Roman autobiographique, plein de poésie, de délire, d’images d’horreur, de souffrance, mais également de détermination et d’espérance, le livre de H’mida Ayachi est un plaidoyer pour la raison et l’intelligence.
Dédales, la nuit de la grande discorde, de H’mida Ayachi, publié en 2016 aux éditions Barzakh, est la traduction en français de Matahat, leil el-fitna, paru chez le même éditeur en 2000. Ce roman est à la fois un témoignage sur la “décennie noire” et un regard critique sur la société algérienne grâce à la position du journaliste au cœur d’une confluence d’informations qui permet de décrypter et d’analyser les événements et leurs portées. H’mida Ayachi zoome sur les années 1990 durant lesquelles les Algériens ont vécu les affres du terrorisme.
Par une maîtrise de l’histoire musulmane, il effectue un parallèle entre Abou Yazid al-Nikari, “Sahib El-Himar”, qui avait la passion “d’anathémiser” les croyants et de les “châtier” pour leurs idées, et le chef terroriste Abou Yazid, “l’homme à l’alezan”, dont les pratiques sanguinaires rappelaient celles de son sinistre homonyme des temps passés.
Tous deux étaient animés de la même haine contre l’intelligence et ceux qui l’incarnaient. Ils tuaient les contestataires de leur doctrine rétrograde. Témoin direct de la barbarie à laquelle les journalistes avaient eux aussi payé un lourd tribut, H’mida Ayachi décrit les horreurs du terrorisme avec des détails à la fois sinistres et révélateurs, pour que nul n’ignore et que tout le monde dise : “Plus jamais ça”. Au passage, il rappelle que la misère et la mal-vie n’étaient pas les seuls terreaux du terrorisme, comme le montre l’exemple de ce riche homme d’affaires, qui avait d’ailleurs ses entrées dans l’administration et qui finançait les terroristes puis le paiera de sa vie lorsque son méfait sera éventé. De sa palette incisive, l’auteur peint la société algérienne où il décèle l’hypocrisie, comme celle de ce conservateur acharné en public et dont “les enfants ne parlaient que français et étaient à la pointe de la mode occidentale”.
Observateur de l’histoire récente de l’Algérie, l’auteur rappelle la guerre de Libération nationale et les péripéties des régimes politiques algériens depuis 1962. En politique, il pense que “tant qu’une véritable société civile n’a pas vu le jour, il reste illusoire de parler de démocratie, de pluralisme et des valeurs qui leur sont associées”. Philosophe, il trouve que “la force de la raison est l’une des quatre forces qui, en s’équilibrant, permettent à l’homme d’être un homme parfait, et celles-ci sont : la force de la raison, la force du courage, la force de la pudeur et la force de la justice”. H’mida tient un journal : “C’est une lutte tenace contre l’amnésie, contre l’oubli, contre le néant, contre la mort, contre le règne de l’incohérence, contre le règne de la violence.” Le livre se transforme en traité de sociologie sur la région de Sidi Bel-Abbès à travers l’itinéraire familial et personnel de l’auteur souvent forgé dans la douleur mais qui forme les hommes et les caractères.
Roman autobiographique, plein de poésie, de délire, d’images d’horreur, de souffrance, mais également de détermination et d’espérance, le livre de H’mida Ayachi est un plaidoyer pour la raison et l’intelligence. “L’instant d’amour n’est plus qu’un cadavre quand il déchoit et devient la proie de la banalité”, dit-il. Comme quoi, il faut toujours cultiver et entretenir les belles idées et les beaux sentiments qui font la grandeur de l’homme.
ALI BEDRICI
Dédales, la nuit de la grande discorde, de H’mida Ayachi, éditions Barzakh, 266 pages, 2016.