Le mouton envahit les artères de la capitale: Le grand souk est ouvert

Le mouton envahit les artères de la capitale: Le grand souk est ouvert

La pratique illégale du commerce de bétail est, depuis quelques jours, visible des fenêtres du palais du Gouvernement et de celles des ministères ou des plus hautes institutions sécuritaires. Le mouton a envahi les artères de la capitale du pays. Certaines rues des quartiers populaires d’Alger sont transformées en brousse.

En effet, jusque tard dans la journée qui précède celle de l’Aïd el-Adha, l’Algérie devient un souk national de vente de bestiaux, de foin, d’orge, de longueurs de corde, de couteaux et de haches. Le jour de cette fête abrahamique, le territoire national se transforme en un gigantesque abattoir à ciel ouvert, et ce, au mépris des règles élémentaires d’hygiène publique. Au pied de certains immeubles, des flaques de sang feront le bonheur des mouches pendant plusieurs jours.

Des millions de peaux seront jetées, pour devenir sources d’odeurs nauséabondes. Et les urgences des hôpitaux auront fort à faire. C’est certes pittoresque, parce que c’est une tradition et un acte religieux — pas obligatoire — qui sont célébrés mais c’est aussi pathétique. Et pour cause, cette situation d’anarchie est révélatrice de la pensée archaïque dominante dans le pays. Plus grave, cette situation est révélatrice de l’absence de l’autorité régulatrice de l’Etat en matière de règles d’hygiène et d’activités commerciales. On commerce illégalement sur tout le territoire de l’Etat.

Les grandes agglomérations deviennent de grandes dechras comme avant la colonisation. Ces pratiques ne s’embarrassent pas de l’urbanisation et de la modernisation des villes. Le mouton voyagera, certainement, dans le métro.

De la saleté pour la collectivité et des milliards pour les spéculateurs

Selon Bouzid Salmi, chargé de la communication auprès de la Fédération nationale des éleveurs, environ 4 millions de moutons seront sacrifiés le jour de l’Aïd. Donc autant de têtes vendues. Au prix moyen de 40 000 dinars l’unité, cela fait un chiffre d’affaires de 160 milliards de dinars (1 600 000 000 000 centimes), peut-être beaucoup plus, qui échappe totalement au contrôle fiscal.

Les quelques dizaines de spéculateurs qui contrôlent ce marché, lesquels, dans un Etat qui ne badine pas avec la loi, tombent sous l’article 14 de la loi 04/08 fixant les règles applicables aux pratiques commerciales qui stipule qu’«il est interdit à toute personne d’exercer des activités commerciales sans qu’elle ait la qualité définie par les lois en vigueur». Ces derniers regroupés en bandes organisées empochent en toute illégalité jusqu’à 64 milliards de dinars en une période très courte mais très juteuse pour eux. D’après les dires du représentant des éleveurs, «lorsqu’un éleveur s’aventure à vendre lui-même ses bêtes, ces spéculateurs lui créent des problèmes pour l’en empêcher».

Ces spéculateurs gagnent, selon ce responsable, entre 8 000 et

16 000 dinars par tête sans payer un centime au fisc ou aux collectivités locales qui ont la charge du nettoyage des villes. Très rares sont, en effet, les communes qui tentent d’organiser ce commerce fort juteux.

Au niveau du contrôle sanitaire, les pouvoirs publics sont défaillants et endossent l’entière responsabilité aux termes de la loi n°88-08 du 26 janvier 1988 relative aux activités de médecine vétérinaire et à la protection de la santé animale. L’article 7 de cette loi énonce : «L’autorité vétérinaire nationale exerce des pouvoirs d’inspection pour déterminer les mesures indispensables à la mise en œuvre de la présente loi et des textes pris pour son application.

Ces inspections vétérinaires concernent notamment : les animaux domestiques de toutes espèces, sédentaires ou transhumants, leurs rassemblements en foires et marchés, leurs déplacements, y compris les moyens de transport ainsi que la faune sauvage et les poissons susceptibles de transmettre les maladies à l’homme.»

Des wilayas pondent des communiqués pour annoncer le nombre de vétérinaires mobilisés mais qui ne feront rien. Au départ, les vendeurs de moutons sont dans l’illégalité. Contrôler leurs cheptels revient à le cautionner. De plus, que fera un fonctionnaire isolé et sans protection sécuritaire contre un spéculateur qui détient des milliards ? L’année passée, il y avait bien des vétérinaires sur le terrain, mais un grand nombre de citoyens ont acheté le mouton dont la viande s’est avérée dangereuse pour la santé.

Les ministères de l’Agriculture et du Commerce sourds à l’appel des éleveurs

Pourtant, la solution bénéfique pour les collectivités locales, les éleveurs, et surtout pour les citoyens-consommateurs, existe mais ni le ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche ni celui du Commerce à qui échoit ce dossier n’ont daigné bouger pour le prendre en charge.

Les éleveurs ont bel et bien lancé un appel le 6 de ce mois. Lors de la conférence de presse organisée au siège de l’Association nationale des commerçants et artisans (Anca), Bouzid Salmi, chargé de la communication au niveau de la Fédération nationale des éleveurs, a supplié ces deux départements pour intervenir.

L’appel a été relayé par tous les médias mais il est parti avec le vent. «Les éleveurs sont prêts à venir en nombre pour s’installer aux alentours des grandes villes afin de vendre leurs bêtes directement au citoyen. Ce dernier achètera en toute sécurité son mouton et économisera entre

8 000 et 16 000 dinars. Les éleveurs détiennent en ce moment entre 27 et 30 millions de têtes. Nous demandons seulement de nous désigner des endroits appropriés où ne seront admis que les éleveurs. Ces endroits bien distincts faciliteront le travail des vétérinaires. En plus, nous demandons un minimum de sécurité pour les éleveurs qui encaissent des montants importants», disait ce responsable qui rappela, en outre, que l’expérience a été réalisée avec succès en 2015.

Abachi L.