La maladie du président de la République a donné lieu à des épanchements médiatiques rarement connus. Nul n’objectera le fait que la personnalité de Bouteflika, ès-qualité, attire plus qu’une autre l’attention, que la communication institutionnelle a péché, que la soif d’information des Algériens sur l’état de santé de leur Président les autorise à être demandeurs de nouvelles.
Cela fait partie du «jeu», et une personnalité publique est forcément plus exposée à la curiosité des médias. Mais, car il y a un mais, en l’espèce, le traitement médiatique de la question de la maladie du chef de l’Etat a été d’une tout autre veine. Dès l’annonce, par la voie institutionnelle faut-il le rappeler, de l’accident dont a été victime le Président, une formidable machine s’est ébranlée. Manipulation, intox, écrans de fumée, c’est toute la panoplie du parfait propagandiste qui a été hélée pour conditionner l’opinion publique.
La première étape a été d’instiller sur la pathologie qui a affecté le Président. A longueur de colonnes, des journalistes ont mis une blouse blanche et remis en cause, avec l’audace du bon nervi, le bulletin du Pr Bougherbal. Après ce conditionnement, il s’est agi de parasiter la communication publique, car contrairement à ce qui a été asséné avec force, jusqu’à en devenir un axiome irréfragable, ce rôle a été rempli.
Le médecin du Président, et des dizaines de responsables se sont relayés pour donner des informations sur l’évolution de l’état de santé du chef de l’Etat. S’il s’agit de faire une comptabilité dans ce genre d’affaire, il y a eu dix fois plus d’informations sur Bouteflika que sur n’importe quel chef d’Etat qui a eu à connaître un ennui de santé, qu’il s’agisse de Mitterrand, de Chirac, de Sarkozy, en leur temps, ou d’autres qui, d’ailleurs, sont toujours en soins dans la discrétion et le respect qui sied en pareille circonstance.
La troisième étape a consisté à remplir le vide ainsi créé par ces écrans de fumée qui ont pollué la communication officielle. Une nouvelle opération de com a été initiée, y compris avec des éléments de langage, et dont le paroxysme a été atteint par un journal algérien qui a annoncé que Bouteflika était dans le coma et qu’il avait été rapatrié sur Alger. Cette campagne orchestrée a fait oublier à la presse française les règles élémentaires du journalisme, et des titres comme Le Point, ont donné sans source ni recoupement un «bulletin de santé» sur commande. La campagne est montée crescendo jusqu’à attribuer à Enrico Macias des propos qu’il n’a jamais prononcés.
Un trublion inattendu a joué un rôle dans la partition. Benjamin Stora, le M. rewriter de l’histoire de l’Algérie, a apporté sa pierre à cette campagne d’intox. Etrange exercice pour un personnage qui n’est ni politique, ni médecin, mais qui excelle, il est vrai, dans sa tâche de révisionniste en chef de l’histoire de l’Algérie.
Cette campagne a commencé à s’étioler avec l’annonce par les autorités françaises de la sortie du président Bouteflika de l’hôpital pour une période de convalescence dans un établissement de la capitale française. Comportement atavique, complexe de colonisé ou nouveau cap, toujours est-il que des médias algériens ont immédiatement changé de cap. Il faut ouvrir ici une parenthèse pour dire que le même journal qui a donné le Président pour mort, qui bénéficie d’une aide directe substantielle des pouvoirs publics malgré son enracinement fantomatique, publie, toute honte bue, cette information sans se déjuger ou présenter des excuses à ses lecteurs, si tant est qu’il en ait.
La maladie du Président a conduit à des dérives graves et indécentes. Des chefs d’Etat comme Chirac, Clinton, Abdallah d’Arabie ou Jalal Talabani ont eu à se soigner ou sont en soins sans vol de vautours.
Cette trêve civilisationnelle dont bénéficie tout malade, le président Bouteflika ne l’a jamais eue. Faut-il que le personnage dérange à ce point ? L’acharnement médiatique est un mal insidieux dont on ne guérit jamais, et ceux qui en sont affectés ne sont pas à leur premier «fait d’armes».
Car rien n’aura été épargné à Bouteflika, et l’on se rappelle l’épisode où une rumeur folle mais entretenue avait donné pour mort son frère malade. Mustapha était apparu à la télévision pour démentir cette vile attaque. Il a depuis rejoint son Seigneur, mais ici bas la meute de chiens, elle, court toujours.
A. Mohamed