermeture de 7 bars et boites de nuit situés sur la côte ouest, notamment à Tichy. Quelques jours plus tard, les propriétaires demandent un sursis de deux mois pour se mettre en conformité avec la loi. Ce qui leur est accordé. « Certains de ses propriétaires ont régularisé leurs situations alors que d’autres sont en voie de l’être », affirme une source proche du dossier au niveau de la wilaya de Bejaia.

Dans le courant du mois de mars, les citoyens de Tichy, ne voyant rien venir, reviennent à la charge et organisent un sit-in devant la Villa d’Este pour exiger que les arrêtés de fermeture pris à l’encontre des boîtes de nuit soient appliqués. La tension va aller crescendo avant de dégénérer en descentes punitives.Un groupe de jeunes a donc décidé de se faire justice.

A un mois du début de la saison estivale, l’affaire est du plus mauvais effet pour Tichy. Aujourd’hui, la population est partagée entre réprobation et acquiescement, les gérants des établissements réclament justice et les autorités une fois de plus sommées de mettre fin à un phénomène qui génère des fortunes colossales autant pour les filles que pour les propriétaires des hôtels, bars et cabarets.