Laveurs de pare-brise, ramasseurs de ferraille, gardiens de voitures…”Ces enfants travailleurs en danger”

Laveurs de pare-brise, ramasseurs de ferraille, gardiens de voitures…”Ces enfants travailleurs en danger”

Depuis quelques mois, les laveurs de pare-brise ont fait leur apparition à Oran, notamment dans le quartier des Castors, connu pour ses enfants revendeurs de papiers-mouchoirs.

Âgés de 6 à 13 ans, ces enfants nettoyeurs de pare-brise se retrouvent près des feux tricolores du rond-point des Castors avant de se ruer sur les voitures dès que le feu vire au rouge. Mais, la plupart du temps, ils se font gentiment repousser par les automobilistes. Et dès que le feu revient au vert, ils s’agglutinent près de l’un des bosquets en attendant une prochaine tentative. Pourtant, la tâche ne rapporte pas gros : “Tu me donnes ce que tu veux…”, chuinte un gamin dont les dents définitives n’ont pas encore poussé.

“Ne nous met pas sur Facebook”

Vêtus de vêtements sales, mal ou pas du tout lavés, ces enfants semblent réfractaires à toute approche. “Ne nous prends pas en photo. Tu vas les mettre sur Facebook et les gens vont se moquer de nous !”, s’énerve un gamin, pulvérisateur d’eau et raclette à la main. Le petit sera très vite rejoint par un groupe d’enfants, divers ustensiles de nettoyage de pare-brise de voiture entre les mains, manifestement inquiets à l’idée d’atterrir sur les réseaux sociaux. “Si tu as pris des photos, efface-les. Pas question de se retrouver sur internet”, ordonne avec hargne un autre garçon qui ne doit pas avoir plus de dix ans. Pour les laveurs de pare-brise d’Oran, habitant les quartiers pauvres, notamment El- Hassi, nettoyer les voitures n’est pas une honte mais pas question de se retrouver sur le net… ou ailleurs. Du matin à l’après-midi, ces six enfants restent à l’affût des voitures qui passent  mais très rares sont les automobilistes qui acceptent leurs services. “Cela me fait mal de les voir ainsi et je me demande ce que fabriquent les autorités locales, les associations et la société civile pour réagir. C’est une autre manifestation de la dégradation du tissu social”, déplore un automobiliste en repoussant les offres de services d’un gamin.

Échec scolaire et absence de perspectives

Si, comme l’affirment les plus hautes autorités de l’État, le travail des enfants en Algérie reste “marginal et insignifiant”, ses manifestations se multiplient à Oran, ce qui ne prête guère à l’optimisme dans un pays où la déperdition scolaire annuelle est évaluée à près de 500 000 élèves, et qui n’arrive toujours pas à offrir des alternatives à même de la résorber. Après les enfants ramasseurs de plastique et de ferraille, les enfants vendeurs de pain fait maison sur les routes et autoroutes, les enfants revendeurs de papier mouchoir, les enfants gardiens de voitures… voici venu le temps des enfants laveurs de pare-brise qui passent des heures sous un soleil de plomb et le regard indifférent des passants.Pour Mohand Ameziane Fedala, responsable de la Direction de l’Action Sociale (DAS), la situation n’est pas aussi critique que l’on pourrait le croire : “Ce ne sont là que des travailleurs saisonniers, qui profitent de la période des vacances pour se faire un peu d’argent de poche. Autrement, si cela avait cours pendant la saison scolaire, nous interviendrions”. Ce “nous” englobe aussi bien ses services que ceux de la Sûreté de wilaya ou de la gendarmerie  qui doivent réagir dès qu’un enfant est en danger moral ou physique. “Mais aussi, et surtout, les parents qui sont les premiers responsables de leurs enfants. Simplement, si vous interpellez un père sur la situation de son enfant mineur, il vous répondra qu’il préfère voir son fils laver des vitres que fumer de l’herbe ou entrer dans la délinquance”, ajoute M. A. Fedala, rejoignant ainsi Mme Ilhem Wahrani, présidente d’une association de protection des enfants: “Il est vrai que nous sommes tous concernés par la situation de ces enfants mais les parents sont les premiers responsables. C’est à eux qu’incombe la mission de garantir un environnement sain, favorable au développement de leurs enfants”.

Les parents, encore et toujours

Sauf que dans le cas des enfants qui nous concernent, les tuteurs sont souvent dans l’incapacité d’assurer cet environnement. Vivant généralement dans des conditions précaires, dans des quartiers réputés pour leur forte délinquance (comme El-Hassi et Sidi El-Bachir) ou dans des localités dépourvues de tout, ces parents n’ont presque rien à offrir à leurs enfants. Et ce sont ceux-ci qui doivent, par conséquent, intégrer prématurément le monde du travail au noir pour tenter de subvenir à leurs propres besoins à défaut de nourrir les leurs.

Ce qui, étant donné la dégradation du tissu social, la démission des adultes et la prolifération des fléaux, les met dans une situation de danger réel ; la chronique judiciaire des dernières années nous a démontré que la drogue, le vol et la prostitution n’étaient jamais loin des mineurs non surveillés. Pour l’année dernière, les chiffres officiels indiquent que 1 205 dossiers d’enfants délinquants ont été traités à Oran, dont plus de 200 pour vol et violences avec armes, 117 pour coups et blessures volontaires, une cinquantaine pour port d’armes prohibées et 37 pour constitution d’associations de malfaiteurs.

De l’application de la loi

Pourtant, des textes de loi, des instances dédiées à la protection des enfants et des protocoles existent en Algérie et tout le monde s’accorde à dire que la législation “protège” suffisamment les mineurs. “Lorsqu’il est établi qu’un enfant est en danger moral ou physique, les autorités concernées (police, gendarmerie, DAS, Inspection de travail…) interviennent pour le remettre à ses parents. Et quand il s’avère que l’environnement familial n’est pas favorable à l’épanouissement de l’enfant, la justice intervient pour le placement du mineur dans une structure d’accueil de la DAS”, explique encore Mohand Ameziane Fedala, peu enclin à livrer la situation chiffrée de cette enfance en difficulté à Oran. “Ce sont des dossiers traités par la justice”, justifie-t-il. Pourtant, à voir l’ampleur prise ces dernières années par le travail des mineurs, il apparaît que les structures de protection de l’enfance sont loin de maîtriser la situation et d’appliquer les lois. La législation de protection de l’enfance est claire : est considéré comme un enfant en danger “tout enfant dont la santé, la moralité, l’éducation ou la sécurité sont en danger ou susceptibles de l’être ou dont les conditions de vie, ou le comportement sont susceptibles de l’exposer à un danger éventuel ou compromettant son avenir, ou dont l’environnement expose son bien-être physique, psychologique ou éducatif au danger”, définit un des articles de loi 15-12 du 15 juillet 2015 qui prévoit l’intervention immédiate des autorités compétentes lorsque le fait est constaté. Or, l’enfant ramasseur de plastique et de ferraille, le vendeur de pain sur les routes, le gardien de voiture ou encore le laveur de pare-brise correspond exactement au profil de l’enfant en danger mais ne fait l’objet d’aucune espèce d’intérêt de la part des instances chargées de le protéger. Et cela s’appelle tout simplement non-assistance à personne en danger.

S. O-A.