Le Mondial des Fennecs et la vague de racisme anti-Algériens en France

Le Mondial des Fennecs et la vague de racisme anti-Algériens en France

007072014155550000000JA2791p048_1.jpgLes débordements de certains supporters de l’équipe d’Algérie pendant le Mondial de football ont suscité de nauséabondes réactions sur le thème de la binationalité. Et pas seulement dans la bouche de Marine Le Pen.

Porto Alegre, 30 juin. Plus le match avance, plus il devient évident que les Fennecs algériens ont les moyens de rééditer le retentissant exploit de leurs aînés, vainqueurs des Allemands lors du Mundial espagnol de 1982. Des deux côtés de la Méditerranée, supporters, commentateurs sportifs et responsables politiques se prennent à rêver – ou à cauchemarder. Et si la France affrontait l’Algérie, son ancienne colonie, en quarts de finale du Mondial brésilien, le 4 juillet ?

Finalement battus, de justesse, par les Allemands, les Verts n’ont pas rencontré les Bleus de Karim Benzema – né à Lyon d’un père kabyle et d’une mère oranaise. Tant pis ou tant mieux, tant il est évident que le passé tourmenté entre les deux nations continue de conditionner leurs relations, fussent-elles footballistiques. Près de 2 millions d’Algériens vivant en France, un match entre les deux pays aurait forcément pris un caractère passionnel. Voire explosif. Sur et en dehors du terrain.

Un gouffre sépare l’équipe algérienne d’aujourd’hui de sa lointaine devancière. En 1982, de ce côté de la Méditerranée, c’était encore le temps du socialisme et du parti unique. La grande majorité des internationaux sortait des centres de formation locaux et disputait le championnat amateur local. Bien sûr, de nombreux joueurs expatriés comme Mustapha Dahleb, Noureddine Kourichi, Faouzi Mansouri ou Djamel Zidane ont été appelés en sélection, mais les instances sportives et les autorités politiques mettaient un point d’honneur à promouvoir les compétences du cru. Globalement, la greffe entre amateurs et professionnels expatriés a bien pris, en dépit d’occasionnelles réactions de rejet, au sens chirurgical du terme, comme lors du Mundial mexicain, en 1986.

Sur les vingt-trois joueurs qui ont participé à l’aventure brésilienne, seize sont nés en France et huit ont joué avec les Bleus dans les équipes de jeunes.

Trois décennies plus tard, tout a changé. Sur les vingt-trois joueurs qui ont participé à l’aventure brésilienne, seize sont nés en France et huit ont joué avec les Bleus dans les équipes de jeunes. La Fédération algérienne de football (FAF) a beaucoup contribué à cette évolution par une intense campagne de lobbying auprès de la Fédération internationale de football association (Fifa), qui, en 2009, aboutit à une modification de la réglementation régissant le statut des binationaux.

Désormais, un joueur, quel que soit son âge, peut changer une fois d’équipe nationale à condition de n’avoir jamais joué de compétition avec l’équipe « A ».

« L’application des amendements […] a effectivement eu des retombées positives pour un grand nombre de pays, particulièrement africains, qui avaient préalablement subi de très grandes déperditions de talents », expliquait au quotidien Le Monde Mohamed Raouraoua, président de la FAF. Le résultat est que plusieurs Franco-Algériens qui avaient entamé leur carrière internationale sous le maillot de l’équipe de France espoirs ont finalement rejoint les Fennecs.

Un championnat local gangrené par la violence et la corruption

L’afflux de ces binationaux a suscité un flot de critiques. Les « zimmigrés » ne jouent pas « à l’algérienne »… Ils sont davantage motivés par le fric que par l’amour du maillot… Ils ne parlent ni l’arabe ni le kabyle et ignorent les paroles de Qassaman, l’hymne national… Ils empêchent les joueurs locaux d’émerger sur la scène internationale… Ces reproches sont assez largement injustes, mais… pas totalement infondés.

En règle générale, les binationaux mouillent vraiment le maillot et leur patriotisme ne peut raisonnablement être mis en doute. Mais leur arrivée en masse souligne en creux la faiblesse d’un championnat local gangrené par la violence et la corruption. Et la faillite des politiques sportives mises en oeuvre. Reste que les controverses qui font rage de part et d’autre de la Méditerranée sont quand même moins virulentes en Algérie qu’en France.

Une question d’une rare brutalité quant à la double nationalité

À Lyon, Marseille, Paris ou Roubaix, la qualification des Fennecs pour les huitièmes de finale du Mondial donne lieu de la part de certains supporters à de fâcheux débordements. Ce qui permet à un éditorialiste du Figaro de sortir l’artillerie lourde et de mettre dans le même sac casseurs et paisibles citoyens : « Leurs parents ayant refusé l’Algérie française, ils veulent la France algérienne. Leurs drapeaux brandis dans les rues expriment un refus du vivre-ensemble, voire une volonté de contre-colonisation. »

Dès le lendemain, Marine Le Pen, la présidente du Front national, prend le relais et réclame l’abrogation de la double nationalité et la fin de l’immigration. « Il faut dire les choses : l’Algérie est le seul pays posant problème, qu’il gagne ou qu’il perde », estime-t-elle, avant d’inviter Algériens et Marocains à choisir entre leur pays d’origine et la France. Dans la foulée, l’hebdomadaire Le Point pose sur son site internet une question d’une rare brutalité : « Faut-il retirer aux Français d’origine algérienne leur double nationalité ? » Plus de 80 % des internautes y répondent froidement : oui.

Devant le flot des protestations, le sondage, jugé « lamentable et consternant » par le directeur de l’hebdomadaire, est prestement retiré. Mais il donne une idée de l’ambiance générale. Nouveau rebondissement, le surlendemain. Maire UMP de Nice et, bien qu’il s’en défende, nostalgique de l’Algérie française, Christian Estrosi promulgue un arrêté municipal interdisant « l’utilisation ostentatoire de tous les drapeaux étrangers » dans le centre-ville jusqu’à la fin de la Coupe du monde. Le drapeau algérien n’est pas explicitement désigné, mais tout le monde a compris.

Ce débat autour du football, de la double nationalité et de l’immigration maghrébine, algérienne en particulier, est une rengaine reprise périodiquement à l’unisson par le parti de Jean-Marie Le Pen et la frange la plus dure de la droite. En novembre 2009, prenant prétexte – déjà ! – de débordements de supporters algériens fêtant bruyamment la qualification de l’Algérie pour le Mondial sud-africain, Marine Le Pen avait fustigé la double nationalité, qui freine selon elle l’assimilation des Maghrébins d’origine, et proposé de la réserver aux ressortissants des pays de l’Union européenne.

Marine Le Pen fustige la double nationalité, qui freine selon elle l’assimilation des Maghrébins d’origine.

Des députés UMP avaient alors rédigé un rapport parlementaire pour proposer sa suppression ou, du moins, sa limitation. L’initiative avait heureusement fait long feu. Maintenant que, couverts de gloire, les Fennecs sont rentrés à la maison, il est probable que cette poussée de fièvre xénophobe va retomber. Jusqu’à la prochaine fois.

Nationalité, mode d’emploi

Elle s’acquiert principalement par le droit du sol, par la naturalisation et par le mariage avec un Français. Le « droit du sang » prévoit qu’un enfant est français si au moins l’un de ses parents l’est aussi. Le « droit du sol » prévoit que, s’il est né en France de parents étrangers, il peut acquérir la nationalité de plein droit à l’âge de 18 ans. Une naturalisation, par décision de l’autorité publique, est accordée à un ressortissant étranger justifiant d’une résidence habituelle en France pendant les cinq années précédant le dépôt de sa demande.

Le mariage n’a pas d’effet automatique sur l’octroi de la nationalité. Celle-ci est assujettie à la durée du mariage (quatre ans), à la communauté de vie, à la maîtrise de la langue française et à l’absence de condamnation pénale. Le droit français autorise la double nationalité. Aucun texte n’exige d’un étranger devenu français qu’il renonce à sa nationalité d’origine.