Dossier | La révolution d’internet et des nouvelles technologies dans l’automobile

Dossier | La révolution d’internet et des nouvelles technologies dans l’automobile

La révolution numérique capte tout, ou presque. Le marché automobile peut-il échapper aux vagues du changement ? Et plus encore que le marché : l’automobile peut-elle rester identique à elle-même, conserver ses caractéristiques fondamentales, sans se transformer au gré du monde qui l’entoure ? Les constructeurs aimeraient garder la mainmise sur un modèle économique qu’ils maîtrisent, quitte à faire des efforts pour évoluer. Mais ils sont talonnés par les pure players du Web qui, eux, sont en train de modifier profondément l’usage que nous avons de nos véhicules – et de nous faire entrer dans l’ère de l’Auto Internet.

Auto-mythologies

À chaque évolution majeure du marché de l’automobile, il y a une chose qui ne change jamais : c’est l’automobile elle-même. En 30 ans, nous sommes passés de la Renault 5 à la Tesla Model S entièrement électrique et bourrée d’électronique. Et tandis que la planète Auto opérait plusieurs révolutions autour de son axe, il semblait que l’auto elle-même, dans sa forme comme dans son usage constitutifs, ne se soumettait qu’à de relatives évolutions. De telle sorte qu’elle paraissait immuable, à l’image des « cathédrales gothiques » avec lesquelles Roland Barthes la comparait dans ses Mythologies en 1957.

Début 2015, au milieu de cette décennie que les historiens qualifieront peut-être dans l’avenir de « décennie de la transition numérique totale », un articlede Bernard Jullien (éminence grise du think tank Gerpisa) nous assurait que la filière automobile saura intégrer la révolution numérique sans renoncer à ses caractéristiques fondamentales. Il faut comprendre ces caractéristiques comme étant les suivantes :

  • Les acteurs historiques de l’automobile ne sont pas prêts de disparaître, même si de nouveaux tentent de se faire une place au soleil ;
  • Les constructeurs ne se trouvent pas en position d’infériorité par rapport à d’autres industries qui auraient pris le leadership ;
  • Les modes d’accès à l’automobile continuent de passer par la propriété.

Permettons-nous de lui opposer cette réflexion, émise près d’un an plus tard : certes, les caractéristiques fondamentales du marché automobile n’ont pas été révolutionnées, mais leurs bases ont commencé à être sérieusement ébranlées. La planète Auto est entrée dans l’ère volcanique. Raison pour laquelle il faudrait ajouter une 4e caractéristique, la seule qui devrait rester valable au-delà de cette décennie : l’entité ontologique nommée automobile conserve sa structure – une carrosserie, quatre roues, un moteur, une forme géométrique. Voilà la seule chose qui semble encore immuable. Tandis que ses usages et sa place même dans notre société sont déjà entrés dans leur phase de chrysalide.

Comment l’Auto constructeur est devenue l’Auto Internet

Internet et les nouveaux usages induits par le numérique ont profondément transformé notre quotidien. Les achats, les loisirs, les voyages et les relations sociales passent désormais pour partie à travers la Toile, et le changement a été radical, oblitérant les anciens usages : vous souvenez-vous la dernière fois que vous avez réservé un hôtel par téléphone ?

Si le marché automobile est plus lent à la transition numérique, cette lenteur ne signifie nullement que les modèles commerciaux traditionnels sont résilients. C’est un fait : aujourd’hui, l’auto, une fois vendue, appartient de moins en moins au constructeur, et de plus en plus à son propriétaire, grâce au vaste Web. Là où les constructeurs résistent, et résisteront encore longtemps, c’est qu’ils sont les seuls pourvoyeurs en véhicules (pour le marché du neuf, du moins). Mais une fois leurs bébés entre vos mains, vous n’avez plus besoin des fabricants, ni de leurs garages affiliés, ni, surtout, de leurs pièces auto aux prix prohibitifs.

De même, les usages ont pleinement intégré la révolution numérique, et cette fois, aussi rapidement et avec autant de succès que dans les domaines du commerce et du tourisme. Les déplacements, en particulier, ont franchi un point de non-retour dans leur dépendance à Internet : ils sont peu nombreux, ceux qui voudraient en revenir à une époque où ni les GPS, ni les applications et les sites de calculs d’itinéraire n’existaient. Et ce n’est qu’un exemple, car la plupart des usages fondamentaux du véhicule ont évolué : désormais, le conducteur seul dans une voiture qu’il a lui-même achetée, est une figure obsolète du XXe siècle.

Les acteurs de ce nouveau (et vaste) marché de la voiture sur Internet peuvent se diviser en plusieurs catégories. En voici quelques exemples connus :

  • Wehicles pour ce qui est des changements d’usages et des solutions de mobilité durable (déplacements, itinéraires, transports collaboratifs et collectifs) ;
  • Yakarouler dans le secteur de la pièce auto sur Internet, qui grappille des parts de marché doucement mais sûrement ;
  • La Centrale dans le domaine de la voiture d’occasion, les sites de revente (professionnels ou entre particuliers) remplaçant progressivement les visites aux concessionnaires ;
  • Uber, Blablacar et autres solutions de covoiturage, de transport payant et de partage de voiture.

Que tout change pour que rien ne change ?

L’adage célèbre du Guépard de Visconti fonctionne-t-il pour l’industrie automobile, aussi ancienne que bien installée dans notre paysage quotidien ? Les constructeurs aimeraient le croire, eux qui font tout pour que les caractéristiques fondamentales de l’auto, telles qu’elles se sont imposées tout au long du XXe siècle, soient toujours les mêmes dans l’avenir. Ils pourraient bien réussir leur pari via la révolution de la voiture électrique et du véhicule connecté, qui consiste, sommairement, à tout changer (à l’intérieur du véhicule) pour que rien ne change (dans son mode d’acquisition et ses usages).

L’adage, néanmoins, est férocement combattu par les acteurs du marché de la voiture sur Internet, qui ont bien l’intention de modifier les usages eux-mêmes : mobilité mieux prise en compte au quotidien, confort accru du conducteur devenu passager (la voiture autonome imaginée par Google : un authentique changement d’usage), facilitation des déplacements grâce à des applications dédiées. Et, surtout, transformation du rapport à l’entretien et à la propriété.

  • À l’entretien : en abandonnant garages officiels et concessionnaires, pour aller acheter ses pièces auto et équipements sur le Web ou en s’adressant aux centres auto, devenus partenaires des pure players (techniquement : on achète sa pièce chez Yakarouler et on va la faire changer chez un partenaire physique ; le constructeur n’a plus son mot à dire).
  • À la propriété : en se débarrassant de l’idée qu’une voiture doit nécessairement être acquise pour un long terme, et en embrassant le principe d’une possession sur un court ou moyen terme. Locations chez les professionnels ou les particuliers (pour une journée ou une année), utilisation de services payants indépendants du réseau officiel de taxis (Uber), solutions de covoiturage, etc.

Autant d’exemples qui nous permettent d’affirmer la chose suivante : même si le véhicule devrait conserver sa structure ontologique encore longtemps (la voiture volante n’est pas pour demain), nous sommes définitivement entrés dans l’ère de l’Auto Internet. D’une auto qui roule sur les autoroutes dématérialisées du numérique. La cathédrale gothique évoquée par Barthes est toujours immuable, mais elle n’est plus un monument patrimonial : elle appartient désormais à ceux qui s’en servent.