Ces professeurs prisonniers « politiques »

Ces professeurs prisonniers « politiques »

arton6929-6421c.jpgIls sont une dizaine à être encore détenus dans les prisons algériennes pour des affaires « politiques » liées à la décennie noire. Il s’agit de professeurs d’université qui sont détenus depuis plus de vingt ans dans divers établissements pénitentiaires algériens, après leur arrestation, entre 1992 et 1995, par les services de sécurité pour tentative de menace sur la sécurité publique ou de complot contre l’Etat.

C’était en pleine période de la décennie noire où le terrorisme exercé par des groupes armés, tels que les GIA, AIS et autre FIDA, avait atteint son apogée. Juste après la dissolution de l’ex-FIS, plus de 200 Algériens furent arrêtés par les services de sécurité pour plusieurs chefs d’accusation qui visaient la sécurité de l’Etat.

Parmi ces prisonniers qui campent à ce jour en prison figurent des professeurs d’université, des médecins et des militaires tous grades confondus qui furent arrêtés à cette époque pour tentative de complot contre l’Etat, menace sur la sécurité publique et tentative d’attentats.

Il y a plus de vingt ans, en 1992 plus précisément, pas moins de dix professeurs d’université ont été interpellés par les services de sécurité pour tentative de menace et de complot sur la sécurité de l’Etat, pour être jugés, par la suite, par des tribunaux spéciaux et militaires.

C’était juste après la dissolution du FIS et avant le début de la vague d’attentats terroristes qui avaient endeuillé le pays pendant dix ans. Les motifs de leur arrestation, c’est d’avoir fait sortir une ou deux capsules de fusil de chasse que certains de ces enseignants-chercheurs avaient transporté dans leurs véhicules.

D’autres ont été jugés par des tribunaux militaires et mis en prison pour leurs positions politiques vis-à-vis de la situation sécuritaire et politique qui prédominait sur la scène politique algérienne à cette époque. Depuis, ces professeurs d’université à l’instar des autres détenus, sont en prison après avoir été condamnés à la perpétuité pour certains et pour d’autres à la peine de mort par les tribunaux militaires et civils.

Aujourd’hui, après 22 ans, ces professeurs, certains dans un état de santé pitoyable, sont toujours en détention dans des prisons militaires, dans des pénitenciers civils, sans espoir de voir le bout du tunnel. Certains sont âgés de 86 ans, d’autres frôlent les 65 ans.

A cet âge très avancé il était question d’en finir avec leur incarcération. C’est du moins ce qu’espèrent beaucoup d’associations à l’image de la Coordination des détenus de la décennie noire (CDDN) présidée par Mustapha Ghazal. Un acte humanitaire, tout d’abord, voilà ce que tout le monde attend aujourd’hui de l’Etat.

Un geste qui aboutira à leur libération, c’est le souhait des familles des enseignants-chercheurs ainsi que des autres prisonniers politiques. En attendant, les 152 familles se demandent aujourd’hui quel est l’avenir de leurs proches. Les familles des détenus de la tragédie noire se sont posé plusieurs questions, elles qui ne veulent pas vivre le même scénario que les familles des disparus. Que deviennent-ils ?

Dans quelles conditions sont-ils détenus durant ces dizaines d’années ? Quelles étaient les réactions de leurs familles ? Et pourquoi l’Etat n’a pas libéré ces professeurs d’autant plus que les terroristes avaient bénéficié de la Charte de la réconciliation nationale alors qu’ils sont impliqués dans les massacres perpétrés durant la décennie noire ? Telles sont les questions qui dominent le quotidien des familles des détenus.

Farés Khelloufi, ex-détenu politique, raconte son séjour en prison

En prison depuis plus de vingt ans, Farés Khelloufi, relâché il y a trois ans suite à une grâce présidentielle, a côtoyé des dizaines de détenus de la décennie noire, y compris les prisonniers enseignants-chercheurs.

Il revient sur son long séjour passé aux côtés des professeurs qui, faut-il le souligner, sont transférés tous les six mois d’une prison à une autre et d’une wilaya à une autre.

C’est en pleurant à chaudes larmes qu’il témoigne des conditions difficiles de détention. Farés Khelloufi nous a relaté son histoire vécue avec les enseignants-chercheurs tout en insistant sur leur état de santé actuel. « J’ai vécu des moments très difficiles. Nous étions logés dans des cellules de quelques mètres carrés, et ce au nombre de quatre.

Durant mon séjour dans les prisons de Berrouaghia, El Harrach, Serkadji, Constantine et bien d’autres, j’ai fait la connaissance de nombreuses personnes qui avaient été incarcérées soit pour des motifs politiques, soit pour tentative de sortie de capsules pour fusil.

En plus des militaires, tous grades confondus, dont des capitaines, des colonels et des adjudants-chefs, il y avait aussi des professeurs d’université qui étaient mis en prison pour des raisons politiques. Je les ai tous côtoyés. Certains ont dépassé l’âge de 70 ans.

A mon arrivée à la prison de Constantine, j’ai vu comment des prisonniers utilisent des couches pour pouvoir faire leurs besoins. Ces images resteront gravées à jamais dans ma mémoire, car je ne pourrai jamais oublier les souffrances et les conditions de détention que j’ai vécu avec ces prisonniers politiques », raconte-t-il. L’ex-prisonnier de la tragédie noire ajoute que certains détenus souffrent de plusieurs maladies, comme le cancer qui a provoqué la mort de quelques prisonniers.

« J’ai passé plusieurs années dans les prisons et à chaque fois qu’on me transférait d’une prison à une autre je découvrais des détenus atteints par des maladies graves. Certes, les détenus malades avaient droit à des consultations et à un suivi des médecins qui sont mobilisés d’une manière occasionnelle dans les prisons », raconte-t-il.