Elle sévit en Algérie depuis des années: Qu’est-ce qu’une crise de gouvernance?

Elle sévit en Algérie depuis des années:  Qu’est-ce qu’une crise de gouvernance?

La grande leçon de la rencontre internationale organisée par la Banque d’Algérie sur l’économétrie est d’avoir formalisé les liens entre éthique et développement.

Depuis plusieurs mois dans mes différentes contributions et interviews au niveau national et international, j’ai tenu à souligner que l’Algérie depuis des années, ne traverse pas essentiellement une crise financière mais avant tout une crise de gouvernance, mais que cette crise de gouvernance si l’on maintient le cap de l’actuelle politique socio-économique, se transformera en crise financière aiguë du fait de l’épuisement des réserves de changes à l’horizon 2019/2020.

Comment ne pas rappeler cette formule célèbre, selon laquelle «derrière toutes les crises économiques, il y a une crise de confiance». La grande leçon de la rencontre internationale organisée par la Banque d’Algérie sur l’économétrie qui a vu la présence notamment du prix Nobel français Jean Tirole, professeur à la Toulouse Schools of Economics, et la brillante intervention de mon ami le professeur Raouf Boucekkine est d’avoir formalisé les liens entre éthique et développement, renvoyant d’ailleurs la théorie des institutions.

Car l’élaboration d’un modèle économétrique n’a aucun sens si celui-ci n’est pas porté par des forces politiques économiques et sociales souvent à intérêts divergents que met en relief la théorie des jeux. D’où l’importance de saisir les relations entre l’éthique (la morale) et le développement en ce monde turbulent et instable où existe une concentration excessive au niveau mondial des revenus au profit d’une minorité spéculative. Cela renvoie aux fondamentaux de l’économie, des relations entre profit et salaires et aux libertés fondamentales permettant la libération de toutes les énergies créatrices loin de tout monopole politique, économique, social et culturel, source de léthargie.

En ces moments de grande crise morale, tout en retenant qu’en droit existe la présomption d’innocence, la morale aux yeux des citoyens est devenue fondamentale, dépassant le simple cadre juridique, surtout dans une économie mondiale supermédiatisée grâce aux réseaux sociaux. Comment ne pas rappeler le cas d’un pays nordique où un ministre a démissionné pour avoir payé un ticket de métro sur le budget de l’Etat ou des démissions de nombreux responsables politiques pour des cas presque similaires La crise morale touche tous les partis, y compris certaines organisations civiles vivant du transfert de la rente, et où il n’existe pas d’intermédiation crédible entre l’Etat et les citoyens comme en témoigne le fort taux d’abstention et de bulletins nuls lors des élections législatives du 4 mai dernier.

Pouvoir et opposition devraient méditer ces résultats pour fonder leur action sur la morale, s’ils veulent être crédibles afin de mobiliser les citoyens au moment où face à la détérioration de leur pouvoir d’achat, on leur demande des sacrifices. La lutte contre l’immoralité n’est pas une question de lois ou de commissions, vision bureaucratique du passé, mais de s’attaquer au fonctionnement des sociétés grâce à un dialogue productif permanent, personne n’ayant le monopole du nationalisme et de la vérité, d’où l’exigence d’un minimum de consensus social respectant toutes les sensibilités.. Comment ne pas rappeler qu’un des plus grands sociologues, Ibn Khadoun (1332- 1406) dans la Muqadima (traduite en Prolégomènes et qui est en fait son Introduction à l’histoire universelle et à la sociologie moderne montrait clairement que le cycle de déclin des civilisations au Maghreb commençait lorsque l’immoralité gangrenait toute la société du sommet à la base.

La crise que connaît actuellement le monde, caractérisée par le divorce Etat-citoyens est avant tout une crise morale. Tout processus de développement, étant l’oeuvre d’acteurs politiques, sociaux et économiques, il ne peut aboutir que s’il se fonde sur la transparence, la cohérence et la visibilité des décisions reposant sur des institutions crédibles et sur la moralité de ceux qui sont chargés de sa mise en oeuvre. Le fondement de la crise mondiale actuelle s’explique par le fait qu’il y a suprématie de la sphère financière spéculative sur la sphère réelle, la dominance des profits spéculatifs sur le travail. Or, comme nous l’ont enseigné les fondateurs de la science économique, disons l’économie politique, le travail mu par l’entreprise est le fondement de la richesse des nations. L’économie mondiale traverse une très grave crise qui aura des répercussions sur l’ensemble des pays sans exception, car nous sommes à l’ère de la mondialisation du fait de l’interdépendance des économies et des sociétés, étant dans une maison de verre avec la révolution dans le domaine des télécommunications.

Aucun pays ne peut y échapper si l’on ne met pas en place de nouveaux mécanismes de régulation supranationaux, afin de réhabiliter la sphère réelle, la monnaie étant un signe au service de l’économie et non la dominer. Et ce bien entendu, dans le cadre d’une économie mondiale concurrentielle tenant compte des avantages comparatifs mondiaux et devant lier l’efficacité économique avec une profonde justice sociale, les économistes parleront ici d’équité.

Nous sommes à l’aube d’une nouvelle transition de la société mondiale avec de profonds bouleversements technologiques, culturels et géostratégiques, ce qui supposera des ajustements sociaux douloureux et donc une nouvelle régulation sociale afin d’éviter les exclusions. Le «chacun pour soi» serait suicidaire et nous ramènerait aux conséquences néfastes des effets de la crise de 1929, avec des conflits désastreux. Dès lors, il y a lieu, impérativement, de repenser le fonctionnement du système économique et politique international, où nous assistons à des trafics illégaux de part et d’autre de la planète à travers des réseaux complexes, impliquant les Etats, les entreprises, et les citoyens, car s’il y a des corrompus, il y a des corrupteurs. Pour cela, les politiques et les économistes doivent réhabiliter un facteur stratégique du développement, la morale. Car il existe des liens inextricables entre un développement durable et la morale, en fait la récompense de l’effort et une lutte contre la corruption sous ses différentes formes..

En ce début du XXIème siècle, ce n’est donc pas seulement une crise économique, mais également et surtout une profonde crise morale devant fonder note appréciation sur une profonde rénovation de la perception du monde réhabilitant les vertus du travail et de l’intelligence… Les discours chauvinistes, soi-disant nationalistes, de complots de l’extérieur ne portent plus au sein d’une population à majorité jeune, parabolée, ouverte sur le monde. Et il semble bien que les bouleversements actuels dans le monde sont bien le fait de l’immoralité qui conduit aux autoritarismes devenus, dans un monde complexe, de très graves menaces à la souveraineté et à l’indépendance des Etats et à la sécurité mondiale.

Le monde a besoin d’une culture fondée sur la morale et la tolérance, comme nous l’enseignent les philosophes des différentes nations, de l’Occident et de l’Orient, depuis la nuit des temps, de Platon, et d’Aristote à nos jours. Adam Smith qui était professeur de philosophie morale à l’université de Glasgow, connu par l’Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), considéré par la science économique comme l’oeuvre fondatrice de la discipline, pourtant l’auteur accordait une importance capitale à la Théorie des sentiments moraux, ouvrage publié en 1759, ayant pour objet de définir les principes de la morale, saisir les vertus nécessaires au bon fonctionnement de la société et comprendre d’où vient le sens moral qui a connu un succès international. Car, comment des responsables politiques peuvent-ils inciter l’investissement au niveau de leurs pays, lorsqu’eux-mêmes n’ont pas confiance et placent leurs capitaux dans des paradis fiscaux? Les économistes et les politiques durant cette transition inévitable de la société mondiale doivent repenser les liens entre l’éthique et le développement, où existe d’une part un lien dialectique entre le trafic en tous genres et le terrorisme qui est une menace planétaire et se nourrit de la misère et du manque de morale de certains dirigeants et, d’autre part, en sécurité et développement.

Pour l’Algérie, il s’agit si l’on veut mobiliser la population face à des ajustements économiques et sociaux inévitables et face aux inévitables contraintes budgétaires, entre 2017/2020, devant éviter l’illusion de la rente éternelle, d’avoir une vision stratégique face au nouveau monde, de mettre aux rênes des responsabilités politiques, des personnes crédibles avec une attitude morale irréprochable, sinon aucun modèle de croissance ne peut aboutir. L’Algérie a besoin de revenir aux valeurs moraux de base qui conditionneront notre comportement futur, d’où l’importance de l’école et du savoir, poumons de l’épanouissement de toute civilisation.