L’odyssée d’un jeune migrant qui voulait aller à l’école

L’odyssée d’un jeune migrant qui voulait aller à l’école

Depuis les années 90, la France assiste à la migration de mineurs étrangers arrivant seuls en France. Les jeunes migrants venus d’Afrique savent les conditions extrêmes de leur voyage. Leur route principale a convergé vers la Libye avec une étape incontournable celle de la traversée du Sahara, celle aussi de la rencontre avec des passeurs. Une fois arrivés en France, ces jeunes étrangers « sans-papiers » doivent prouver qu’ils sont mineurs afin d’obtenir un éventuel droit d’asile. Un autre parcours semé d’embûches.

Kadre Zeba a 15 ans lorsqu’il quitte son village natal, Samogoh au Burkina Faso. Il rêve d’un avenir différent de celui de ses parents cultivateurs, mais pour cela, il faut aller à l’école. Des kilomètres d’errance en perspective pour l’adolescent qui rêve d’user ses pantalons sur les bancs de l’école française. Entre peurs et espoirs, le regard d’un jeune exilé.

« J’ai grandi avec ma grand-mère. Mes parents ne vivaient pas ensemble, je ne sais pas pourquoi exactement. Il y a deux ans, j’ai demandé à ma grand-mère, pourquoi tous les enfants vont à l’école et pas moi ? Elle m’a dit :« si tu veux aller à l’école, tu dois demander à ta mère ». Je suis allée la voir au village de Samogoh où elle habite et lui ai posé la question. Elle m’a répondu qu’elle n’avait pas les moyens de me payer l’école voilà pourquoi, elle m’a laissé comme cela. Puis, elle m’a renvoyé vers mon père. Lui m’a dit: « si tu veux, tu peux cultiver la terre avec moi, mais je ne peux pas te payer l’école ! ». j’ai refusé et il s’en est pris à moi violemment.

C’est comme cela que je suis sorti de chez moi, sans les prévenir. Ce n’était plus la peine de vivre avec eux. Il valait mieux pour moi et pour eux que je parte. Moi, je veux aller à l’école pour apprendre autre chose…

Alors, j’ai pris l’argent de ma mère 60 000 Francs CFA ( environ 91 €) et je suis parti. C’était en 2015, j’avais 15 ans. Sur la route, j’ai trouvé un taxi-bus et je l’ai pris. Il y avait un groupe de personnes plus âgées que moi, que je ne connaissais pas, qui parlait la même langue que la mienne. Il partait travailler en Libye. J’ai décidé de faire le voyage avec eux. Puis on est arrivé à la frontière du Niger. Il a fallu prendre un autre bus, un gros bus comme une benne, il transportait des gens et aussi des marchandises. Il avait l’habitude de traverser le sable du Sahara.

J’étais toujours avec le groupe, mais je savais que je ne pouvais pas compter sur ces gens. Il n’y avait pas de solidarité entre-nous, chacun payait sa traversée, son manger… on a voyagé comme cela, une semaine jusqu’en Libye et puis on s’est séparé. J’ai appris plus tard qu’ils étaient encore là-bas.

Moi, je n’avais plus d’argent. J’ai cherché alors du travail en Libye. J’ai trouvé un emploi dans un atelier de voiture chez Carglass pendant 8 mois, je dormais dans une des habitations de mon patron, elles étaient situées sur la grande route qui mène vers la Tunisie.

C’était difficile de rester dans ce pays, je ne pouvais pas faire ce que je voulais, je ne comprenais pas la langue arabe. Je n’avais jamais entendu parler l’arabe avant de venir ici, et puis petit à petit j’ai commencé à apprendre quelques mots. J’ai beaucoup réfléchi sur la façon dont je me suis sauvé du village, mais je me suis dit que je ne pouvais plus retourner en arrière, c’était dur. Et puis, je ne pouvais plus rester en Libye, alors, j’ai encore pris la décision de partir. Je ne savais pas vers quel endroit. C’est un Libyen qui m’a mis en contact avec quelqu’un qui pousse les gens à partir. Un passeur.

Le passeur m’a dit que je pouvais rejoindre l’Italie. Il m’a dit que je partirais sur un gros bateau. Mais après lui avoir donné l’argent j’ai vu que c’était un petit bateau. Il m’a dit que la police surveillait les gros bateaux, et puis de toute façon quand tu arrives au bord de l’eau, tu ne peux plus faire marche arrière, tu es obligé de partir, car je savais que le passeur pouvait me dénoncer à la police. Alors, j’ai payé 700 $, l’argent que j’avais gagné en travaillant.

Un vendredi soir, vers 23 h, je suis monté dans ce petit bateau. Il y avait beaucoup de monde dans ce petit bateau pour traverser la Méditerranée. Sur l’instant, je n’ai pas eu de peur, il faisait nuit, on ne voyait rien… et puis le jour s’est levé, on était arrivé dans les eaux internationales, et là j’ai eu peur. Quelqu’un a appelé le numéro de la Croix-Rouge. On nous a répondu qu’un bateau de secours serait là dans une trentaine de minutes. Une demi-heure après, il n’y avait rien, pas de bateau, que de l’eau et nous on croyait que la Croix-Rouge ne viendrait pas, nous-mêmes on ne savait pas comment faire maintenant, on ne pouvait plus retourner en Libye et on ne savait pas où aller là comme cela dans la mer… c’est cela qui m’a fait peur, vraiment peur.

Le bateau de sauvetage de la Croix-Rouge est arrivé et nous a pris en charge toute la nuit suivante. Nous avons accosté en Sicile le dimanche vers 13h30. Quand on a débarqué en Italie, on nous a tous fouillés puis on nous a emmenés dans un grand camp de réfugiés. Là, il a fallu remplir des documents, donner son nom, son âge…

La Croix-Rouge nous a donné du savon, de la nourriture… Je suis resté dans ce camp, pendant deux semaines. Il y avait beaucoup de monde !

Puis les services sociaux italiens m’ont transféré à Milan. j’ai dormi une nuit. Ensuite vers Turin où je suis resté trois mois. Comme j’étais mineur, les associations d’aide m’ont demandé ce que je voulais faire. J’ai dit que je voulais aller à l’école française, elles m’ont répondu qu’il n’y avait pas d’école française, ici.

J’ai su alors qu’il fallait encore partir. J’ai pris la décision et je suis parti à Nice. J’y suis arrivé de nuit. j’ai dormi dehors. Une personne de l’association Habitat Citoyenneté est venue me voir. Elle m’a aidé, elle m’a logé et donné de la nourriture. Je suis resté trois semaines. je leur ai dit que je voulais aller à l’école. L’association a alors cherché un foyer pour me loger et une école, mais il n’y avait pas de place dans les foyers… Alors je leur ai dit que j’irai à Paris, l’association m’a donné des documents pour expliquer ma situation, c’était écrit : « Aboukader Zeba est mineur, il vient du Burkina Faso, il est passé dans notre association, il doit se rendre à Paris… »

J’ai pris le train pour Paris. Je suis arrivé la nuit à la gare de Lyon. Au petit matin, j’ai demandé aux gens où je pouvais trouver un foyer, certains passaient sans me répondre, d’autres me répondaient… J’ai marché longtemps et demandé encore aux gens, jusqu’à ce que j’arrive à la gare Montparnasse. Á ce moment, il y a une dame qui arrivait de Nantes, elle m’a conseillé d’aller plutôt dans cette ville où il y aurait des foyers pour m’héberger, parce qu’à Paris, c’était difficile d’espérer trouver une place. Elle m’a montré ce train-là et je suis arrivé à la gare de Nantes, le 21 novembre 2016.

J’étais là devant le château de Nantes, je ne savais pas où aller, j’ai encore demandé aux gens qui passaient, et une dame m’a accompagné vers une association d’aide aux migrants. Tout de suite, j’ai été pris en charge, je dormais dans un hôtel, avec une carte d’alimentation et de transport jusqu’à il y a quelques mois. Des juges ont dit que je n’étais pas mineur. alors l’association m’a demandé de signer des documents qui disaient que je n’étais pas mineur, je ne peux pas signer ce qui est faux. Alors mon avocat a dit qu’il fallait que je rapporte un dossier avec mon acte de naissance et les papiers de mes parents… j’ai appelé ma maman…

Elle pleurait, elle m’a dit, comment j’ai pu quitter le pays, elle avait peur, elle a entendu beaucoup de choses des gens qui partent et puis on n’a plus de nouvelles…

Quand j’ai quitté la maison, je ne savais pas que j’allais partir loin pour arriver ici…

Moi, j’ai envie de rester en France. Je ne veux plus partir encore… Quand les juges verront avec mes papiers que je suis mineur, alors la première chose que je vais faire, c’est aller à l’école… »

Samira Houari