Désespoir, détresse et deuil ,Confidences de harragas et leurs parents

Désespoir, détresse et deuil ,Confidences de harragas et leurs parents

ohtzcs.jpg«L’économie du pays est blessée, qu’elle crève !»

Haine n Mourad, un compagnon de circonstance à l’occasion de cette périlleuse odyssée, nous raconte pourquoi il s’entête à partir dans ce genre de navires poubelles après deux échecs consécutifs.

Ce jeune homme de 28 ans, à l’allure sportive est un invétéré de la «harga». Il veut finir de l’autre côté de la mer à n’importe quel prix. «Peu importe le lieu. En prison où dans une ville espagnole, l’essentiel est de ne plus revenir au pays», nous dit-il d’un air décontracté. Pourquoi ? «J’ai vécu le chômage depuis que j’ai quitté l’université, pas une seule journée de travail, si ce n’est le ‘’trabendo’’.

Même ça, on ne te laisse pas le faire tranquillement. La police te tarabuste à chaque coin de rue, tu ne peux rien faire de bon pour gagner honnêtement ta vie. Des demandes d’emplois et des CV, j’en ai adressé des milliers, jamais une réponse, même négative. J’ai déduit que personne ne s’intéresse à la jeunesse.

Mon avenir n’est malheureusement pas au bled, un pays pourtant riche. Lorsque tu parles avec des intellectuels rompus aux rouages du système, ils te disent : ça va venir, il faut y croire», nous dit-il, et de poursuivre : «Certains disent que l’économie de notre pays est blessée, c’est pour cela que le chômage augmente. Moi, je dis à ces apparatchiks, si l’économie est blessée, qu’elle crève. Je ne vais pas retenir ma respiration pour savoir si la reprise est pour bientôt. Si tu n’as pas l’argent, les connaissances et le pouvoir, tu ne peux malheureusement rien faire. Personne ne s’inquiète de l’avenir de la jeunesse, si ce n’est lors des campagnes électorales pour amadouer un électorat composé en majorité de jeunes.

Il n’y a que le président de la République qui comprend les jeunes, mais il y a ces apparatchiks qui détournent toutes les décisions prises en faveur de la jeunesse. Il ne peut hélas pas se trouver partout. Notre situation ne changera donc jamais», ajoute notre interlocuteur au bord de la colère. «J’ai ouvert les yeux dans un bidonville, j’ai grandi dans un bidonville et je n’ai pas envie de mourir dans un bidonville», ajoute-t-il. Comment s’est fait le contact avec ce groupe de passeurs et combien a-t-il déboursé ? Réticent au début, Mourad accepte sur insistance de notre part de raconter son aventure pour un voyage en mer. «Puisqu’il est devenu de plus en plus difficile de se procurer un visa avec les mesures mises en place par l’Union européenne, on se rabat sur ce genre de passeurs.

Ce sont des intermédiaires qui se sont occupés de tout. Le passeur, je ne l’ai vu qu’à l’embarquement», raconte-t-il. Selon lui, il a versé 300 000 dinars à un «rabatteur». On lui a demandé quelques heures avant le départ de s’habiller chaudement, de mettre un imperméable et de se munir d’une gourde d’eau et de provisions qui ne se faisandent pas. Son souhait ? «Arriver à bon port, trouver un emploi, même au noir.

Se marier avec une étrangère, sinon, se procurer de faux papiers».C’est sans pudeur aucune qu’il évoque ces perspectives, sachant que le pire est devant lui, aussi bien sur le plan moral que physique. Une chose est certaine, tôt ou tard, la terre natale lui fera signe de revenir. Il reviendra sans retrouver ses repères. Dommage.

Rabah Khazini