Retour sur l’histoire de cheb Mami et Isabelle

Retour sur l’histoire de cheb Mami et Isabelle

arton130514-fc294.jpgNous sommes lundi 28 novembre 2005. La scène se déroule au commissariat de Saint-Denis, à Paris.

Isabelle Simon, photographe de presse à l’agence SIPA, vient porter plainte contre son ancien compagnon, cheb Mami, pour tentative d’avortement sauvage sur sa personne.

Les propos de ce dernier sont retranscrits dans un procès-verbal qui sera versé au dossier d’accusation de l’artiste franco-algérien dont le procès s’ouvre ce jeudi au tribunal correctionnel de Bobigny, à Paris.

Poursuivi pour complicité d’enlèvement, séquestration, violences, administration de substances nuisibles, menaces et intimidation sur la victime, cheb Mami, de son vrai nom Mohamed Khelifati, 42 ans, risque jusqu’à 15 ans de prison et 150 000 euros d’amende.

Trois autres complices, Michel Levy, de son vrai nom Michel Lecorre, manager de Mami, Hicham Lazhar, directeur artistique ainsi que Abdelkader Lalalli, dit Kader, homme de main du chanteur, sont également poursuivis pour les mêmes chefs d’inculpation.

Réfugié en Algérie depuis mai 2007 alors qu’il était sous contrôle judiciaire en France, cheb Mami a été arrêté lundi dernier à sa descente d’avion à Orly avant d’être placé en détention provisoire.

Hier sur les scènes du monde entier, aujourd’hui dans le box des accusés pour répondre de faits sordides, dans une affaire sordide, le gamin de Saïda est passé de la gloire à l’infamie.

Comment le prince du raï, cet homme d’affaires riche qui se targue de ses connaissances avec les puissants du pays, s’est-il retrouvé embarqué dans cette affaire de sang, de fric, de chantage et de menaces ? Voici l’histoire d’une star du raï qui a déraillé.

Nous sommes en 1997. La gloire balbutiante, cheb Mami lie connaissance avec Isabelle, reporter photographe. Dans l’univers du spectacle, Isabelle, 43 ans, est connue pour ses nombreux reportages réalisés avec les artistes du raï.

Au départ, la relation entre la vedette aux millions d’albums vendus et la journaliste est professionnelle. Mami et Isabelle s’apprécient bien, sans plus.

Mais voilà, ce garçon introverti et discret, cet homme qui n’est pas connu pour être un coureur de jupons, se sent plutôt à l’aise avec la jeune femme, tellement à l’aise que leur relation devient intime en janvier 2004.

Marié mais divorcé avec Ikram, une Hollandaise d’origine maghrébine avec qui il a une fille, Mami ne désire pas être père à nouveau. Alors, lorsque sa compagne lui annonce qu’elle est enceinte, il s’étrangle de rage.

« Non, non, c’est pas possible ! Avorte ! Je n’en veux pas ! », lui dit-il. Devant le désir de sa compagne, déjà maman d’une fille, de garder le bébé, Mami usera de menaces.

« Ne me pousse pas à faire des choses qui pourraient m’envoyer en prison et ruiner ma carrière », lui assène-t-il au cours d’un échange téléphonique.

Au début de l’été, Mami prend les choses en main en faisant jouer ses connaissances en France dans le but de convaincre Isabelle d’avorter en urgence.

Par le truchement d’un ami, Abdelkrim Lallali, il lui demande donc d’entrer en contact avec Amiel Z., agent hospitalier à l’hôpital du Kremlin Bicêtre, à Paris, pour y subir une IVG (interruption volontaire de grossesse).

La grossesse étant à un stade avancé, Amel déconseille l’avortement. Au téléphone, Mami ne décolère pas et menace la femme à maintes reprises. Mais rien n’y fait : elle gardera le bébé. Là, les événements prendront une tournure macabre.

Refus obstiné

Refusant obstinément d’endosser la paternité de l’enfant, cheb Mami va donc monter un stratagème avec la complicité de Michel Lévy, de Hicham Lazhar et de son homme de confiance en Algérie, Kader Lallali.

Le stratagème ? Inviter Isabelle en Algérie pour effectuer un reportage sur le raï et profiter de sa présence sur le sol algérien pour la faire avorter de force.

Dimanche 28 août 2005, Isabelle atterrit à l’aéroport international d’Alger. Evidemment, elle ne se doute de rien tant et si bien qu’elle se fait accompagner par sa fille.

A l’aéroport, c’est Hicham Lazhar qui l’attend pour la prendre en charge. Alors qu’elle devait séjourner chez son amie Hamida, Hicham lui annonce qu’elle sera logée dans un bungalow loué pour la circonstance.

Une fois à l’intérieur de ce petit pied -à- terre au bord de la mer, il lui sert un jus d’orange au goût plutôt amer. Peu de temps après l’absorption du breuvage, Isabelle se sent engourdie.

Une femme entre alors dans le bungalow, tente de lui administrer une piqûre, mais Isabelle refuse. Sur ces entrefaites, arrive Kader, l’homme de main de cheb Mami. Ami de longue date du chanteur, il obéit au doigt et à l’œil.

C’est lui qui est chargé de la sale besogne. A bord d’un taxi, il embarque Isabelle, toujours engourdie, vers la villa du prince, sise sur les hauteurs d’Alger.

Isabelle est poussée dans une chambre de la belle demeure avant d’être jetée sur un matelas. Kader la harangue : « Tu as fait une faute ! ». Deux femmes d’une quarantaine d’années arrivent sur les lieux.

Elles lui enlèvent le pantalon et lui font trois piqûres dans les fesses pour provoquer les contractions. Ensuite, elle se mettent à l’œuvre. La première se met à califourchon sur le ventre d’Isabelle en appuyant fortement dessus, la deuxième farfouille dans le bas-ventre pour extraire le fœtus. A mains nues.

Pendant ce temps-là, Kader veille au bon déroulement de l’opération qui durera jusqu’au bout de la nuit. Le lendemain, Isabelle quitte la résidence de Mami à bord d’un taxi pour rejoindre à nouveau le bungalow.

En guise de conclusion, Kader lui lancera cet avertissement : « Si tu parles, on s’en prend à ta fille… ». Isabelle retourne à Paris. Avortement réussi ? Pas du tout !

Le 6 septembre, elle décide de consulter un gynécologue, le docteur Amiel qui lui annonce qu’elle est toujours enceinte. Comment ? C’est qu’en dépit du curetage sauvage pratiqué par les deux rebouteuses d’Alger, la poche des eaux n’a pas cédé et le bébé est donc intact.

Cependant, les traumatismes physiques et les retentissements psychologiques sont si importants que les médecins prescrivent à la jeune femme une ITT (interruption temporaire de travail) de 30 jours.

Que faire maintenant que l’avortement a échoué ? Oublier ce cauchemar en dissimulant au futur enfant l’identité de son père ? Contraindre ce dernier à reconnaître sa paternité par voie de justice ? L’obliger à payer un dédommagement financier et éviter ainsi la case justice ?

La justice entre en scène

Isabelle s’ouvre à son avocat qui lui déconseille de porter l’affaire en justice. En revanche, il préconise un protocole financier avec le père de son enfant.

L’accord porterait sur le versement par Mami de 30 000 euros ainsi que des excuses à son ex-compagne. Lorsque la star du raï est informée de cette proposition d’Isabelle, il demandera d’abord de nouvelles échographies pour s’assurer que son ex-compagne est toujours enceinte de lui.

l faut croire que Mami n’est pas homme à lâcher facilement prise. A tout prix, il veut empêcher la naissance de l’enfant. A son manager Michel Lévy, il dira un jour qu’il envisageait même d’enlever la fille aînée d’Isabelle, voire aussi cette dernière, car il dispose d’un « budget illimité pour cette affaire ».

Pour en finir, Mami propose un avortement dans une clinique anglaise. Il est même disposé à payer 100 000 euros pour cette opération. Isabelle refuse, bien sûr.

C’est alors que Michel Lévy conclura un début d’arrangement financier avec la victime. Il lui versera, avec le consentement du chanteur, un acompte de 5000 euros en attendant le reste des 30 000 euros promis.

Mais l’affaire n’en restera pas là car Isabelle continuera à recevoir des menaces de la part de Kader et de Mami.

Craignant pour sa vie, elle décide alors de porter plainte devant la justice française. Le 28 novembre 2005, un policier du commissariat de Saint-Denis enregistre sa plainte.

Au moment où l’officier prenait la déposition, le téléphone d’Isabelle sonne. Et qui est au bout du fil ? Mami en personne. Le policier consigne la conversation. Elle est compromettante pour le chanteur. Au bout du fil, Mami hurle : « C’est pas possible que ça ait raté (…). Le sang, je l’ai vu moi, le sang, je l’ai vu chez moi, ils t’ont gratté avec les doigts (…) J’ai vu faire, puis j’ai vu les contractions, j’étais là, j’ai vu le liquide sortir (…) T’as commencé à saigner on a rentré les cinq doigts, après ils m’ont apporté un truc qui ressemble à un foie ».

Coup de bluff ou pas, cette conversation figurera comme pièce à conviction. L’affaire se tasse. Le 4 mars 2006, Isabelle accouche par césarienne d’une petite fille. Les tests ADN effectués en comparaison des profils génétiques de l’enfant et de Cheb Mami établissent que ce dernier en est le géniteur à 99,99 %.

Ces tests sont également versés au dossier. Le 30 juin 2006, une information judiciaire est ouverte contre Cheb Mami pour « enlèvement et séquestration, violences volontaires aggravées, menaces visant une victime et administration de substances nuisibles sur personne vulnérable. » Un mandat d’arrêt est lancé contre lui.

Pendant ce temps-là, lui coule des jours tranquilles en Algérie. Homme d’affaires avisé, il gère son business très florissant dans le domaine de l’immobilier et dans l’agroalimentaire.

Un jour à Alger, un autre à Oran ou dans sa ville natale Saïda, il doit tout de même se rendre en France pour assurer la promotion de son nouvel album Layali dont la sortie est prévue pour novembre 2006.

Le 25 octobre, il débarque à Orly en provenance d’Alger. Aussitôt arrêté et placé en garde à vue, il sera incarcéré au quartier VIP de la prison de la Santé, dans la région parisienne, où il séjournera trois mois et demi avant de bénéficier d’une liberté provisoire après versement d’une caution de 200 000 euros.

Placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire français, Mami filera à l’anglaise en rejoignant clandestinement l’Algérie en mai 2007.

La justice française qui a lancé un mandat d’arrêt international contre lui a fini par le rattraper. Jeudi 2 juillet, on connaîtra peut-être toute la vérité sur cette affaire dont l’artiste ne sortira pas indemne.