Presque vingt ans après «Incassable», deux ans après «Split», M. Night Shyamalan réunit ces deux univers dans «Glass», un film de super-héros malin, intelligent, existentiel: aux antipodes des blockbusters Marvel qui dictent le tempo du cinéma d’action actuel.
Pour comprendre «Glass», qui sort la semaine prochaine dans les salles, il faut remonter à «Incassable» (2000). Dans cet opus, David Dunn (Bruce Willis) se découvrait des pouvoirs après un accident de train dont il était seul sorti indemne. Outre sa force hors du commun, il voyait les mauvaises actions d’un individu par un simple contact avec lui. Finissant par accepter sa vocation, Dunn se muait en justicier. Un destin en fait dicté par Elijah Price (Samuel L. Jackson), un collectionneur de bandes dessinées de super-héros, à l’intelligence machiavélique, qui se révélait être son pire ennemi sous le nom de Mr Glass, en référence à sa maladie des os de verre.
Dans «Split», Kevin Wendell Crumb (James McAvoy), atteint de troubles de la personnalité multiple, séquestrait trois adolescentes pour les livrer à «la Bête», un des 24 personnages qui l’habitent, doté d’une force surhumaine. Une seule survivait, tandis que Crumb, cerné par la police, parvenait à s’enfuir. Dans la dernière scène du film, un homme dans un bar découvrait le fait divers à la télévision: David Dunn. Ainsi, de façon astucieuse et inattendue, Shyamalan ouvrait la voie à une trilogie devant trouver son épilogue dans «Glass», offrant enfin, aux fans de la première heure, une suite à «Incassable».
«Dès le départ, j’avais pensé l’ensemble comme une trilogie. Mais après +Incassable+, j’ai traversé une période de fragilité émotionnelle, de doute. Je m’étais persuadé de ne pas faire de suite immédiatement», raconte M. Night Shyamalan à l’AFP. «Je voulais faire quelque chose d’encore plus sombre et étrange. Mais je voyais bien que les attentes étaient autres. Et puis les films Marvel sont arrivés. Ils étaient dans l’air du temps et ils ont changé la face du cinéma d’entertainment», ajoute-t-il.
L’art du twist
Dans ce troisième volet, Dunn retrouve la trace de Crumb, qui vient de kidnapper d’autres adolescentes. Après leur combat violent, tous deux sont capturés et internés dans un asile psychiatrique. Le Dr Staple (Sarah Paulson) les prend en charge. Sa spécialité: soigner les individus persuadés d’être des super-héros. Une pathologie dont souffre un autre patient, présent depuis longtemps dans les murs: Elijah Price, dit M. Glass. Dunn, Crumb, Glass sont-ils vraiment des super-héros ? Telle est la question que pose Shyamalan, jamais avare en trompe-l’oeil. Le film y répond dans un épilogue dont la grande tension dramatique repose sur l’art du twist (rebondissement) qui fait la réputation du cinéaste depuis ses débuts et le rapproche plus d’Alfred Hitchcock que de Steven Spielberg auquel il a été tôt comparé.
Pour Shyamalan, renouer avec une telle maestria, relève d’un petit miracle. Après des débuts tonitruants avec «Le 6e sens» (1999), «Incassable» et «Signes» (2002), il a fini par s’égarer en chemin dans de grosses productions grandiloquentes («After Earth», «Le Dernier maître de l’air»), perdant tout crédit auprès des studios. Et ce, jusqu’à sa résurrection avec «The Visit» (2015), petit film d’horreur à 5 millions de dollars de budget pour lequel il a hypothéqué sa maison et qui en a finalement rapporté 100, puis «Split» qui a coûté 8 millions et récolté presque 300. Dos au mur, le réalisateur de 48 ans a réussi à refaire fonctionner sa machine à idées, redevenant en somme le magicien précoce qu’il fut. Bénéficiant d’une enveloppe plus confortable (20 millions) pour «Glass», Shyamalan assure toutefois garder le même état d’esprit depuis ses débuts: «Je me dis toujours: +voilà ça risque d’être ton dernier film.
Tout se joue à la phase d’écriture, lorsque je pose le stylo sur ma feuille. Si ce que j’écris est vraiment bon, je peux envisager la suite de façon optimiste. Là, en l’occurrence, un autre thriller et une série pour Apple qui va lancer sa chaîne de streaming».