Chafia Mentalecheta, députée de la région du Nord de la France, à “LIBERTÉ”: “Le regard porté sur l’Assemblée est dévastateur”

Chafia Mentalecheta, députée de la région du Nord de la France, à “LIBERTÉ”:  “Le regard porté sur l’Assemblée est dévastateur”

Liberté : Vous avez décidé de vous représenter au poste de députée, mais en indépendante. Pourquoi, alors qu’il paraît difficile d’obtenir les 400 parrainages nécessaires pour la validation de votre candidature ?

Chafia Mentalecheta : Il s’agit d’un vrai choix politique que j’ai pris en réaction à ce qui s’est passé lors de la révision constitutionnelle et l’adoption du fameux article 51 (devenu l’article 63 dans la Constitution votée) et qui exclut les binationaux des postes à responsabilité et des hautes fonctions.

Je me suis beaucoup battue contre cet article et je me suis rendu compte finalement que les partis politiques algériens, quels qu’ils soient, y compris celui dans lequel j’étais et les autres partis d’opposition, ont contesté dans le fond et la forme le projet constitutionnel, mais ne se sont pas emparés de la question relative à l’exclusion de la communauté algérienne établie à l’étranger.

Ayant été mandatée par cette même communauté en 2012 pour porter sa voix, je me suis sentie un petit peu seule et pas du tout en phase avec les partis politiques algériens qui traitent exclusivement des questions algéro-algériennes et ne prennent pas en compte le sort de l’émigration. Je devais donc choisir soit d’être la candidate de cette communauté qui a été exclue, soit de ne pas me représenter du tout. Je ne veux pas être une députée s’il n’y a pas d’objectifs a réaliser.

Justement, on pourrait penser que votre premier mandat est un échec. Le sort infligé aux Algériens de l’étranger par la nouvelle Constitution représente une énorme désillusion. Mais vous y allez quand même. Gardez-vous encore l’espoir de changer les choses ?

On ne peut pas parler vraiment d’échec. Durant le dernier mandat, les députés de l’émigration ont réussi pour la première fois à faire entendre leurs voix. Ils se sont battus pour l’émigration, quelquefois avec des résultats qui ne sont pas révolutionnaires, mais qui représentent, néanmoins, des avancées. Ce qui est dommageable est que nous soyons 8 députés de l’émigration qui auraient pu travailler ensemble de manière plus cohérente. Or, la plupart sont obligés de respecter les consignes de leurs partis politiques.

Il y a des clivages partisans qui représentent un frein à la défense de l’intérêt général de la communauté émigrée. Nous avons réussi à nous entendre sur certaines choses (comme l’augmentation du seuil de défiscalisation des déménagements, l’entrée des véhicules sur le territoire algérien), mais pas sur de grandes choses. Personnellement, j’ai envoyé en 2014 au Premier ministre un rapport sur les problématiques qu’il y avait dans les consulats lors de la mise en œuvre de l’opération de délivrance du passeport biométrique. Même si cela a mis du temps, mes propositions ont été finalement prises en compte. Les effectifs des consulats ont été renforcés et les délais d’octroi se sont raccourcis…

Il vous manque encore 150 parrainages. L’opération de collecte des signatures s’avère difficile. Comment faites-vous ?

Dans mon cas, la collecte des signatures se fait à travers les 8 consulats implantés dans la région nord de la France où je suis candidate. Je m’appuie sur le réseau des citoyens qui me suivent depuis 2012 pour obtenir des parrainages. J’essaie aussi d’utiliser les réseaux sociaux et les médias pour sensibiliser le plus grand nombre. Beaucoup de personnes ont manifesté le désir de me parrainer. Cependant, il y a un souci majeur qui freine l’opération. Les consulats ferment leurs portes très tôt : vers 15h.

Ce qui empêche de nombreux ressortissants de s’y rendre après leurs journées de travail pour remplir les formulaires de parrainages. Cela n’est pas du tout le cas en Algérie. Le ministère de l’Intérieur a publié une note qui enjoint les bureaux chargés de l’opération électorale dans les mairies à rester ouverts jusqu’à 19h. On a ouvert les consulats pour accélérer l’opération de délivrance des passeports biométriques, on aurait pu le faire exceptionnellement à l’occasion des législatives, surtout que beaucoup de binationaux habitent loin. Il y a également un problème d’organisation dans certains consulats.

Sur place, beaucoup de personnes sont obligées d’attendre une heure ou deux avant de pouvoir légaliser leur parrainage. La prise en charge de l’opération électorale à l’étranger est beaucoup moins rigoureuse qu’en Algérie. Je ne pense pas qu’il y ait une volonté délibérée d’éliminer la communauté émigrée, mais les actes qui sont posés ne sont pas toujours appropriés, soit par omission, soit parce qu’on a considéré que les Algériens de l’étranger ne représentent pas une masse électorale importante.

Pensez-vous que les Algériens de France iront voter en mai prochain pour une nouvelle Assemblée alors que l’ancienne a montré du mépris à leur égard ?

Les gens que je rencontre sur le terrain sont blessés par les propos qui ont été tenus à leur égard par les responsables politiques. Des propos qui renvoient à la traîtrise, à la suspicion à l’égard des Algériens qui vivent à l’étranger. Ils disent qu’ils sont prêts à voter pour moi car je les ai défendus, mais pas pour les représentants des partis politiques qui ont accepté qu’ils soient discriminés.

Il est possible encore de mobiliser les personnes, mais il y a une vraie fracture entre les Algériens qui vivent en France et le sentiment d’appartenir à la communauté nationale parce que, quelque part, on les a amputés d’une partie de leur citoyenneté. Ils sentent qu’ils ne comptent pas. Pourquoi alors aller voter. Pour ma part, je pense que l’abstention sert ceux qui veulent nous exclure.

Comme en Algérie, les électeurs en France ont toujours massivement boycotté les législatives, estimant que l’APN n’a pas un rôle crédible. On imagine que ce sera le cas cette fois aussi…

En effet, il s’agit d’un sentiment général. Le regard qui est porté sur l’Assemblée nationale, est dévastateur. Elle est désignée comme une chambre d’enregistrement.

Pour ma part, je suis une militante, une battante. On ne perd que les batailles que l’on ne mène pas. Il faut toujours mener la bataille de la démocratie. Si quatre députés indépendants issus de la société civile sont élus et décident de faire le tapage que j’ai fait toute seule, on pourra faire avancer les choses. La politique de la chaise vide contribue à faire de l’Assemblée ce qu’elle est aujourd’hui. Nous n’avons pas assez de députés au sein de l’hémicycle qui défendent l’intérêt général.