Jean-Michel Baylet à “Liberté” :“La mécanique de la relation France-Algérie est loin d’être grippée”

Jean-Michel Baylet à “Liberté” :“La mécanique de la relation France-Algérie est loin d’être grippée”

d-la-mecanique-de-la-relation-france-algerie-est-loin-detre-grippee-5611b.jpgLe ministre français de l’Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales est attendu aujourd’hui à Alger.

Liberté : La troisième rencontre franco-algérienne des maires et des présidents des collectivités locales se tient 12 ans après la précédente organisée en 2004. Qu’est-ce qui explique ce long retard ? Les raisons sont-elles politiques ?

Jean-Michel Baylet : Vous avez tout à fait raison de vous interroger sur le délai écoulé depuis les deuxièmes rencontres territoriales à Paris. Permettez-moi un bref rappel sur la coopération décentralisée entre la France et l’Algérie. Cette forme de coopération a émergé dans les années 1980, puis il y a eu la décennie noire, tragédie dont l’Algérie et ses collectivités locales ont su se relever avec beaucoup de courage et de détermination et au sortir desquelles les premières rencontres franco-algériennes (à Alger en 1999) ont permis de donner un nouvel élan. Entre 1999 et 2007, cette coopération a été particulièrement fructueuse grâce à la conjonction de plusieurs facteurs : la quasi-concordance des mandats des maires français (2001-2008) et algériens (2002-2007), l’émergence en 2002 d’une génération de maires algériens accordant à cette coopération une grande importance, le succès de l’année de l’Algérie en France (2003). Mais, depuis 2004, pour diverses raisons, cette coopération a perdu en intensité, sans qu’il soit possible d’identifier une cause précise.

C’est la raison pour laquelle, dans le contexte de la reprise exceptionnelle de nos relations depuis la visite d’État du président de la République en décembre 2012, il convenait de réunir à nouveau les élus et les acteurs locaux des deux rives.

Des projets de coopération ont été mis en place entre les collectivités locales depuis la première rencontre qui date de 1999. Beaucoup n’ont pas abouti, surtout dans le domaine économique. Quels sont les facteurs de blocage ?

Avant de parler des projets qui n’aboutissent pas, regardons ceux qui avancent et les acteurs qui sont mobilisés dans ce but ! C’est d’abord ce message que je veux porter. En effet, la coopération décentralisée est parfois moins “visible” que d’autres car elle est portée par une multitude d’acteurs : les élus bien sûr, mais aussi, dans leur sillage, des acteurs économiques de terrain et des associations qui seront d’ailleurs présentes lors de ces journées. En février dernier, quand Paris a apporté son expertise pour le développement urbain d’Alger et quand Bordeaux a signé un accord avec Oran sur la coopération hôtelière, ou quand le président de la Communauté urbaine de Lyon s’est rendu en Algérie en octobre 2015 avec une délégation d’investisseurs et d’universitaires, c’était bien de projets économiques dont il était question. La coopération décentralisée favorise les rencontres entre tous les acteurs du développement économique : c’est un travail de proximité dont les résultats ne font pas toujours l’objet de grandes déclarations mais qui sont bien réels.

Un seul projet de partenariat décentralisé semble tenir le cap. Il lie les villes de Paris et d’Alger. Comment faire pour que cette expérience soit élargie à d’autres villes des deux côtés de la Méditerranée ?

D’autres coopérations fonctionnent bien, et je fais référence aux partenariats entre Lyon et Sétif, entre Bordeaux et Oran mais aussi, à moindre échelle, entre La Roche-sur-Yon et Tizi Ouzou ou entre Constantine et Grenoble. Vous avez toutefois raison sur un point : ces partenariats gagnent en intensité lorsqu’ils s’inscrivent dans des ensembles plus vastes, celui de l’espace francophone – avec l’Association internationale des maires francophones — ou de l’espace euroméditerranéen. Agnès Rampal, vice-présidente Euroméditerranée du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui participera à ces rencontres, peut d’ailleurs témoigner de la réalité de cette dernière dimension.

L’expertise française est attendue dans des domaines assez précis comme le développement territorial et industriel, la fiscalité locale, l’entretien du patrimoine bâti, ainsi que le développement du tissu PME. Comment cela va-t-il se matérialiser ?

Je ne voudrais pas brûler la politesse aux élus et acteurs du développement territorial qui vont justement débattre de ces sujets ces deux prochains jours. Je vous invite à suivre ces travaux et à en écouter les conclusions. Je ne doute pas que des résultats concrets et des projets ambitieux seront annoncés.

Des accords seront-ils signés en marge de la rencontre d’Alger ?

Ces rencontres donneront lieu à l’établissement d’une feuille de route qui fixera les orientations et les nouveaux champs de coopération entre les collectivités territoriales de nos deux pays.

Certains projets sont d’ailleurs en bonne voie. Il y a deux semaines, une délégation de la ville de Marseille conduite par Jean Roatta, maire-adjoint chargé de la coopération internationale, s’est rendu à Alger dans le but de faire avancer le projet de rénovation des arcades du port d’Alger. Cette action de coopération intéresse particulièrement le wali, et la création d’une société d’économie mixte algéro-française dédiée à ce projet est d’ores et déjà envisagée.

Votre séjour à Alger intervient quelques semaines après la tenue de la troisième session du haut comité mixte algéro-français, émaillé par des malentendus politiques. Ces malentendus sont-ils dissipés depuis ?

La relation entre nos deux pays n’a jamais été aussi bonne. Les difficultés auxquelles vous faites référence existent, mais elles sont conjoncturelles, passagères et surtout elles ne reflètent pas le fond des choses qui reste très satisfaisant et qui résulte de la volonté historique des plus hautes autorités algériennes et françaises de construire un lien fort et privilégié entre nos deux pays. Notre relation bilatérale continue, en effet, de progresser dans tous les domaines. Le nombre de visas délivrés est, par exemple, passé de 200 000 en 2012 à plus de 400 000 en 2015. Notre coopération pour la formation des jeunes permet de répondre aux attentes du marché algérien de l’emploi par la création de centres d’excellence (comme celui de Schneider Electric) ou d’Instituts de technologie (formation de cadres intermédiaires). En 2015, les visas d’études ont augmenté de 58% et plus de 5 600 étudiants ont rejoint les établissements d’enseignement supérieur français dans le cadre d’une mobilité. Et enfin, notre coopération décentralisée, qui justifie aujourd’hui mon déplacement à Alger, connaît un net renforcement comme en témoignent les visites récentes de grands élus, mais aussi les initiatives d’acteurs de taille plus modeste mais dont le rôle est crucial pour raffermir nos liens. Vous voyez que les exemples ne manquent pas, et que la mécanique de la relation franco-algérienne est loin d’être grippée !