Gaz américain en Europe : Alger et Moscou piégés

Gaz américain en Europe : Alger et Moscou piégés

2364471471.JPGLa première cargaison de gaz de schiste américain vers l’Union européenne, destinée au Portugal et arrivée mardi soir dans un port du sud du pays, n’est pas une bonne nouvelle pour l’Algérie. Cette livraison de GNL au Portugal confirme la réorientation globale de la politique énergétique de l’UE qui n’achète plus son gaz avec des contrats à long terme, encore moins être dépendante du gaz russe, Moscou pratiquant comme l’Algérie une politique commerciale du gaz basée sur les contrats à long terme, dont les prix sont indexés sur ceux du pétrole, que Bruxelles veut contourner. Il est clair que d’une part l’arrivée sur le marché pétrolier de la production de pétrole et gaz de schiste US a provoqué une chute des cours, et d’autre part, une dramatique migration des clients européen de l’Algérie ou de la Russie vers les Etats-Unis.

Cette migration a commencé en fait depuis au moins deux ans lorsque les Espagnols et les Italiens, les premiers approvisionnés par le GME et le Medgaz, les seconds par le gazoduc Enrico Mattei (Transmed), ont invité Sonatrach à revoir ses prix, tout en l’informant qu’ils allaient diminuer les quantités de gaz achetées. Entre-temps, l’éventualité d’un marché européen, sinon mondial, inondé par le gaz de schiste américain est devenue réalité. Une situation qui met le groupe pétrolier algérien, et donc l’Algérie, dans une très inconfortable posture. Car, avec la baisse de moitié des recettes d’hydrocarbures en 2015 et un même scénario en 2016, il y a maintenant l’invasion du gaz de schiste américain sur les marchés traditionnels de l’Algérie. Une très mauvaise nouvelle en fait pour un secteur gazier algérien qui consomme, en plus, presque la moitié de sa production en interne. L’Algérie, qui va engranger moins de 35 milliards de dollars de recettes pétrolières (et gazières) en 2016, n’a qu’une seule porte de sortie : renégocier ses contrats avec l’UE et revoir les prix de son gaz conformément aux contrats pratiqués sur les marchés de l’énergie. Et, surtout, trouver une parade technique et en même temps politique pour résister à la charge des exportations américaines vers l’Europe, qui se reconvertit progressivement au gaz de schiste US comme alternative à l’énergie nucléaire, en plein désarroi avec les accidents de Fukushima et Tchernobyl.

Il ne faut plus se voiler la face, l’Europe est en train de devenir un potentiel débouché pour le GNL américain, et l’Algérie est obligée aujourd’hui de bien réfléchir sur la proposition, encore fraîche, de l’UE faite en mai 2015 : une augmentation des exportations algériennes de gaz naturel vers l’Union européenne et, en échange, l’Algérie doit abandonner la formule des contrats de vente à long terme (jusqu’à 12 ans, clause take or pay) au profit de contrats à court terme ou de vente au coup par coup, renoncer à indexer le prix du gaz sur celui du pétrole et privilégier les prix de marché établis quotidiennement par les terminaux du nord de l’Europe, et revoir la clause des 49/51% dans les contrats de partenariat dans le secteur de l’énergie. Cette proposition est toujours sur la table à Bruxelles et sur celle du ministre Salah Khebri. Mais, pour Alger, elle offre cette désagréable sensation politique d’une reddition. Est-ce la raison du départ de Yousfi, qui avait donné son accord de principe au commissaire européen à l’Energie, l’Espagnol Miguel Arias Canete ? D’autant qu’abandonner la clause des contrats à long terme vaudra à l’Algérie le courroux de Moscou, qui pratique cette politique commerciale avec les pays de l’UE. L’aggiornamento, signé en mai 2015 à Alger avec l’UE, a pris aujourd’hui des contours kafkaïens. A moins que Sellal ne revienne de Moscou avec un début de solution, l’arrivée du GNL US en Europe est une vraie source d’inquiétude pour l’Algérie.