Ils partent travailler en Algérie, à Dubaï et en Angleterre – Emploi en France : des Franco-Algériens fuient la discrimination

Ils partent travailler en Algérie, à Dubaï et en Angleterre – Emploi en France : des Franco-Algériens fuient la discrimination

Un rapport commandé par le ministère du Travail vient de révéler qu’une entreprise française sur trois refuse d’employer des diplômés maghrébins. Les cadres déjà en poste sont victimes, quant à eux, du plafond de verre.

Il y avait foule au Salon du recrutement organisé le 10 décembre dernier, par le cabinet International Talent Network, dans les locaux de l’École supérieure du commerce (ESCP Paris). Un peu moins d’un millier de candidats ont fait le déplacement. La plupart sont de jeunes franco-algériens, en quête de nouvelles perspectives professionnelles, sur l’autre rive de la Méditerranée. Dans le lot, on comptait de nombreux parisiens et des provinciaux, qui se sont informés de la tenue du salon, par le biais de relais associatifs, comme l’Ecaf (Étudiants et cadres algériens de France).

Selon l’organisatrice, Amina Kara, l’affluence a été exceptionnellement importante cette année en comparaison avec les trois éditions précédentes. “Les profils sont différents. Beaucoup sont des primo-demandeurs d’emploi alors que d’autres sont des cadres confirmés. On aurait pu comprendre que les détenteurs de CDI (un sésame en Hexagone) ne soient pas intéressés par une carrière en Algérie. Mais ce n’est pas vrai”, révèle la directrice d’International Talent Network. Elle cite le cas d’une jeune fille, employée depuis deux ans dans une grande société de consulting parisienne. Avec ses diplômes pour bagage, elle envisage de tenter la traversée et une nouvelle aventure professionnelle, à Alger, la ville natale de ses parents. “Au-delà de la sécurité de l’emploi, elle veut surtout évoluer dans son métier et contourner les obstacles qui freinent actuellement la réalisation de ses ambitions”, explique Amina Kara.

Elle-même avoue avoir été victime du plafond de verre lorsqu’elle était employée chez Airbus, en France. Sa carrière dans la communication a pris son envol uniquement lorsqu’elle a été mutée en Allemagne.

Outre-Rhin, ses supérieurs n’ont pas fait peser ses origines maghrébines dans la balance avant de lui confier le poste de communication manager, dans une grande filiale d’ingénierie qui compte 600 salariés. Amir, diplômé en finances à Paris, a vu toutes les portes s’ouvrir aussi, lorsqu’il a traversé la Manche en 2013, direction la City de Londres. Son nom n’a pas fait entrave à son recrutement dans une société de courtage. Les qualifications contenues dans son CV, ont amplement suffi à faire valider sa candidature. Quand il peut, le jeune homme revient dans la banlieue parisienne voir ses parents. Mais un retour définitif en France ne le tente pas du tout. “J’ai l’impression que la situation empire. Le racisme est plus apparent”, dit-il.

Son constat vient d’ailleurs d’être confirmé par les résultats d’une enquête commandée par le ministère du Travail sur “les discriminations à l’embauche selon les origines”. Des tests effectués sur une quarantaine de grandes entreprises il y a quelques mois, ont révélé qu’un tiers rejette, lors des opérations de recrutement, les profils maghrébins, en se basant uniquement sur leurs noms. Hélas, ce n’est pas la première fois que ce genre de conclusion est avancé. En mars dernier, l’Institut national des études démographiques (Ined) affirmait que le chômage touchait plus particulièrement les descendants d’immigrés maghrébins.

Cette situation est illustrée par le cas particulier, d’une jeune ingénieure d’origine algérienne, qui a défrayé la chronique, il y a quelque temps, en décidant d’attaquer aux prudhommes (juridiction spécialisée dans les contentieux professionnels), l’électricien Edef pour avoir refusé de la recruter, alors que ses compétences correspondaient parfaitement au poste proposé. Dans une émission de la chaîne Arte, Bouchra Azouz, présidente de l’association Ateliers du féminisme populaire, vient de révéler que son frère aîné, docteur en physique, n’a pas trouvé d’emploi en France alors qu’un laboratoire américain a donné son nom à un procédé qu’il a lui-même élaboré. Pour lutter contre la ségrégation des maghrébins à l’embauche, le gouvernement français a, par le passé, suggéré des solutions, comme le CV anonyme. Mais ses démarches sont restées infructueuses. Le climat d’islamophobie qui s’est emparé du pays, à la suite des différents attentats djihadistes, compromet davantage l’arrivée des enfants d’immigrés sur le marché de l’emploi.

Ceux qui ont finalement trouvé du travail ne sont pas toujours plus heureux. “Il y a beaucoup de mal être”, insiste Amina Kara, en donnant l’exemple de ce directeur de communication digitale franco-algérien qui souhaite tout quitter pour aller travailler en Algérie.

Dans le pays de leurs parents ou de leurs grands-parents, les candidats à l’exode professionnel espèrent tout bonnement se fondre dans la masse et ne plus devoir subir, quelquefois au quotidien, des regards de plus en plus pesants. “Il y a certes beaucoup moins de loisirs en Algérie. Mais ceux qui y sont n’ont pas à se plaindre. Encore très jeunes, des cadres expatriés peuvent prétendre à des salaires qu’ils n’auraient jamais eus à leur âge, en France. Ils ont en outre la chance de voir leur carrière évoluer très rapidement”, explique la patronne d’International Talent Network. Pour les mêmes motifs ou presque, d’autres Franco-Algériens ont choisi de s’exiler dans les pays du Golfe, plus précisément à Dubai, le nouvel eldorado des expatriés du monde entier.

Vus comme des enfants d’immigrés en France, les jeunes Franco-Algériens ambitionnent d’être, une fois sur place, les ambassadeurs de la French Touch. Raya, une jeune diplômée en langue anglaise qui a choisi de porter le voile, pense sérieusement à franchir le pas, en dépit de l’hésitation de ses parents. “Là-bas au moins, j’aurai la possibilité d’afficher ma croyance sans avoir peur d’être traitée d’extrémiste”, confie la jeune fille. Comme d’autres candidats, elle aspire aussi à gagner beaucoup d’argent. Mais est-ce toujours le cas ? Selon Amina Kara, Dubai est un prisme de paillettes qui attire les jeunes Maghrébins et les déçoit. “Les conditions d’employabilité sont très difficiles. Il arrive que les passeports soient retirés à leurs propriétaires. Par ailleurs quand bien même les salaires seraient mirobolants, la vie est si chère qu’il est quasiment impossible de faire des économies”, fait-elle savoir.

S. L.-K.